Spéculer avec ChatGPT ? Le conseil en investissement s’empare de l’IA générative

Va-t-on devenir des investisseurs hors pair à la tête d'un solide patrimoine grâce aux conseils de l'intelligence artificielle générative ? Outre-Atlantique, la course est lancée entre les poids lourds de la finance. En France, les banques françaises, telles BNP Paribas et la Société Générale, expérimentent les nouveaux usages de ces assistants de nouvelle génération.
Jeanne Dussueil
(Crédits : Reuters)

« Quel est, aujourd'hui, l'investissement optimal que je dois réaliser pour avoir un meilleur rendement ? ». A cette question traditionnelle d'un investisseur particulier à son conseiller, ce sera, peut-être bientôt, un logiciel imitant une voix humaine qui y répondra. Avec la démocratisation fracassante de ChatGPT, ce scénario est si probable que des chercheurs de l'Université de Hongkong viennent de rendre leurs conclusions sur des tests menés cet été sur la célèbre intelligence artificielle générative d'OpenAI, sollicitée en tant que conseiller en investissement.

Et elles ne laissent aucun doute : « 82 % des recommandations d'actions de ChatGPT sont logiques et 16 % ne sont pas claires. Cela suggère que ChatGPT a une capacité de raisonnement en tant qu'analyste financier », ont écrit en juillet 2023 les universitaires après avoir testé l'apprentissage automatique supervisé du robot d'OpenAI.

« ChatGPT a la capacité de recommander des actions ou des actifs sur la base de données textuelles complexes sans structures », annoncent-ils.

Aussi, pour comprendre le marché actions, il faut pouvoir anticiper les grandes politiques monétaires. Et si ChatGPT était capable de décrypter les annonces de la Fed ? JP Morgan a franchi ce pas. Les analystes de la banque américaine ont ainsi utilisé un modèle d'intelligence artificielle pour analyser les déclarations et les discours de la Réserve fédérale américaine au cours des 25 dernières années afin de déterminer la nature des signaux politiques. Les perspectives de la banque centrale ont été évaluées sur une échelle que la société de services financiers appelle le "Hawk-Dove Score" (score faucon-colombe), rapportait Bloomberg en avril.

« Nous montrons que les modèles GPT sont sur le point de classer avec succès le langage politique dans une variété de contextes. Par conséquent, l'ère où les ordinateurs peuvent interpréter la communication de la Réserve fédérale en utilisant l'approche narrative est peut-être arrivée plus tôt que prévu », font valoir deux chercheuses en recherche quantitative de la Réserve fédérale Anne Lundgaard Hansen et Sophia Kazinnik dans une étude publiée en août.

Dans la foulée, pour ses clients cette fois, JPMorgan a également annoncé qu'elle développait un service logiciel de type ChatGPT qui aide à sélectionner les bons plans d'investissement. Elle n'est pas la seule : BloombergGPT, MorganStanley... outre-Atlantique, la course est lancée entre les poids lourds de la finance. Pour eux, le champ d'action de l'IA générative appliquée au conseil en investissement est vaste : automatiser les tâches, personnaliser les conseils, formuler des recommandations, gérer les risques, superviser les investissements, analyse des données, prendre de décision éclairée, faire de la gestion de portefeuille automatisée, détecter des fraudes, respecter la conformité... Au final, pour les banques, il s'agit de réduire les frais et d'améliorer la qualité des services, tout en augmentant la réactivité.

Forte attente des clients

D'autant que grâce à sa facilité d'utilisation, les attentes des clients en matière d'IA sont déjà manifestes. « Un investisseur sur dix (11 %) utilise ainsi déjà l'IA pour construire son portefeuille, tandis que 35 % sont ouverts à l'idée d'utiliser cette technologie pour faciliter leurs décisions d'investissement », a relevé une enquête trimestrielle de l'investissement particulier, menée par la plateforme eToro auprès de 10.000 investisseurs dans 13 pays.

Encore plus marquant, 43 % de ces investisseurs particuliers pensent que l'IA représente l'avenir de l'investissement. Pour les autres, les autres raisons fréquemment invoquées à son utilisation sont que l'IA permet de gagner du temps dans la recherche (42 %) et de prendre de meilleures décisions (34 %). Un nombre important de personnes (30 %) pensent également que l'IA peut sélectionner de meilleurs investissements qu'un gestionnaire de fonds, observe eToro. En outre, 8% des investisseurs permettent déjà à l'IA générative de modifier leur portefeuille d'actifs.

« Transactions suspectes, transactions risquées, manquements aux procédures internes... L'IA générative pourra non seulement identifier ces activités et notifier les utilisateurs concernés, mais aussi les analyser et proposer des mécanismes de réponse », anticipe de son côté le cabinet KPMG dans une étude.

« L'intelligence artificielle n'est pas l'avenir, elle est le présent », constatent les experts.

L'assistant du conseiller sur « 100 cas d'usages » identifiés

Ces nouvelles solutions d'IA générative viennent en outre s'interfacer avec les technologies existantes, tels les robo-advisors et les « robots conversationnels », déjà utilisés par les grandes banques. « Avec MyMand@te, l'offre digitale de gestion sous mandat proposée par Banque Privée France à ses clients, le Groupe BNP Paribas Asset Management utilise un robo-advisor pour proposer un portefeuille « type », rééquilibré automatiquement en fonction des données de marché et du client », explique à La Tribune Hugues Even, Chief Data Officer du Groupe BNP Paribas.

La banque française a aussi identifié « près de 100 cas d'usages d'IA générative et a défini des lignes directrices pour l'utiliser en toute sécurité ».

