À Rennes, le scénario d’une entreprise dirigée par une IA générative passé au crible

Une IA est-elle capable de diriger une entreprise ? Si oui, quelles seront ses limites, ses faiblesses et comment pourrait-on maîtriser son pouvoir ? Imaginant le procès fictif d’une dirigeante ayant cédé son entreprise innovante à une IA baptisée Emma Thompson, la CCI d’Ille-et-Vilaine a exploré les impacts humains, éthiques, juridiques et organisationnels qui se posent aux entreprises. Une immersion instructive.
Lors de ce procès fictif, une avocate de la partie civile plaide pour faire condamner une cheffe d'entreprise pour avoir cédé sa société à une intelligence artificielle. Une manière de sensibiliser les entreprises à l'intégration de l'IA dans leurs organisations.
Lors de ce procès fictif, une avocate de la partie civile plaide pour faire condamner une cheffe d'entreprise pour avoir cédé sa société à une intelligence artificielle. Une manière de sensibiliser les entreprises à l'intégration de l'IA dans leurs organisations. (Crédits : CCI Ille-et-Vilaine)

Seulement 4% des entreprises françaises sont pleinement préparées à intégrer l'intelligence artificielle, révélait en novembre une récente étude publiée par le groupe technologique américain Cisco. Et pourtant, toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d'activité, intégreront demain de l'IA dans leur organisation.

Déjà membres à part entière de notre quotidien, d'Alexa à Siri, les IA dites faibles, selon la définition qu'en fait Elisa Fromont, professeur à l'Université de Rennes, peuvent ainsi prendre la forme d'un modèle prédictif servant à estimer des risques pour les assurances ou à détecter des maladies. Avec une IA faible, « la machine doit aboutir aux mêmes solutions que l'humain, peu importe la méthode, pour des tâches ciblées, nécessitant du raisonnement, de l'apprentissage ou de la prise de décision » avait précisé l'universitaire lors de l'Imagine Summit organisé le 7 décembre à Rennes.

Pourtant, pour les entreprises, l'arrivée des technologies génératives accélère la donne et leurs applications recèlent des possibilités bien plus avancées que ChatGPT. Dans le cadre d'un procès fictif de l'IA, organisé le 6 décembre à l'IRT b-com de Rennes, la CCI d'Ille-et-Vilaine a souhaité interroger la place que prendra demain cette technologie et son éventuelle capacité à diriger une entreprise. Un grand bond dans le futur pour mieux comprendre l'impact, les enjeux et les risques de l'IA sur les organisations.

Une accusée, des avocats, des experts

Fermez les yeux, vous êtes en janvier 2036 : la frontière entre l'humain et la machine s'est estompée, et la journée de Bruno est pilotée par l'intelligence artificielle et les robots autonomes. Comme les autres salariés de Mobility Less Carbon, une société leader dans la mobilité urbaine décarbonée, cet ingénieur R&D apprend que la dirigeante, gravement malade, a transmis son entreprise à Emma Thompson, une intelligence artificielle, actuelle directrice des productions. Inquiets, les salariés décident de déposer une « plainte en action collective pour discrimination à l'encontre d'êtres humains ».

Lire aussi« L'intelligence artificielle pose des enjeux sociétaux massifs » au travail, (Danièle Linhart, sociologue)

Le procès de Paule Le Gall s'ouvre le 4 juin 2036 au Tribunal européen de l'IA sur la base de trois chefs d'accusation :  discrimination, déloyauté, transhumanisme pour avoir donné le pouvoir à une IA américaine de « pérenniser sa conscience ». Les échanges entre les avocats, les experts et les témoins de la défense et de la partie civile appelés à la barre, s'engagent, sous l'œil de jurés appelés à condamner ou pas Paule Le Gall.

« Des repreneurs il y en avait, des Américains, des Chinois, des Russes, vous transmettriez une entreprise à des Russes aujourd'hui ? » questionne cette dernière. L'accusée explique qu'elle a décidé de créer Emma Thompson, une projection humaine à son image, puis de lui céder son entreprise, après avoir rencontré Mia, une IA à la tête d'une autre prospère société bretonne.

Automatisation sans limite, coût humain et climatique

Poussant la réflexion sur le rôle de l'IA dans les process industriels (automatisation, valorisation des tâches à forte valeur ajoutée...), dans l'invention de nouveaux métiers du futur (par exemple celui d'ambassadrice de la cohabitation des humains et des machines dans le milieu professionnel), dans le sens donné au travail (techniciens transformés en assistants de robots), ce vrai-faux procès a aussi exploré les conséquences sociales et psychiques (perte de confiance, angoisse...) de l'arrivée de l'IA au sein de Mobility Less Carbon.

Décrite sans empathie, sans émotion humaine dans ses relations de travail et la direction d'une entreprise, une IA dirigeante ne saurait, selon une salariée, être le reflet de ses employés ni de leurs valeurs.

« En croyant ses salariés comme incapables de reprendre son entreprise, Madame Le Gall les considère comme des idiots » juge pour sa part Cédric Sauviat de l'association française contre l'IA (AFCIA) ajoutant que « la quête de l'automatisation n'a pas de limite ». Une autre spécialiste revient, elle, sur le coût climatique de la version 17 de ChatGP : l'équivalent d'une dizaine de porte-avions en termes d'émission de carbone. Sur le plan humain, une IA « n'ayant aucune conscience » ne pourrait pas s'adapter à tous les contextes d'évolution de la masse salariale. Selon les données qui entraînent Emma Thompson, elle pourrait ne pas reconnaître un salarié non-blanc ni parler une langue qui ne lui a pas été intégrée.

Finalement, c'est l'humain qui tient l'outil

« Je ne suis pas la chose, mon créateur souhaitait que je m'intègre au monde et que je sois capable de faire ce que les humains doivent faire mais bien plus encore comme trouver des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique » se défend pourtant Emma Thompson, appuyée Stéphane Paquelet. Selon le responsable du laboratoire IA de b-com, l'action de ce robot très sûr de lui et à l'image très humaine, reste « très encadrée » par la législation française et européenne et par son conseil d'administration.

Lire aussiEmmanuel Macron tacle l'accord européen sur l'intelligence artificielle

« Ce partage des pouvoirs assisté par la technologie ne lèse ni les intérêts de l'entreprise ni l'intérêt général représenté par la loi » assure-t-il. Sur le plan de la sécurité et de l'authentification, les productions de l'IA peuvent aussi être garanties par un mécanisme de signatures. C'est l'humain qui tient l'outil confirme un autre expert, balayant tout risque d'ingérence d'un pays concurrent.

A l'issue des échanges, de la réquisition de la procureure et des plaidoiries des avocats, le public a rendu un jugement que nous ne dévoilerons pas. Organisé notamment avec l'Ordre des avocats de Rennes, ce vrai-faux procès immersif est désormais accessible en ligne sur YouTube. Virtuel mais instructif, il s'inscrit dans un programme d'acculturation à l'intelligence artificielle que la CCI d'Ille-et-Vilaine lancera début 2024.

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Commentaires 2
à écrit le 20/12/2023 à 14:02
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En France, bien des cadres et de dirigeants d'entreprise pourraient en effet être avantageusement être remplacés par des algorithmes bien moins chers et puis une IA n'a pas de sentiment alors que bien des responsables sont des bravaches fuyant leurs ...

à écrit le 20/12/2023 à 9:08
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Détournement d'argent public, piston, corruption, conflits d'intérêts... il va falloir quand même qu'elle en apprenne beaucoup l'IA !

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