JO 2024 : ces cagnottes qui font tiquer l'athlétisme

Dans l’espoir de se qualifier aux Jeux, de nombreux Français ont recours au financement participatif. De quoi agacer en haut lieu.
Le hurdleur Dimitri Bascou a commencé à faire appel aux dons.
Le hurdleur Dimitri Bascou a commencé à faire appel aux dons. (Crédits : © STEPHANE KEMPINAIRE/KMSP via AFP)

« Je rêve des Jeux olympiques », « Construisons Paris 2024 ensemble », « En route vers les JO ». Des slogans convenus émis par le comité d'organisation ? Non, des intitulés de cagnottes lancées par des athlètes tricolores se projetant dans l'arène du Stade de France cet été. Préalable à ce qui serait le rendez-vous d'une vie : optimiser la préparation en la finançant au mieux. Entre matériel, logistique, nutrition, accompagnement mental, frais de coaching ou médicaux, il faut compter au minimum 15 000 euros la saison. Bien plus avec des stages. Rien que pour l'athlétisme, sport olympique roi dont la multitude de disciplines recouvre des réalités sociales diverses, une quinzaine d'appels aux dons ont vu le jour.

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Dans le flux, on distingue quatre athlètes présents à Tokyo en 2021, trois champions de France en titre et même un médaillé de Rio 2016. À 36 ans, Dimitri Bascou court sur 110 mètres haies comme après son passé. La période Covid l'avait amené à dire stop, avant qu'il ne revienne au jeu dans le secteur le plus embouteillé de l'athlétisme français. Sorti des listes ministérielles de sportifs de haut niveau, sésame indispensable pour les aides des collectivités, l'ex-champion d'Europe s'est retrouvé en fin de droits - après avoir œuvré en entreprise dans le cadre du Pacte de performance de la Fondation du sport. Bref, acculé.

L'idée de la cagnotte lui a été soufflée par la présidente de son club de Noisy-le-Grand, Maryse Éwanjé-Épée. « Au début, il n'était pas pour, relate l'ancienne sauteuse en hauteur. Ça touche à l'ego, et l'ego, c'est le carburant du sportif. Ensuite, quand il a vu la vidéo de soutien de Colin Jackson [ex-recordman du monde du 110 mètres haies], il n'en revenait pas. Il avait les larmes aux yeux. » Après que Bascou a « remué ciel et terre », son statut et son horizon viennent de s'éclaircir. Il peut bénéficier d'un emploi de sportif de haut niveau, en tant que coach dans son club. Un gros smic : 23 000 euros brut pour l'année, dont 15 000 abondés par l'Agence nationale du sport (ANS). Vont s'ajouter 2 000 euros de la Fédération (FFA), peut-être 10 000 euros de la Région Île-de-France. Et donc l'essentiel d'une cagnotte clôturée à 14 597 euros. L'esprit est libéré mais reste le plus dur : les minima (13"27).

Pour Jöna Aigouy, championne de France de javelot, l'espoir passe par un itinéraire bis : le ranking et les points bonus à aller quérir sous de lointaines latitudes. Budget costaud. Sur les réseaux sociaux, cette étudiante en psychologie de 24 ans a raconté les petits boulots ou la vente de ses meubles. À la clé, de la bienveillance et près de 35 000 euros récoltés, record du genre. Une manne inespérée quand on ne fait pas partie des têtes de gondole. D'autant que les lanceurs sont les moins bien lotis du stade.

Aux yeux de l'ANS, qui donne le la auprès des fédérations, c'est la « médaillabilité » qui fait foi. Plus vous avez fait vos preuves, plus on vous aide. Des cellules de performance ont ainsi été mises en place, réservées aux médaillés olympiques et/ou mondiaux de moins de deux ans, et à ceux qui entrevoient ces podiums. Avec un credo : s'assurer que les sportifs concernés « disposent d'au moins 40 000 euros brut par an ». De son côté, la FFA a dressé des listes « athlètes pro » (Pro A, Pro B, Avenir), complétées depuis trois saisons par des « cercles de suivi » (de 1 à 5), avec des sommes échelonnées.

