« Une heure par semaine pour l'éducation aux médias » (Patricia Loison de France TV et Nathalie Sonnac du Clemi)

OPINION - Face au déferlement des fake news et aux guerres d’influence menées sur les réseaux sociaux, les autrices soulignent l’urgence d’enseigner aux enfants la fabrique de l’information. Une priorité civique et démocratique.
Patricia Loison - Journaliste à France Télévisions & Nathalie Sonnac - Présidente du conseil d’orientation et de perfectionnement du Clemi
Patricia Loison - Journaliste à France Télévisions & Nathalie Sonnac - Présidente du conseil d’orientation et de perfectionnement du Clemi (Crédits : © Philippe Matsas/Leextra via opale)

L'accès à une information de qualité est un sport de combat auquel toute la jeunesse doit être formée. Son enseignement existe dans les établissements scolaires. Il s'appelle « EMI », pour éducation aux médias et à l'information. Toutefois, cette matière reste pour beaucoup un acronyme abscons, porté principalement par des professeurs, des enseignants et des journalistes passionnés. Et le temps qui lui est consacré en classe demeure anecdotique à l'échelle d'une scolarité. Or il existe aujourd'hui une urgence démocratique à renforcer l'EMI pour tous. Nous proposons d'instaurer une heure obligatoire par semaine pour tous nos enfants.

Après Arras et le Hamas. Après Nicolas, harcelé à mort. Après la propagande d'Evgueni Prigojine - nous n'avons plus le choix. Nous devons impérativement aider les jeunes générations à comprendre les environnements informationnels. Nous sommes confrontés à une masse inédite d'informations et à une concurrence de points de vue qui s'expriment sans filtre tandis que les médias sociaux posent des défis déontologiques à nos sociétés. La révolution numérique a bel et bien changé notre rapport à l'information, comme le souligne le rapport du sociologue Gérald Bronner (Les Lumières à l'ère numérique, 2022).

Lire aussi« La destruction du Hamas est une condition de la paix » (Laurent Wauquiez)

« Est-ce bien nécessaire d'y consacrer autant de temps à l'école ? » s'interrogent les sceptiques. Oui. Il faut prendre conscience que nous faisons face à une guerre informationnelle. Les clercs de Donald Trump inondent les écrans des électeurs américains de mensonges habiles. Les groupes terroristes postent les mises à mort de leurs victimes pour recruter. Les harceleurs du numérique humilient leurs victimes nuit et jour. Ceux qui combattent les valeurs mêmes de nos démocraties bataillent sans relâche.

Et nous ? Nous affrontons l'adversité sans arme. Dans ce contexte, les journalistes et les enseignants ne doivent plus mettre le genou à terre. L'éducation aux médias et à l'information devient aussi vitale que l'apprentissage du français et des mathématiques. Osons écrire qu'aujourd'hui même elle les surpasse.

L'EMI est la grammaire indispensable pour redonner à l'individu le contrôle de son information. Bonne nouvelle, nous savons comment la partager. La panoplie pédagogique est vaste, pratique et ludique : atelier médias, apprentissage de la culture du débat, exercice de la liberté d'expression et de ses limites, etc. Ce sont des clés pour comprendre la fabrique de l'information et de la désinformation : acquérir une meilleure connaissance du fonctionnement des médias, comprendre et connaître les outils pour lutter contre les fausses informations, apprendre à faire preuve de discernement, savoir exercer son esprit critique et conserver son libre arbitre. Il s'agit d'« apprendre à questionner les sources d'une information, à en vérifier la fiabilité, à en décrypter le sens et les intentions », dit Serge Barbet, directeur du Clemi.

Lire aussi« Dans les temps obscurs, il faut avoir les idées claires » (Bernard Cazeneuve et Édouard Philippe)

Ces compétences sont le socle indispensable d'une nouvelle citoyenneté numérique. Comme le recommandait la mission parlementaire sur l'éducation critique aux médias (février 2023) et sa rapporteure Violette Spillebout (Renaissance), l'EMI ne doit plus être une éducation « à » mais un enseignement à part entière. Encore conçue comme un enseignement transverse, ne serait-il pas temps de renforcer la pratique concrète dans les emplois du temps des élèves, notamment dès les premiers âges de la scolarité ? Une heure par semaine, donc, en plus de ce qui se fait dans les différents champs disciplinaires ou lors d'une action phare telle que la Semaine de la presse et des médias à l'école ? Avec une plus forte reconnaissance du rôle et de la place des professeurs documentalistes ?

Lors du Tour de France de l'éducation aux médias et à l'information, lancé par France Télévisions à travers tout le territoire, nous avons rencontré des professeurs engagés à Amiens, à Rennes, à Cayenne, à Paris, à Poitiers. Mais aussi des journalistes, confrontés aux demandes des établissements scolaires partout dans l'Hexagone, qui intègrent l'EMI comme une part prioritaire de leur métier. Professionnels de l'information et des médias, pédagogues, enseignants et formateurs de toutes disciplines, neurologues ou ingénieurs en informatique et en mathématiques appliquées partagent une expertise indispensable.

Nous invitons donc les pouvoirs publics à cimenter ce partenariat "école et médias" pour permettre un changement d'échelle indispensable face au désordre informationnel auquel les enseignants doivent savoir répondre. Un jeune qui sait s'informer peut débusquer le vrai du faux. Décoder le complot. Débattre sereinement. Équipé des cinq W - who, what, where, when, why, pour qui a fait quoi, où, quand et pourquoi - en bandoulière, l'esprit critique doit être affûté. Comme l'écrit Sam Wineburg, professeur à Stanford : « Nous gérons notre argent en ligne. Nous trouvons l'âme sœur en ligne. Nous y choisissons notre restaurant. Nous y effectuons nos recherches. Et l'école devrait rester sur le pas de la porte... alors que le monde nous est livré sur un écran... ? » Il est de notre devoir de parents, d'enseignants, de journalistes de ne pas laisser notre jeunesse désarmée. C'est aussi celui des responsables politiques.

Nous faisons face à une guerre informationnelle. Ceux qui combattent les valeurs mêmes de nos démocraties bataillent sans relâche. Et nous ?

* Centre pour l'éducation aux médias et à l'information.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 12/11/2023 à 9:10
Signaler
En effet cela serait une bonne idée mais j'ai bien l'impression que les internautes font cette quête tout seuls, c'est long mais malgré tout les gens commencent à recouper les infos afin de paraitre moins ridicule quand ils annoncent un bon gros boba...

à écrit le 12/11/2023 à 9:07
Signaler
LOL ! 4000 lobbyistes présents au parlement européen pour 750 députés ! Mais vous nous parlez de quoi là ?!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.