Ces start-up qui vont aider la télévision à basculer dans le futur

La « vieille » télévision a compris qu'elle devait innover pour ne pas disparaître et s'adapter à un public connecté. Un riche tissu de start-up accompagne les diffuseurs traditionnels dans leur mutation.
L'écran d'accueil de Pluzz, service de rediffusion à la demande de France Télévision.

Des écrans TV de toutes marques, connectés par tous les dispositifs possibles : boîtiers Adsl des opérateurs télécoms, poste au format Hbbtv, recevant la TNT par une antenne classique et relié à Internet par une prise Ethernet, une console de jeux reliée au téléviseur et à Internet...

Devant un canapé, une table basse, couverte de télécommandes... Bienvenue chez Dotscreen, à Boulogne (92), société créée il y a quatre ans, qui développe des applications pour chaînes de télévision, services de vidéo à la demande comme Pluzz (la TV de rattrapage de France Télévisions en ligne et sur téléviseur connecté LG), opérateurs télécoms (sur la Livebox d'Orange, par exemple), et dessine des interfaces pour naviguer d'une application à l'autre.

Quand la TV apprivoise le Net

Quand Reed Hastings, le patron de Netflix prédit la disparition des chaînes de télévision « linéaires » au profit d'applications Internet, Stanislas Leridon, cofondateur de Dotscreen, estime, lui, que les flux d'images, linéaires ou pas, vont cohabiter sans distinction sur l'écran TV. Démonstration : on regarde une chaîne en direct. Une pression sur la télécommande et plusieurs pavés s'affichent en bas de l'écran : TV de rattrapage, offre spéciale pour revoir l'intégralité de la dernière saison d'une série, quelques jours avant le lancement de la suivante, vidéo à la demande... Avec la télécommande, on glisse d'un bloc à l'autre, on sélectionne, et le programme choisi remplace le flux de la chaîne. Dans la télévision du futur, « linéaire et non linéaire se confondent. Et personne n'a dit que les chaînes étaient condamnées à ne faire que du linéaire », insiste aussi Bruno Patino, directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques de France Télévisions. Dans l'immeuble Eos, jouxtant celui de Microsoft à Issy-les-Moulineaux, France Télévisions a installé sa direction de la télévision connectée et du développement. Là aussi, une salle de démonstration semblable à un magasin de téléviseurs et une table basse encombrée de télécommandes en tous genres. On y montre comment on peut revenir au début du programme en cours, avec la fonction Salto, zapper tout en marquant des programmes à regarder plus tard avec la fonction MaListe lancée le 23 octobre - deux fonctions inaccessibles pour l'heure sur les box des opérateurs, mais seulement en TNT sur TV connectée. Linéaire ou non, ce n'est plus la question... Les groupes audiovisuels n'ont pas attendu pour « délinéariser » leurs programmes.

Télévision de rattrapage, contrôle du direct pour mettre en pause, puis reprendre le visionnage : autant de fonctionnalités introduites depuis plusieurs années, grâce aux boîtiers des opérateurs Internet installés dans 15 millions de foyers français, et plus récemment en TNT sur les téléviseurs au format dit Hbbtv (entre 1million et 700000 postes actifs à ce jour).

Mais l'arrivée de Netflix catalyse la mutation en cours et accélère le basculement du monde de la télévision et de ses chaînes vers celui des applications Internet. S'ils ne veulent pas être engloutis, les diffuseurs audiovisuels doivent innover et vite. Et pas seulement en recherchant des contenus différents, des programmes « transmédias » ou multi-écrans, des humoristes sur YouTube. Ou en rendant l'image et le son toujours plus spectaculaires, avec l'ultra haute définition, les casques de réalité augmentée... Il leur faut aussi apporter à l'usager de l'écran TV une expérience proche de celle du monde des applications Internet.