Ça renvoie à la réalité des budgets du sport en France

Frédéric Dagée, 12 titres nationaux au poids, 9 215 euros récoltés sur Leetchi

Un agencement a priori complexe mais qui débouche, à entendre Romain Barras, directeur de la haute performance, sur des aides rationalisées. « On accompagne au mieux avec les budgets à disposition et on ne fonctionne plus à la tête du client comme ça a pu arriver, cadre l'ancien décathlonien, champion d'Europe 2010. À mon époque, l'aide maximale de la Fédération se situait à 10 000 euros par an ; aujourd'hui, ça va jusqu'à 30 000 pour les meilleurs. » Alors, à l'évocation de la vague de financement participatif, la crispation affleure : « C'est un sujet qui fait grincer, oui. On se fait tirer les oreilles par l'ANS. »

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De fait, l'organisme a le sentiment que certains ont la cagnotte facile compte tenu des sommes qui, au gré des dispositifs, leur sont allouées. Sans parler du message en creux, laissant croire que l'architecte du sport français ne viserait pas assez juste. Cette fraîcheur du fond de l'air, on l'a perçue en appelant Alexandra Tavernier, quatrième des derniers JO au lancer de marteau. Ce fut bref : « La cagnotte ? Non, je ne peux pas en parler, il y a eu des retours par rapport à l'ANS... Bonne journée. » En l'occurrence, c'est son club d'Annecy qui avait lancé la campagne, aux résultats très limités, pour elle et deux autres olympiens potentiels. « On a réfléchi en interne, car il y avait déjà beaucoup d'initiatives de ce type, dit-on au sein de la structure. Et puis ça donne une image de l'athlète que l'on n'aime pas montrer, même si ça dit aussi quelque chose. »

Quelque chose que Frédéric Dagée, 13 titres nationaux au poids et 9 215 euros récoltés sur Leetchi, ne veut pas dissimuler. « Ça renvoie à la réalité des budgets consacrés au sport en France malgré des objectifs utopiques de médailles, dit ce magasinier chez Harley-Davidson qui a connu le travail de nuit et le RSA. Pour la répartition des aides, je laisse le bénéfice du doute à ceux qui la décident. Mais derrière un petit cercle d'athlètes exceptionnels, certains ont le potentiel pour passer le cap. » Sous-entendu, à la faveur d'un coup de pouce. Lui a perçu, selon les années, de 2 500 à 4 000 euros de la FFA. Quand Paris a été désigné, il s'était fait, « comme d'autres, tout un cinéma par rapport aux sponsors, etc. ». Mais il a toujours envie de voir la fin du film. Son record de France (20,75 mètres) correspond à une place de finaliste aux derniers Jeux. Les minima, hissés à 21,50 mètres ? « Jouables. »

De sa position, Romain Barras ne veut empêcher personne d'y croire, mais « à la fédé, résume-t-il, on est obligé d'avoir un minimum de lucidité et de tenir compte du niveau mondial ». Il voit même un côté « usurpateur » dans certaines cagnottes : « Si l'on devait rembourser les donateurs en cas de contrat non rempli, il y a des athlètes qui y réfléchiraient à deux fois. »

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Commentaires 3
à écrit le 26/02/2024 à 8:18
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Autant en politique il serait urgent de sortir un leader politique compétent grâce à cet outil, autant en sport en général les institutions françaises ont intérêt à intégrer d'abord et avant tout les meilleurs donc ces cagnottes en effet sont peu élo...

à écrit le 25/02/2024 à 15:28
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Si ils trouvent des pigeons pour leur filer du pognon à fond perdu pourquoi pas mais sans moi. Les résultats des français au JO , je m'en tape, le sport télévisé ne m'a jamais interressé ,lors les JO👎

à écrit le 25/02/2024 à 11:01
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J.O. 2024 ? Ne manquez pas de lire "Oxymore" de Jean Tuan chez C.L.C. Éditions. L'auteur observateur attentif de la Chine, le pays de son père, nous dévoile comment la Chine utilise tous les moyens pour que ses athlètes triomphent au niveau mondial....

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