Pour éviter que les médias perdent la bataille de l'IA, le Conseil national du numérique donne ses recommandations

Suite à une audition de l'économiste Joëlle Toledano et de la philosophe Anne Alombert, le Conseil national du numérique (CNNum) publie une note sur les conséquences de l'arrivée de l'intelligence artificielle générative dans l'espace informationnel. L'objectif ? Que les médias obtiennent leur part du gâteau dans le nouvel équilibre de l'économie numérique de l'information, une fois de plus bouleversée par une transformation.
François Manens
Face à l'émergence de l'intelligence artificielle, les médias doivent se défendre.
Face à l'émergence de l'intelligence artificielle, les médias doivent se défendre. (Crédits : DADO RUVIC)

Le secteur des médias n'a pas fini de défendre sa part du gâteau dans le monde numérique. Après avoir gagné un long bras de fer pour arracher à Google et Facebook des accords sur les droits voisins, le secteur va au devant de nouveaux conflits avec l'émergence des intelligences artificielles génératives, ces outils qui n'hésitent pas à piocher dans leurs contenus et se présentent de plus en plus comme des sources d'informations. « Les intelligences artificielles génératives ont ravivé la question de la captation, par quelques entreprises, de la valeur générée par un grand nombre d'acteurs, dont les acteurs de la presse », estime le Conseil national du numérique (CNNum).

Pour anticiper sur les difficultés à venir, il publie aujourd'hui une note avec deux grandes recommandations, issue de l'audition de l'économiste Joëlle Toledano et de la philosophe Anne Alombert dans le cadre des Etats généraux de l'information. Premièrement, les deux expertes proposent la mise en place d'une plateforme de confiance pour évaluer « la contribution à la création de valeur des acteurs de l'économie numérique », et notamment la valeur économique des informations utilisées par les IA . En parallèle, elles suggèrent une plus grande ouverture des réseaux sociaux, dans la suite de la récente législation européenne, afin que leurs propriétaires ne soient plus les seuls bénéficiaires de la monétisation de l'information.

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Mesurer l'apport des acteurs de l'information

Le Conseil prévient : les médias ne doivent pas reproduire les erreurs du passé, lorsque l'émergence d'Internet a mené à « une appropriation de l'espace informationnel numérique par quelques acteurs privés hégémoniques  », c'est-à-dire à une mainmise du moteur de recherche de Google et des réseaux sociaux (Facebook, Twitter...) sur la monétisation de l'information.

L'arrivée des outils d'IA générative, déclenchée par ChatGPT fin 2022 commence déjà à poser des problèmes similaires. Les assistants d'IA se placent de plus en plus comme des intérimaires de confiance pour accéder à l'information et le moteur de recherche Perplexity va même jusqu'à directement répondre aux interrogations des internautes avec un résumé d'IA. Le tout alors que leurs connaissances, particulièrement sur l'actualité, proviennent souvent des médias qui fournissent des informations vérifiées, une denrée rare sur internet.

Pour que cette fois, les sociétés de presse récupèrent leur part du gâteau dès le début, le Cnnum rappelle la nécessité d'évaluer la valeur économique générée par les informations utilisées par les IA. Autrement dit, de mesurer concrètement l'apport de chacun dans la nouvelle économie de l'information en train de se mettre en place. « C'est une condition nécessaire à l'établissement d'un système de rétribution équitable des ayants droit qui ne dépende pas du seul rapport de force entre les acteurs », estiment le Conseil.

Face à la menace, la presse désordonnée

Le problème, comme le relève la note, c'est que calculer la valeur des informations exploitées par les IA est pratiquement impossible. Les développeurs d'IA ne divulguent pas, pour l'écrasante majorité, quelles données ont nourri leurs grands modèles. Et même s'ils le faisaient, il reste très difficile d'établir si l'accès à certains articles est légitime et légalement exploitable sans rétribution. Mais ce n'est pas tout : « il demeure impossible en l'état de déterminer dans quelle mesure ce qui prévaut dans le résultat produit est la quantité et/ou la qualité des données, les facultés de calcul ou encore la qualité des modèles », rappelle le CNNum, avant d'ajouter que « définir maintenant les modes de rémunération n'a pas beaucoup de sens alors que les modèles économiques sont en devenir », qui « conduirait simplement à favoriser les acteurs aux poches les plus profondes ».