Mais pour l'heure, au sein de BNP Paribas, l'IA générative est surtout envisagée pour assister les conseillers. « Les collaborateurs pourront par exemple être assistés par des assistants virtuels avancés pour les accompagner dans leur activité et leur permettre de consacrer davantage de temps au conseil et à l'accompagnement de leurs clients grâce à l'automatisation de certaines tâches (Extraire et analyser plus rapidement des données, produire des contenus, mieux rediriger les demandes, coder dans différents langages informatiques...», détaille Hugues Even.

500 millions d'euros de création de valeur d'ici à trois ans

La course aux cas d'usage est d'ailleurs lancée. « La donnée et l'intelligence artificielle sont des leviers stratégiques d'efficacité et de satisfaction client pour le groupe qui vise environ 500 millions d'euros de création de valeur d'ici 2026 (il s'agit de la création de valeur estimée en rythme annuel des cas d'usage liés à la donnée et à l'IA) », explique le groupe Société Générale à La Tribune.

La banque française, qui exploite déjà des solutions d'analyse de données, a, elle, identifié « 600 cas d'usages de la donnée dont 50 % s'appuient sur de l'IA », « à imbriquer dans les modèles existants ».

« Des expérimentations sur l'IA générative sont notamment en cours chez BoursoBank (Boursorama), mais aussi dans la banque de détail réseau SG France », détaille-t-elle.

Pour rappel, l'IA générative est alimentée par des modèles d'apprentissage machine (ML) - de très grands modèles (connus sous le nom de Large Language Models ou LLM) qui sont pré-entraînés sur de vastes quantités de données et communément appelés modèles de base (FM).

L'usage n'est d'ailleurs pas nouveau. « Des modèles quantitatifs sophistiqués sont utilisés depuis un certain temps dans la gestion des investissements. Certains d'entre eux intègrent des éléments d'IA, tels que l'interprétation de textes et de discours de dirigeants d'entreprises pour y déceler des signes d'optimisme quant à la croissance future », note David Garcia, consultant en investissement du cabinet américain LCP.

La révolution se fait davantage sur l'accessibilité de l'IA. « BNP Paribas Asset Management travaille sur un cas d'usage d'IA générative dans le domaine de l'ingénierie financière : primo, pour personnaliser davantage le portefeuille client grâce à l'amélioration des algorithmes et, deuxio, pour générer du texte permettant aux conseillers d'expliquer plus facilement aux clients les attributions de performance du portefeuille (mouvements, titres achetés et vendus, rééquilibrage...) », résume encore le CDO.

Ce rôle d'assistant du conseiller, les chercheurs de l'université de Hong Kong l'ont également identifié : « L'IA générative fournit une nouvelle différence pour aider les gestionnaires de portefeuille potentiels à déterminer le portefeuille optimal et à servir potentiellement les investisseurs particuliers ».

En se « débarrassant d'un certain nombre de tâches basiques », les conseillers peuvent « surtout dégager du temps pour un conseil personnalisé », abonde Arnaud Bourdeille, associé du cabinet de conseil KPMG cité par l'AFP.

Les limites du service IA

Mais avec des limites toutefois. Entraîner la machine suppose de l'alimenter en données. Un sujet extrêmement sensible lorsqu'il s'agit des comptes de ses clients. « Nous avons interdit l'usage de ChatGPT à tous les collaborateurs », expliquait à l'AFP Sophie Heller, Chief Operating Officer du pôle Commercial, Personal Banking & Services de BNP Paribas.

Surtout, les banques traditionnelles vont devoir surveiller de près les pures players dont l'ADN digitale leur permet d'être plus agiles. Déjà, des applications dopées à la technologie GPT-3 se lancent, tel l'assistant financier personnel WallGPT, ou encore Michael AI, FinChat.io, Jarvis Invest, FP Alpha, Zumma, Pefin, énumère le MetaversePost.

« En tant que plateforme d'investissement centrée sur la technologie, nous avons l'avantage d'être agiles lorsqu'il s'agit d'explorer et de déployer l'IA. Nous déployons déjà des capacités d'IA pour améliorer l'efficacité de nos processus et l'expérience client », prévient Emmanuel Sackmann, directeur régional France d'eToro qui vient de lancer avec la société spécialisée dans l'IA générative Bridgewise un nouveau portefeuille capable « d'analyser des actions et qui examinera les plus grandes entreprises par capitalisation boursière pour les classer sur la base de prédicteurs de performance future, en allouant les actions les plus prometteuses au portefeuille.»

Mais de tempérer la course à l'IA : « la technologie est loin d'être irréprochable, comme en témoigne le premier exemple d'un ETF alimenté par l'IA, dont les performances ont été nettement inférieures à la moyenne. Nous devons nous rappeler qu'il s'agit d'une technologie naissante et qu'elle a besoin de garde-fous. »

Jeanne Dussueil

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Commentaires 2
à écrit le 15/11/2023 à 15:54
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chaque fois que des ingenieurs font de la finance, ils creent une catastrophe, vu qu'ils n'y connaissent rien en finance!!!!! les subprimes et les CDO CLO evalues par stochastique par de bons ingenieurs, bien intelligents, , ca a ete la derniere gran...

à écrit le 15/11/2023 à 9:50
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Pour le particulier lambda, sans aucun doute, vu que les fameux "conseillers en investissement", qu'ils soient bancaires ou indépendants, ne sont là que pour prendre une commission (exorbitante) et n'ont aucune idée de ce dont ils parlent. En même...

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