Course à l'ordinateur quantique : pourquoi les ambitions d'Amazon sont à prendre très au sérieux

En retard dans la course aux technologies quantiques, Amazon a mis les bouchées doubles ces derniers mois, en recrutant de nombreuses pointures du secteur afin de fabriquer son propre calculateur quantique. Le leader mondial du commerce en ligne et de l'informatique en nuage -ou cloud- vise le "qubit stable" ou parfait, à l'aide d'une technologie développée uniquement jusqu'alors par... une startup française, Alice & Bob.
Sylvain Rolland
Amazon affiche désormais haut et fort ses ambitions dans le domaine des technologies quantiques. Et elles sont à prendre très au sérieux.
Amazon affiche désormais haut et fort ses ambitions dans le domaine des technologies quantiques. Et elles sont à prendre très au sérieux. (Crédits : Lee Smith)

Qui réussira à créer le premier ordinateur quantique, celui qui révolutionnera l'informatique en proposant une puissance de calcul inédite capable de résoudre des problèmes aujourd'hui insolubles ? Dans cette course mondiale au cœur de la stratégie française récemment dévoilée par Emmanuel Macron, les géants du numérique américains sont évidemment de la partie. Après IBM et Google -qui sont les deux plus avancés-, Amazon affiche désormais haut et fort ses ambitions dans le domaine. Et elles sont à prendre très au sérieux.

La firme de Jeff Bezos a multiplié les recrutements ces derniers mois, dans le but désormais clairement affiché de construire son propre calculateur quantique. Et pour cause : le calcul quantique promet de résoudre des problèmes informatiques qui dépassent la portée des meilleurs supercalculateurs actuels. Son secret : exploiter les lois de la mécanique quantique pour mener une quantité énorme de calculs simultanés plutôt successifs. Autrement dit, créer des outils plus puissants pour traiter l'information différemment, et transformer au passage des domaines tels que la découverte de médicaments, l'optimisation des portefeuilles financiers, l'intelligence artificielle ou encore le génie chimique et la science des matériaux. En tant que numéro un mondial de la fourniture d'infrastructures informatiques dans le cloud, Amazon doit logiquement être aux avant-postes, puisqu'il est particulièrement bien placé pour devenir le principal fournisseur d'infrastructures quantiques aux entreprises... si tant est qu'il détienne les technologies qui s'imposeront.

Lire aussi : Le plan quantique de 1,8 milliard d'euros de Macron salué par la filière

Haro sur les stars des technologies quantiques

L'enjeu stratégique est donc majeur pour Amazon. Jusqu'à présent, son incursion dans le quantique se limitait à un service baptisé Amazon Bracket. Lancé en 2018, il s'agit de la mise à disposition de matériel quantique pour les chercheurs et les scientifiques, afin de leur permettre d'en explorer le potentiel, sur la base des meilleures briques technologiques du marché. Amazon permet ainsi aux entreprises d'utiliser sur abonnement les redresseurs quantiques de D-Wave ou encore les ordinateurs à porte de Rigetti et IonQ, afin de trouver comment le quantique peut leur amener de nouvelles perspectives de développement.

Mais Amazon ne dispose d'aucune technologie quantique propre. Alors ces derniers mois, le géant basé à Seattle a recruté en masse pour former une véritable équipe de choc dédiée à l'informatique quantique. Ces physiciens et autres scientifiques de renom sont au total une centaine, ce qui suffit pour composer l'une des équipes les plus importantes au monde. Ils travaillent au sein d'une division baptisée Quantum Hardware Team, rattachée à Amazon Web Services (AWS), qui est la filiale "cloud" de la firme américaine.

Signe qu'Amazon a de grandes ambitions : l'entreprise n'a pas lésiné sur les moyens et vise les meilleurs talents mondiaux. Son plus grand coup est incontestablement de travailler avec de nombreux chercheurs du très prestigieux Institute for quantum information and matter (IQIM) de l'université californienne Caltech, et notamment avec son directeur depuis 2000, "star" de cet écosystème, le physicien John Preskill. Ce scientifique est une telle sommité que sa notoriété a dépassé le cercle des initiés : son compte Twitter est suivi par plus de 112.000 personnes. Autre grand coup : Amazon a recruté fin 2020 une autre pointure en la personne de Marc Runyan, ancien ingénieur au Jet Propulsion Laboratory de la NASA, qui a carrément pris le poste de chercheur principal en informatique quantique pour le géant de la tech.

