CCI 4/4 : quel modèle économique en Normandie, Pays de la Loire, Centre, et Bretagne

Face à une chute drastique des crédits, le réseau des chambres de commerce et d’industrie (CCI) doit réinventer son modèle économique et social au moment où les territoires réclament plus de reconnaissance.
La ville de Rennes, capitale de la région Bretagne.
La ville de Rennes, capitale de la région Bretagne. (Crédits : Pline / SA)

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PAYS DE LA LOIRE

En quête d'un autre modèle économique

« Trop, c'est trop ! », s'enflamme Jean-François Gendron, président de la chambre de commerce et d'industrie de région (CCIR) des Pays de la Loire, où, selon les territoires (Mayenne, Sarthe, Vendée, Maine-et-Loire, Nantes-Saint-Nazaire), les baisses de la taxe pour frais de chambre (TFC) atteignent 30 à 80 %. « L'impact a été plus important pour la chambre régionale puisqu'elle dépend à 100 % de la TFC, qu'elle répartit entre les chambres territoriales selon leur poids économique », dit-il. Après une baisse de 50 % en quatre ans, la TFC devrait diminuer d'autant entre 2019 et 2022. « Elle ne représentera plus qu'un quart de ce qu'elle était en 2014 », souligne Alain Schlesser, directeur général de la CCIR.

« La CCIR n'a pas le droit de présenter deux budgets déficitaires consécutifs. Jusqu'à maintenant, on a réussi à s'en sortir, mais on prévoit des budgets déficitaires dans chaque chambre dans les années à venir. À certains moments, on a bien failli remettre les clés au préfet. Là, on entre dans une période de crash-test. Ça va être le sujet de début 2020 », reconnaît Jean-François Gendron.

En accord avec les services de l'État et les CCI territoriales, un audit de retournement a été mis en place. « Car, avec une nouvelle baisse de 50 % jusqu'en 2022, nous sommes en dessous de la ligne de flottaison », craint Alain Schlesser. Avec ce projet, la CCIR est l'une des rares en France à avoir évité les plans de licenciement. Au gré de départs volontaires ou en retraite, de reconversions... elle a rogné sur plus de 10 % de ses effectifs : 150 postes n'ont pas été renouvelés sur 1 050 personnes. Les services informatiques (DSI), la gestion des RH, la DAF, les marchés publics... ont été mutualisés au niveau régional, laissant aux CCI territoriales le soin de trouver, elles aussi, un nouveau modèle économique.

Si la baisse de la TFC n'a peu ou pas d'impact sur la gestion des infrastructures (0 % de TFC) et la formation (13 %), l'appui aux entreprises (création, transmission, compétitivité, développement durable, RH, ou encore le numérique, privé de cofinancement) doit, en revanche, se réinventer. « Cela nous oblige à commercialiser des prestations qui, hier, ne l'étaient pas. D'un autre côté, cela nous a rendus plus créatifs et plus éveillés sur les fonds disponibles et les effets leviers », observe Anthony Valentini, directeur général de la CCI 44, dont les missions chapeautent, désormais, celle de la Vendée.

« Certaines fonctions, comme les achats, sont mutualisées mais chaque chambre, par souci de proximité, conserve sa propre stratégie pour lever des fonds. » À quoi servent encore les CCI ? « à ça aussi ! », pointe Yann Trichard, président de la CCI 44, en désignant une salle où 40 candidats de la métropole aux municipales sont venus écouter les suggestions économiques formulées par un millier de chefs d'entreprise.

Frédéric Thual, Pays de la Loire

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NORMANDIE

Les CCI territoriales ont repris la main

Son président « historique », le Havrais Vianney de Chalus, a jeté l'éponge en mars dernier, deux ans avant la fin de son mandat, après avoir vécu la ponction de trop. En Normandie, c'est la chambre de commerce et d'industrie (CCI) régionale qui paie le plus lourd tribut à la nouvelle saignée prescrite par le gouvernement. La grande chambre, créée en 2016 après la fusion de la Haute et de la Basse-Normandie, se retrouve aujourd'hui cantonnée dans un rôle « d'impulsion et de coordination » [sic] dont les contours restent d'une obscure clarté. Au passage, 70 de ses 140 agents ont été poussés vers la sortie et ses missions redéployées vers les cinq chambres territoriales (CCIT).

« Leurs élus avaient mal vécu la fusion et le passage simultané de douze à cinq CCIT. Ils ont repris la main à la faveur de ce nouveau big bang », décrypte un bon connaisseur.

Avec un budget qui devrait être ramené à moins de 20 millions d'euros fin 2021, plus de deux fois moins qu'en 2018, lesdites chambres n'en sont pas moins contraintes de se réinventer. Oubliée donc la gratuité systématique. « Nous allons devoir apprendre à facturer nos services aux entreprises et à pratiquer une tarification douce pour des événements », expliquent leurs présidents. Objectif : passer d'un chiffre d'affaires de 4,5 millions à 11 millions en deux ans. « C'est réaliste », assurent les dirigeants désormais à l'affût des appels d'offres. C'est par cette entremise qu'elles ont obtenu que la Région leur confie le déploiement de son dispositif d'aide à la création d'entreprise baptisé « Ici, je monte ma boîte ».

