Au lendemain du remaniement ministériel, le choix de placer le numérique sous la responsabilité d'un secrétariat d'Etat et non plus d'un ministère, avait de quoi interroger sur l'intérêt porté par le gouvernement aux sujets d'innovation et d'intelligence artificielle. Et ce qui pouvait être perçu comme un mauvais signe, d'être battu en brèche moins de 24 heures après par le ministre de l'Économie lui-même.
Renforcer les investissements dans l'IA
Invité à Cannes au World AI Cannes Festival (WAICF), dédié à l'intelligence artificielle, Bruno Le Maire - accompagné de la nouvelle titulaire du poste Marina Ferrari - a d'abord brossé un portait positif de la France, qu'il estime être « la première nation en Europe sur l'intelligence artificielle ». Une place de leader qui s'appuie, affirme le ministre, sur la qualité des scientifiques - ceux issus du CEA, de l'Inria ou de Polytechnique et que « le monde entier nous envie » - sur l'énergie décarbonée qui rend le pays compétitif, sur le modèle open source - « qu'il faut soutenir et développer » - et enfin sur l'esprit d'entreprendre, celui des OVHCloud, Scaleway ou Mistral AI.
Pour autant, le ministre de l'Économie a aussi souligné les faiblesses. A commencer par le manque de fournisseurs de puissance de calcul tricolores, ce qui oblige actuellement les entreprises à avoir recours à des fournisseurs américains. Vient ensuite le financement. Le patron de Bercy déplore que « les investissements dans l'intelligence artificielle sont nettement plus faibles en France et dans les autres pays européens qu'aux Etats-Unis : quand nous misons 3 milliards d'euros, les Américains mettent 60 milliards d'euros sur la table », affirme-t-il. Et de suggérer une Union des capitaux bancaires.
Stendhal vs Twain ou l'enjeu de la souveraineté civilisationnelle
Mais c'est surtout en proposant la création d'un marché unique européen de la donnée que Bruno Le Maire veut frapper un grand coup. Une question de souveraineté civilisationnelle, pointe-t-il. « ChatGPT doit avaler autant de pages de Stendhal que de Mark Twain. C'est notre civilisation, notre mémoire collective qui sont en jeu. Sinon, il sortira du 21ème siècle une culture qui n'est plus la nôtre ».
L'objectif est d'éviter d'être soumis à des IA qui n'intègrent pas les particularités et la culture du Vieux Continent, en facilitant la tache des innovateurs européens de l'IA. « En anglais il existe une expression qui dit « Winners take it all ». « Les gagnants emportent tout. La puissance publique ne peut pas laisser faire le pillage de la donnée. Il faut remettre de la concurrence équitable face au monopole des géants de l'IA. Il est indispensable de réguler le marché de la donnée pour éviter la spéculation ».
Les propos de Bruno Le Maire reprennent en réalité la stratégie européenne pour les données. Son objectif : permettre la libre circulation des données au sein de l'UE et entre les secteurs, dans l'intérêt des entreprises, des chercheurs et des administrations publiques. C'est notamment l'objet du Data Act, le nouveau règlement européen sur les données en application depuis janvier 2024. Celui-ci établit de nouvelles règles pour déterminer qui peut accéder aux données et les utiliser, et à quelles fins, dans tous les secteurs économiques de l'UE. Le texte de loi prévoit notamment la création d'espaces de données communs et interopérables, comme « une place de marché de la donnée », pour reprendre l'expression employée par Bruno Le Maire.
A lui désormais, avec Marina Ferrari, de mettre en musique les nouvelles dispositions de l'UE. Les nouvelles règles du Data Act devraient générer 270 milliards d'euros de PIB supplémentaire pour les États membres de l'UE d'ici à 2028, en s'attaquant aux problèmes juridiques, économiques et techniques à l'origine d'une sous-utilisation des données. D'autre part, dans les prochains jours, la commission de l'intelligence artificielle rendra ses conclusions concernant les mesures à prendre pour placer l'Hexagone dans la compétition internationale. Pour rappel, la France accueille cette année le sommet de l'IA, pour sa seconde édition, après le Royaume-Uni.
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