Si Amazon a caché dans un premier temps ses intentions derrière ces recrutements, il a fini par lever le voile : construire le premier "vrai" ordinateur quantique, c'est-à-dire doté de qubits "stables", capables de réaliser une multitude de calculs simultanés, à l'échelle de l'infiniment petit, avec un taux d'erreur très faible voire inexistant. C'est, aujourd'hui, encore un fantasme. Car si certains acteurs -à commencer par Google- ont réussi à effectuer des calculs quantiques, les qubits nécessaires pour explorer en parallèle des espaces immenses de possibilités, sont terriblement imparfaits : dans la mesure où l'on ne sait pas encore "stabiliser" les qubits, de nombreuses erreurs se glissent dans les calculs, ruinant le potentiel de la mécanique quantique.

Lire aussi : Informatique quantique : « La France ne peut pas rater cette révolution technologique » Paula Forteza (députée LREM)

Amazon choisit une approche atypique -mais payante ?- pour trouver le qubit stable

Pendant des années, les acteurs du quantique ont fait la course au qubit : empiler le plus possible de qubits pour maximiser la puissance du calcul, quitte à générer énormément d'erreurs, en misant sur la rapidité du calcul. Ainsi, en 2019, Google a revendiqué la "suprématie quantique" après avoir réalisé en à peine 200 secondes un calcul sur la base de 53 qubits, qui aurait pris, selon lui... 10.000 ans aux meilleurs des supercalculateurs actuels. Mais la prouesse était en fait un mirage : un an plus tard, à l'automne 2020, trois chercheurs, dont un Français du CEA (le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives), ont mis au point un algorithme qui a transformé un simple PC de bureau en supercalculateur aussi puissant que celui présenté par Google, et qui a réussi à réaliser le même calcul en quelques heures.

Autrement dit, la performance de Google était très loin de réaliser les promesses du quantique. La faute à un taux d'erreur trop élevé. Mais cette expérience a montré, selon certains chercheurs, la voie à suivre : privilégier la "fidélité" -c'est-à-dire un taux d'erreur le plus faible possible- à l'empilement de qubits imparfaits. Ce qui permet de dessiner une trajectoire : lorsque la puissance du calcul quantique sera assortie d'un taux d'erreur beaucoup plus faible, alors l'informatique quantique l'emportera définitivement sur l'informatique classique en alliant enfin la rapidité du calcul à la fiabilité des résultats.

Lire aussi : L'écosystème français de l'informatique quantique : ses atouts, ses faiblesses

Arrivé plus tard dans la course à l'ordinateur quantique que les autres géants américains, Amazon paraît donc devoir combler un net retard. Mais en réalité, l'ogre de Seattle conserve toutes ses chances, d'autant plus qu'il dispose de la puissance financière et des infrastructures pour investir massivement dans la recherche. Le jeu est, en effet, très ouvert : on ne sait pas encore quelle technologie réussira à stabiliser les qubits de manière efficace, et tous les acteurs naviguent les yeux bandés, condamnés à faire des paris technologiques en espérant trouver le Graal.

Le choix d'Amazon dans ce domaine est très intéressant. Dans un article scientifique de 118 pages révélé en mars, le groupe explique que la méthode qu'il a choisie pour son futur ordinateur quantique est celle des "qubits de chat", explorée jusqu'à présent par une startup parisienne, Alice & Bob, qui a prouvé leur existence dans un article scientifique paru dans la revue Nature Physics il y a quelques mois. Un qubit de chat est un qubit "idéal", sans erreur, basé sur l'état quantique du chat de Schrödinger placé dans une boîte, qui peut à la fois être vivant et mort tant qu'on a pas ouvert la boîte. Cette technologie apporte une solution autonome et intégrée au problème central de l'ordinateur quantique, la correction des erreurs.

Jusqu'à l'article scientifique dans Natur Physics et la reconnaissance d'Amazon qui se base quasiment intégralement sur cette technologie française pour développer son propre ordinateur quantique, l'approche de Alice & Bob était une "curiosité" dans la communauté du quantique, comme le raconte le cofondateur et CEO de la startup, Théau Peronnin :

"Même si notre approche reste un circuit supraconducteur comme le font Google ou IBM, Alice & Bob était à la marge dans la communauté du quantique car nous faisons de la stabilisation autonome du qubit, ce qui ne paraissait pas une méthode potentiellement gagnante jusqu'à la publication de notre article scientifique. Dans celui d'Amazon qui explique leur stratégie, l'article expérimental pionnier de mon associé Raphael Lescanne est cité 21 fois, notre feuille de route théorique est citée 7 fois, et le composant que nous avons inventé pour y parvenir, l'Asymmetrically Twisted SQUID (ou ATS) est cité plus d'une centaine de fois. Le fait qu'Amazon s'inspire quasiment intégralement de notre approche nous crédibilise forcément dans la course mondiale, car nous bénéficions d'une avance technologique sur eux", estime l'entrepreneur auprès de La Tribune.

