Ce que font les vins de Champagne pour lutter contre le changement climatique

Comment réduire l'empreinte écologique de la filière viticole, aider la vigne à s'adapter aux aléas du climat tout en maintenant la typicité qui fait le succès des vins de Champagne ? Le débat sur l'hybridation du matériel végétal est déjà ouvert, puisque 400 nouvelles variétés ont été testées en plein champ depuis 2018, par petites séries de cinq ceps. Le cépage hybride voltis, a été inscrit au cahier des charges régional. Explications.
Le vignoble champenois a souffert en 2021 des aléas du climat, avec de fortes pluies en juillet. Ici : les Courtisols à Verzy, terroir classé grand cru.
Le vignoble champenois a souffert en 2021 des aléas du climat, avec de fortes pluies en juillet. Ici : les Courtisols à Verzy, terroir classé grand cru. (Crédits : Olivier Mirguet)

Après une année sombre en 2020, où elle avait vu son chiffre d'affaires reculer de 20% (4,2 milliards d'euros) sous l'impact mondial de la crise sanitaire, la filière champagne est repartie à la hausse en 2021. Avec 300 millions de bouteilles vendues, les volumes devraient s'établir cette année au même niveau qu'en 2019. Une sortie de crise rapide, sans conséquences graves. Mais qu'en sera-t-il à l'avenir ?

"L'avenir est forcément incertain avec le dérèglement climatique. C'est déjà une réalité dans la vigne", reconnaît François Van Aal, président du champagne Lanson à Reims (250 millions d'euros de chiffre d'affaires dont 80 % à l'export). "Une entreprise comme la nôtre, dans le secteur du luxe et à l'international, ne peut pas établir une stratégie de marque sans intégrer une réflexion sur sa responsabilité sociétale et environnementale. Pas question de faire simplement du greenwashing. Nous allons innover, tester des nouveautés", promet François Van Aal.

Certaines maisons de champagne ont déjà modifié leurs pratiques. "Nous avons arrêté les herbicides dès 2015 et enherbé à nouveau nos 180 hectares de vignes. On teste des principes issus de la permaculture, tel que le paillage pour protéger le sol", témoigne Charles-Armand de Belenet, directeur général de Bollinger.

Vendanges avancées

Les techniciens ont été les premiers à témoigner du dérèglement du climat et de ses conséquences. "Depuis vingt ans, sous l'effet du réchauffement, les dates des vendanges ont avancé de deux semaines. Le débourrement est devenu plus précoce. La floraison de la vigne intervient plus tôt", constate Hervé Dantan, chef de caves chez Lanson.

"Les précipitations ne sont pas devenues plus importantes. Il tombe toujours 650 millimètres d'eau par an. Mais elles sont devenues plus irrégulières. Les aléas climatiques sont plus violents. Cet été, mi-juillet, 150 millimètres de pluie sont tombés chez nous en quelques jours", a observé Hervé Dantan.

Cette année, le Comité Champagne, organe représentatif de l'interprofession dans la filière viticole, a recensé les dégâts : les viticulteurs champenois ont perdu 30 % de leur récolte lors des périodes de gel au printemps. Ils ont encore perdu un quart de leur récolte cet été, avec le mildiou.

Chardonnay, pinot noir et meunier, les cépages de référence en Champagne, sont-ils toujours en mesure de résister au réchauffement et aux pluies fortes et irrégulières ?

"Cette année, nous avons dû répéter 18 fois nos traitements au cuivre et au soufre, pour lutter contre le mildiou et l'oïdium. Ces champignons pathogènes s'attaquent à la vigne quand les conditions sont très humides. Dès que les précipitations dépassaient 30 millimètres, il fallait tout recommencer", déplore Alain Sacy, à la tête d'un domaine familial établi sur 18 hectares, dont une partie dans les grands crus à Verzy (Marne).

Sa fille Yaël, directrice commerciale de la maison familiale, reste optimiste. "La Champagne doit être vertueuse et irréprochable. Nous sommes l'élite des effervescents à l'international. Nous pouvons encore nous permettre d'aller chercher de la valeur. De manière paradoxale, nos vins sont devenus meilleurs avec le réchauffement climatique, parce que nous avons le souci d'aller chercher nos raisins à maturité", expose la jeune femme.

