
Un jour de mai 2017, dans la cour de Matignon, côte à côte, nous avons dit que nous étions un homme de droite pour l'un et un homme de gauche pour l'autre. Ce clivage était un repère dans l'alternance et il le demeure. Mais il se fonde sur un socle commun et supérieur, une unité qui permet le débat et les différences, et qui s'appelle la République.
Si nous parlons aujourd'hui d'une même voix, c'est parce que le moment traversé par notre pays, dans le chaos qui saisit le monde, porte des menaces que seule la nation lucide et unie peut affronter et repousser. Et ainsi, fidèle à son histoire et à l'idée que les autres peuples se font d'elle, donner une raison de croire en la raison.
Ce défi ne peut être celui des seules autorités publiques même si de leurs décisions, et d'abord en matière de politique étrangère, procède l'action légitime. Il engage chaque responsable public et chaque citoyen. Car les principes et les valeurs qui cimentent notre communauté nationale ont la vie que nous leur insufflons : que ce souffle républicain vienne à manquer et la concorde civile est en danger. C'est pourquoi il est nécessaire d'avoir les idées claires dans les temps obscurs.
Cela commence par voir ce que l'on voit et le nommer. En massacrant plus de 1 400 civils sur le territoire d'Israël, le Hamas s'est rendu coupable de la pire tuerie antisémite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En prenant en otage 240 hommes, femmes, enfants, bébés et personnes âgées, le Hamas se livre à un chantage dont l'inhumanité nous révolte. Les objectifs de cette organisation islamiste, ses crimes comme sa qualification juridique par l'Union européenne notamment, la désignent comme terroriste. Rien ne justifie que ce mot ne soit pas utilisé pour définir et condamner les massacreurs du 7 octobre. Surtout en France où, à Toulouse, Montauban, Saint-Denis, Paris, Magnanville, Nice, Saint-Étienne-du-Rouvray, Trèbes, Conflans-Sainte-Honorine, Arras, la haine fanatique a semé tant de malheur.
S'ils disent les choses, les mots sont aussi des actes, avec leurs conséquences. La responsabilité va de pair avec la parole publique. Malheureusement, celle-ci est aujourd'hui abaissée, abîmée comme rarement dans notre histoire récente. Au Parlement, la représentation nationale doit délibérer sans polémiques ni insultes. Dans les médias, la description des faits au Proche-Orient et ailleurs doit précéder les commentaires et les guider - la mission des journalistes sur le terrain doit être protégée, car elle est vitale à l'heure de la « post-vérité » et des « deep fakes ». Sur les réseaux dits sociaux, enfin et peut-être surtout, la mesure et le droit doivent prévaloir. Depuis la déclaration de guerre du Hamas à Israël, les contenus violents ou illicites abondent : apologie du terrorisme, images de barbarie, discours de haine, messages racistes et antisémites, fausses informations. Le « pseudonymat » généralisé qui permet à leurs auteurs de se réfugier derrière leurs écrans, et l'inaction voulue des géants de l'Internet ne sont plus supportables pour la paix du monde. L'Europe a commencé à réagir en activant législations et sanctions. Aller plus loin s'impose aux gouvernements et d'abord aux États-Unis et en Chine, d'où procèdent les multinationales du Web. C'est un impératif catégorique des années qui viennent.
Face à la guerre au Proche-Orient et au risque de sa régionalisation puis de sa globalisation, alors que l'ONU est défaillante et que les puissances autocratiques utilisent chaque crise pour affaiblir les démocraties vues comme des régimes à déstabiliser, que peut, que doit faire la France, qui est l'amie des peuples israélien et palestinien ? Assumer une certaine humilité, bien sûr, face à une situation inextricable, mais aussi porter une ambition. Agir avec indépendance et constance, incarner une voie juste - qui n'est pas une voie moyenne - pour fédérer ceux qui, États et peuples, aspirent à une solution qui stoppe la guerre et trace un chemin de paix. Agressé sur son sol, meurtri dans sa chair, Israël a le droit de riposter au Hamas et de défendre son existence face à ceux qui programment son anéantissement. Mais aucun pays, de surcroît une démocratie, ne peut mener des opérations militaires massives, disproportionnées, provoquant la mort de civils instrumentalisés comme boucliers humains par les milices terroristes visées, sans déroger aux règles du droit international ni compromettre sa propre sécurité. Une pause humanitaire à Gaza doit advenir d'urgence afin que soit acheminée l'aide aux populations palestiniennes. Pour y parvenir, que le Hamas dépose préalablement les armes et libère, sans délai ni condition, les otages israéliens, étrangers ou binationaux qu'il a enlevés.
Puis, au-delà de la désescalade, il faudra tout reprendre à zéro, c'est-à-dire réactiver l'idée - française - de la solution à deux États. Les États-Unis y sont favorables, l'Europe aussi et le « Sud global », qui n'est pas homogène, a intérêt à une issue politique au conflit. Dans le prolongement des accords d'Oslo, celle-ci passera par la constitution d'une Autorité palestinienne crédible et prélude d'un État démocratique et souverain face aux terroristes fondamentalistes qui instrumentalisent et trahissent la cause palestinienne d'une part, d'autre part d'un bloc des modérés en Israël conscients que la sanctuarisation de la sécurité du pays suppose d'accepter un jour des concessions, dont le démantèlement de certaines implantations. Face à la violence, à l'intransigeance, à la défiance, il faudra du temps, de la volonté, du courage, des partenaires à la hauteur des événements comme le furent Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. Dans les circonstances dramatiques, nous voulons y croire, sinon quelle autre perspective que la guerre de tous contre tous ?
Enfin, dans le monde des périls, la France doit préserver son unité et ce qui la fonde. Ayons conscience de ce que nous sommes ! Les dépositaires d'un corpus de valeurs fortes fondé sur la liberté qui n'est pas l'individualisme, l'égalité qui n'est pas l'uniformité, la fraternité qui n'est pas le communautarisme, la laïcité qui n'est pas une religion contre les religions, mais la possibilité pour chacun de croire ou de ne pas croire dans un pays où la foi ne fait pas la loi. La France est aussi un État de droit : combattre le totalitarisme qu'est l'islamisme exige de consolider notre arsenal législatif et réglementaire autant qu'il est nécessaire, dans le respect de la démocratie et des conventions qui nous engagent au sein de l'Union européenne et au plan international. La France est, enfin, un contrat social, un projet national fondé sur la citoyenneté et non sur des identités figées et des appartenances assignées. Les actes antisémites qui reviennent dans nos rues et sur Internet sont une honte collective : ils nient ce que nous sommes, ils crachent sur notre histoire et exigent une réponse intraitable de la République. Les Juifs de France doivent sentir toute la puissance et l'autorité de l'État à leurs côtés pour assurer leur sécurité dans la République. Mais pour que nos valeurs vivent, pour gagner ce combat pour nos valeurs, il n'y a qu'un remède profond et véritable : l'école, la connaissance et les professeurs qui les transmettent et dont deux, Samuel Paty et Dominique Bernard, ont été lâchement assassinés pour avoir exercé leur métier de républicains formant des républicains. Tout nous rappelle, tout nous démontre que l'unité et la promesse de la France sont notre bien commun. Chacune et chacun de nous en est le dépositaire. Dans les temps que nous vivons, sa défense exige le sursaut moral de tous les citoyens.
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