Les majors sollicitent les start-up inventives

Ils peuvent s'appuyer pour cela sur un tissu de start-up agiles dont certaines ont déjà pignon sur rue, comme Dotscreen, Wiztivi et bien d'autres. Les nouveaux usages des spectateurs, la quête d'une « hyperdistribution » de leurs contenus sur tous les écrans (TV, PC, mobiles, tablettes), d'une interface fluide, concentrent une bonne part des stratégies d'innovation des acteurs audiovisuels. S'« il n'est pas question de confier cette stratégie entièrement à une start-up, on va chercher auprès d'elles des briques de solutions technologiques à agréger » pour obtenir plus vite le meilleur résultat, explique Patrick Holzman, directeur de CanalPlay, à Canal+. À la fin 2013, Canal+ a lancé CanalStart, programme d'accompagnement de quatre à cinq start-up par an. Les jeunes pousses peuvent bénéficier d'un soutien financier, de conseils, et tester leurs produits sur la base des abonnés Canal+. Quelque 200 projets venus du monde entier ont frappé à la porte. Les technologies de streaming qui améliorent l'encodage des flux vidéos et leur distribution sur Internet et sur tous les écrans, l'analyse des données (big data), la recommandation de contenus, font partie des domaines privilégiés par le groupe dans sa recherche de start-up partenaires.

La nouvelle box TV de Bouygues Telecom, Bbox Miami, lancée le 4 décembre, illustre aussi ces partenariats. Cette box, qui utilise le système d'exploitation Android de Google, est ouverte à toutes ses applications. Pour l'interface, Bouygues s'est appuyé sur I Feel Smart, une jeune société « avec laquelle nous discutions depuis trois ans, sans que leur activité corresponde à ce que nous faisions à l'époque », raconte Pierre Schaller, directeur de l'innovation de l'opérateur, qui insiste sur l'intérêt de savoir construire dans la durée un réseau de start-up.

Shy Shriqui et Xavier Bringue, les cofondateurs de I Feel Smart, se sont rencontrés chez Orange. Ils ont commencé à travailler sur leur projet avant d'essaimer hors de l'opérateur. Leur conviction, « c'est qu'on doit rapprocher l'interface du téléviseur, de la qualité, de la simplicité et de la fluidité de celle d'une tablette. Sinon il sera délaissé par les nouvelles générations ». Pour le moteur de recommandation de la vidéo à la demande sur la Bbox Miami, I Feel Smart a trouvé un partenaire, une autre start-up, Spideo.

Le 16 décembre, Bouyues Télécom attribuera, dans le cadre de son Challenge Start-up, un trophée « Décodeur Android » doté de 20 000 euros, à une application qui « enrichira l'expérience ou révolutionnera les usages de la TV ».

Autre signe de cette attention nouvelle du monde de la télévision pour les jeunes pousses innovantes : en avril 2014, le MipTV, marché des programmes audiovisuels à Cannes, organisait pour la seconde fois une compétition de start-up, le MipCube Lab, en partenariat avec l'agence FaberNovel, spécialiste de la transformation numérique des entreprises. La compétition ne portait pas sur les contenus, mais sur des solutions technologiques pour diffuseurs, annonceurs ou régies publicitaires. Une centaine de dossiers ont été reçus, d'Europe, de Californie... Maîtrise des données pour mieux personnaliser les contenus, les recommander, publicité interactive et ciblée, outils pour la production (casting en ligne, par exemple) : telles sont les grandes thématiques des sociétés qui ont concouru, se souvient Caroline Pandraud de FaberNovel. C'est une société française, TvtY, qui l'a emporté, entre deux finalistes américains, un britannique et un australien. Sa plate-forme de « marketing du moment » synchronise la publicité sur le Web avec ce qui se passe sur un écran télévisé. Ainsi, pour le Téléthon, les 5 et 6 décembre, France Télévisions Publicité a conçu avec TvtY une campagne qui suit en temps réel l'évolution des dons. Les publicités pour l'Association française de lutte contre la myopathie (AFM) sont envoyées sur les sites Web de France Télévisions, avec des scénarios qui s'adaptent aux paliers de dons atteints.

Toutefois, les start-up du secteur aimeraient que les groupes audiovisuels dépassent le stade des expérimentations. Pour Stanislas Leridon (Dotscreen), les chaînes perçoivent encore trop souvent les sociétés comme la sienne dans une logique d'innovation, et pas encore d'exploitation, alors qu'un « tsunami » les menace. « Elles n'investissent pas assez dans les nouvelles formes de distribution », regrette-t-il. Pourtant, développer une application sur une console Xbox, par exemple, coûte autour de 70000 euros, et permet de toucher des millions de foyers, dans le monde entier. Aux États-Unis, le premier terminal d'accès à Netflix est la console PlayStation, reliée à la TV, remarque-t-il. Mais peu de chaînes françaises font l'effort d'être présentes sur cette console. L'hétérogénéité des écrans et mode de réception - TV connectée, tablettes, smartphones, boîtiers décodeurs, TNT, consoles - reste un frein à la mutation.

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