Epsyvin, un projet collectif

"Le réchauffement climatique représente déjà une menace sur tout notre territoire, si rien n'est entrepris pour le prévenir", assure Franck Leroy, maire d'Epernay et premier vice-président de la région Grand-Est.

64 % du territoire de son agglomération est viticole, avec 5.100 hectares exploités. Epernay compte 1.300 entreprises dans la filière, soit près de 5.000 emplois.

Depuis le Mont Bernon, où la commune a aménagé une plate-forme panoramique ouverte sur la Côte des Blancs et la plaine châlonnaise, Franck Leroy observe le paysage dessiné par les vignes et une étroite bande forestière.

"Nous avons préservé une zone boisée sur les coteaux pour éviter que l'eau ne ravine vers la ville en cas d'orage", explique l'élu. "Les collectivités se sont mises au travail avec l'interprofession. Le conseil régional soutient la filière viticole autour de notre projet d'économie circulaire Epsyvin. Nous y abordons tous les types de ressources dans l'innovation et les process : logistique, consommations énergétiques, mutualisation des compétences", détaille Franck Leroy.

Franck Leroy Epernay

Au Comité Champagne, dont les bureaux et les laboratoires sont implantés à Epernay, on s'inquiète aussi des conséquences du changement sur les qualités intrinsèques du vin.

"La richesse en sucre augmente, l'acidité baisse. Nous avons lancé un programme d'adaptation, qui porte sur des techniques viticoles et œnologiques. Nous devons préserver la typicité des vins de champagne", explique Arnaud Descôtes, directeur technique et environnement au Comité Champagne.

"On observe une demande sociétale pour une transition de la filière. Le Champagne va rester fidèle à sa tradition d'innovation. Notre programme expérimental sur la vigne semi-large consiste à laisser deux mètres d'espace entre les rangs au lieu d'un mètre, tout en montant le palissage d'1,35 mètre à 2,20 mètres. L'empreinte environnementale va être réduite de 20 %. On diminuera de 20 % la surface foliaire et les rendements à l'hectare vont baisser de 18 %", résume Arnaud Descôtes.

La mise en œuvre de la vigne semi-large nécessitera un changement du cahier des charges de l'INAO, l'Institut national de l'origine et de la qualité. Elle ne pourra pas se généraliser tout de suite : il faudra arracher, replanter et attendre plusieurs années pour obtenir des résultats. En temps habituels, le taux de renouvellement du vignoble ne dépasse pas 0,7 %.

Voltis, un nouveau cépage

La viticulture champenoise a déjà ouvert le débat sur l'hybridation du matériel végétal, en collaboration avec les chercheurs de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). "400 nouvelles variétés ont été testées en plein champ depuis 2018, par petites séries de cinq ceps. On les a dégustées sous forme de vins clairs. Les travaux vont se poursuivre", prévoit Arnaud Descôtes.

Le Comité Champagne a demandé à titre provisoire d'intégrer l'un de ces nouveaux cépages, le voltis, à son cahier des charges régional. L'inscription a été autorisée par l'INAO au titre des "variétés d'intérêt à fin d'adaptation" (VIFA). Une telle autorisation demeure très restrictive. Elle n'est permise que pour 5 % de l'exploitation et pour 10 % dans un assemblage. Les consommateurs pourront bientôt valider ou rejeter les nouveaux assemblages. Mais pas avant 2030.

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Commentaires 3
à écrit le 13/11/2021 à 10:56
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Il faut lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Editions. L'auteur sous forme de fiction policière évoque comment de prestigieux domaines viticoles sont achetés par de riches chinois entraînant des drames. Disponible en librairie et via les site...

à écrit le 13/11/2021 à 9:21
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Il ne leur reste plus qu'à prendre comme cèpage pour les blancs du Franc-blanc cépage vendéen des bords de mer habitués au soleil, ou à la rigueur du bacot , encore plus résistant version édulcorée du noah , un cèpage interdit ultra sauvage traiteme...

à écrit le 12/11/2021 à 10:56
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Oui les grands noms du vin s'y mettent aux méthodes naturelles on se demande juste pourquoi elles les ont laissé tomber. Les sulfites sont à proscrire également sauf pour des vins qu'on veut voir vieillir bien sûr mais sinon on pourrait en faire chut...

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