En parallèle, les CCI rationalisent leurs activités. Les subventions à d'autres acteurs ne seront plus octroyées qu'avec parcimonie, préviennent-elles. Elles cherchent aussi à mutualiser. Les chambres de Caen, du Havre et d'Évreux viennent ainsi de fusionner tous leurs centres de formation pour former le groupe Aden, qui revendique 12 800 stagiaires et apprentis et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires. À la clef, une diminution des emplois de direction. Un autre péril inquiète cependant les CCI : l'avenir de leurs concessions aéroportuaires. La Région, en accord avec les agglos, souhaite que les aéroports du Havre, de Rouen, de Caen et de Deauville soient placés entre les mains d'un seul et unique délégataire, avec le risque que l'exploitation échappe au réseau consulaire.

Nathalie Jourdan, Normandie

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CENTRE-VAL-DE-LOIRE

La création de nouvelles offres

Avec le projet de grand carénage des centrales nucléaires, auquel EDF a associé CCI France, les chambres consulaires du Centre-Val de Loire ont trouvé un client de poids dans le contexte de changement de leur modèle économique, confirmé par la loi Pacte de mai 2019. Le distributeur d'énergie, qui possède quatre centrales dans la région, à Chinon (37), Dampierre-en-Burly (45), Belleville-sur-Loire (18) et Saint-Laurent-des-Eaux (41), a confié aux CCI le soin d'informer et de sélectionner les entreprises candidates à la remise à niveau des installations les plus anciennes. À ces nouvelles missions payantes de sourcing s'ajoute le renforcement des attributions classiques, l'accompagnement des chefs d'entreprise, notamment. Ainsi, la CCI Touraine leur propose désormais un parcours d'aide au recrutement de six mois avec l'Academy RH by CCI. Un impulseur de projets émanant des entrepreneurs a aussi été lancé par les services de Philippe Roussy, président de la CCI.

  • Des ateliers pour les managers

De son côté, la chambre du Loiret assure un accompagnement numérique aux commerçants et tient des ateliers d'accompagnement des managers via le programme Perf'Lab. Ces offres de prestations payantes, en train d'être étoffées, s'inscrivent par ailleurs dans une nouvelle organisation matricielle des CCI de la région Centre-Val de Loire, décidée en juin 2019. Concentrée sur huit programmes (entrepreneuriat, emploi, compétitivité-innovation, numérique-développement durable, international, commerce, tourisme, formation), la Région prévoit une mise en commun des moyens logistiques et humains, pour plus d'efficacité.

De 41 millions d'euros en 2013, la taxe pour frais de chambre (TFC) a été rabotée à 19,5 millions d'euros l'année dernière dans le Centre-Val de Loire. Conséquence de la loi Pacte qui prévoit deux nouvelles tranches de baisse de 200 millions d'euros au plan national d'ici à 2023, elle ne représentera plus que 11 millions d'euros à cette échéance. Symbole du changement de modèle économique opéré localement en une décennie, la TFC assurera moins de 30 % de leur budget dans trois ans. C'était près de 90 % il y a dix ans.

Guillaume Fischer, Centre-Val de Loire

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BRETAGNE

Un recentrage et des prestations payantes

La chambre de commerce et d'industrie (CCI) Bretagne doit transformer rapidement son modèle économique. Le recentrage s'appuiera sur cinq missions, dont le soutien à l'entrepreunariat, l'appui aux entreprises pour leur transformation numérique et écologique, l'internationalisation. La nouvelle convention d'objectifs et de moyens (COM) a été signée avec Michèle Kirry, la préfète de Bretagne, en novembre. Si elle « clarifie les rôles, elle ne règle pas tout pour autant », avait affirmé Jean-François Garrec lors de l'assemblée générale de la structure, organisée le même jour. Le président de la CCI Bretagne attend notamment d'en savoir plus sur les rôles et les missions des autres acteurs au service des entreprises, comme les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Sollicitée dans ce cadre, la CCI Bretagne, qui chapeaute les quatre CCI territoriales et travaille avec 125 000 entreprises (92 % de PME), n'a pas souhaité évoquer les leviers qu'elle voulait actionner.

« Nous travaillons à la mise en œuvre de la COM, sachant que plusieurs décrets d'application de la loi Pacte sont en attente et que CCI France doit définir plusieurs normes et cadres d'intervention », s'est-elle contentée de répondre.

La restructuration passera néanmoins « par une remise à plat de l'offre de services » et s'effectuera dans un budget primitif 2020 déficitaire de 200 K€ (68,70 M€ en produits, 68,90 M€ en charges). La taxe pour frais de chambre (TFC) allouée à l'ensemble des CCI bretonnes baisse à 22,90 M€ (27,40 M€ en 2019). C'est 4 M€ pour la CCIR mais 400.000 € de moins.

Cette diminution des ressources publiques devrait pousser à la commercialisation de « prestations payantes à plus forte valeur ajoutée, dans l'innovation », indique-t-elle sans plus de précision. La baisse des effectifs va aussi se poursuivre. L'an passé, la CCI Bretagne (hors infrastructures) comptait 838 équivalents temps plein (ETP ; 940 ETP en 2015) mais table sur 786 collaborateurs répartis sur l'ensemble du territoire à la fin 2020, voire moins dans les années à venir. Depuis deux ans, les CCI ont perdu de nombreux collaborateurs, nouveaux retraités ou jeunes cadres ayant rejoint une entreprise. La mutualisation des services est aussi en œuvre, à l'image de la difficile fusion, en 2016, des CCI de Rennes et de Saint-Malo-Fougères au sein de la CCI d'Ille-et-Vilaine.

Pascale Paoli-Lebailly, Bretagne

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Retrouvez notre DOSSIER SPÉCIAL dans La Tribune Hebdo n°317 du 17 janvier 2019 :

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H317 LT2 CCI

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