Voilà donc Amazon en concurrence frontale non seulement avec les géants IBM et Google déjà bien avancés, mais aussi avec de nombreux autres challengers, dont la petite startup française Alice & Bob, qui a déjà le mérite, grâce à sa technologie, de corriger l'un des deux types d'erreurs des calculs quantiques, celui du retournement d'état quantique (quantum state flip). Autrement dit, Alice & Bob, et certainement, bientôt, Amazon, peuvent prendre une petite longueur d'avance sur la concurrence dans cette course trépidante au premier ordinateur quantique.

Lire aussi : Le canadien D-Wave et ses calculateurs quantiques pas comme les autres

Sylvain Rolland

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Commentaires 15
à écrit le 06/05/2021 à 22:50
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Aux journalistes de la tribune. Vous êtes encore victime du biais d'autorité. Comme c'est Amazon, c'est du sérieux, donc vous en parlez. Mais l'entreprise qu'il faut prendre au sérieux, c'est Alice et Bob, qui pourrait devenir le futur leader du ...

à écrit le 06/05/2021 à 17:19
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@lachose ça y va, la propagande cryptomonnaie. ça en est presque robotique, ou carrément de l'AI ? : fantastique !

à écrit le 06/05/2021 à 15:59
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Si ça marche, la première application sera pour casser les blockchains. Et surtout ceux des cryptomonnaies. On va bien rigoler.

le 06/05/2021 à 17:11
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"Et surtout ceux des cryptomonnaies" Il a créé l'Ethereum en 2013 à l'âge de 19 ans seulement. Mais huit ans après, Vitalik Buterin est désormais un milliardaire, nous rapporte CNN Business. Car l'homme de nationalité russe et canadienne a en sa p...

le 06/05/2021 à 17:33
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@lachose Ce qui est magique avec les plus-values potentielles c'est qu'elles ne sont pas réelles à défaut de contre-partie sur le marché et comme le marché des cryptomagouilles est illiquide...

à écrit le 06/05/2021 à 14:52
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Encore une contrefaçon vendue par Amazon... Aucune estimation du coût de développement logiciel des programmes quantiques car comme le dit l'adage, sans maîtrise la puissance n'est rien!

à écrit le 06/05/2021 à 10:01
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On a l'impression que l'ordinateur quantique, c'est pour demain et pour tout le monde. Vu la complexité des machines, l'environnement nécessaire à leur fonctionnement, les coûts de d'entretien ne seront à la portée que d'institutionnels ou de grandes...

à écrit le 06/05/2021 à 9:45
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Oui il faut prendre en compte tous les acteurs les chercheurs et les ingénieurs qui developpent le quantique dans le monde. c'est une recherche mondialeet qu'il faut être prêt à definir concevoir et réaliser. l'informatique de demain sera quantique !...

à écrit le 06/05/2021 à 8:52
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L'esprit humain est quantique : oui, non, peut être. Pour l'informatique c'est une chimère !

le 06/05/2021 à 9:39
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L'informatique quantique n'est pas une chimère mais bien une réalité physique qui permet de determiner la puissance d'une nation dans le domaine des qbits et du futur. DOnc soyons prêt à changer de paradigme technologique ! Non ce n'est pas du vent m...

à écrit le 06/05/2021 à 8:49
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Ben parce que l'entreprise est bourrée de fric parce que son patron ne se gave pas dessus.

à écrit le 05/05/2021 à 16:30
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L’essentiel ce sont les données a traiter et leur interprétation, le reste n'a aucune valeur!

à écrit le 05/05/2021 à 15:54
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Les Mulliers du groupe Auchan ont eux aussi lancé une campagne de recrutement...

le 06/05/2021 à 9:18
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En payant des salaires mirobolants comme toujours... Il y a encore un long chemin avant que ces vieilles boites francaises acceptent de mettre le prix pour avoir de bons ingenieurs.

à écrit le 05/05/2021 à 15:29
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"pour mener une quantité énorme de calculs simultanés plutôt successifs. " plutôt que successifs ? (voire "et non pas successifs")

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