C'est ici que la bât blesse. Si Joëlle Toledano et Anne Alombert appellent à ouvrir la réflexion à l'échelle du secteur, plusieurs médias (à l'international) sont déjà passés à l'action de leur côté. En décembre, le groupe de presse allemand Axel Springer (PoliticoInsider...) a en premier négocié un partenariat avec OpenAI (le créateur de ChatGPT) : il accepte que les IA de son allié se nourrissent des articles réservés à ses abonnés, en échange d'une somme d'argent (inconnue, mais qui dépasserait le million d'euros) et d'une mise en avant sur ChatGPT. Mardi, plusieurs médias, dont Semafor, ont quant à eux signé un accord avec Microsoft pour utiliser l'IA dans leur offre de veille informationnelle. L'outil se charge de résumer les articles des sites de presse (sans aucun accord préalable avec les médias concernés), et un journaliste humain se charge d'éditer la version finale. Dans un style opposé, le géant New York Times s'est lancé seul dans une procédure judiciaire contre OpenAI afin de récupérer de l'argent... tout en lançant en parallèle ses propres expérimentations sur l'IA. Bref, chacun essaie de faire aboutir la nouvelle situation à son avantage, en mettant au second plan les enjeux du secteur.

Ouvrir les réseaux sociaux

Pour autant, la note du CCnum ne se limite pas à la place des  IA et rappelle les problèmes déjà existants, comme la place des réseaux sociaux dans l'économie de l'information. Les expertes accusent la mainmise des propriétaires de plateforme d'être à l'origine de plusieurs phénomènes néfastes, comme l'explosion de la désinformation.

Leur solution : considérer les réseaux sociaux comme une somme de fonctionnalités, et permette à des acteurs tiers de proposer des alternatives à ces fonctionnalités. Par exemple, dans leur vision, des entreprises tierces pourraient proposer un service de modération sur X (ex-Twitter), afin de ne pas dépendre de celui existant, délaissé par Elon Musk. « En considérant chaque fonctionnalité comme pouvant être fournie par une entité tierce au réseau social propriétaire, chacune de ces fonctionnalités devient le terrain d'innovations multiples au bénéfice de l'utilisateur et possiblement du réseau social lui-même », défend le CNNum.

François Manens

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Commentaires 6
à écrit le 07/02/2024 à 12:14
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Toute la crédibilité des médias se joue dans l'utilisation ou non de l'IA ! On préférera bientôt "le bouche à oreille" pour info !;-)

le 07/02/2024 à 19:29
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Le bouche à oreille est bien pire encore entre celui qui a vue celui qui a vue qui a vue celui qui a tué l'ours etc... a l'arrivée ???

le 08/02/2024 à 9:04
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Bref ! Ce qui veut dire que cela ne va pas s'arranger !

à écrit le 07/02/2024 à 12:13
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Toute la crédibilité des médias se joue dans l'utilisation ou non de l'IA ! On préférera bientôt le bouche à oreille pour info !;-)

à écrit le 07/02/2024 à 11:13
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les médias? il suffit de parler plusieurs langues pour comprendre que c'est déjà perdu ! la seule chose qui pouvait permettre la crédibilité, était avant le covid. Depuis, franchement la propagande a pris la place ! Du coup, si cela concerne les g...

à écrit le 07/02/2024 à 10:13
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Le deep learning ne remplacera jamais le journalisme d'investigation, si par contre une IA un jour est inventée là elle pourra les aider les journalistes d'investigations car il faut distinguer avec cette technologie les métiers inutiles, parasites m...

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