Alphabet, aux petits soins avec notre santé... et nos données

[OÙ VA GOOGLE ? 10/10] Avec ses quatre filiales, la maison mère de Google a appris à composer avec les corporatismes du secteur de la santé, très rétif au numérique. Petit à petit, elle prouve que ses logiciels peuvent améliorer la pratique médicale, sans encore la remplacer. Mais les progrès de l'IA sont spectaculaires et l'enjeu de la longévité un marché considérable.
(Crédits : DR)

En matière de santé, une chose est sûre : Alphabet sait soigner sa rentrée médicale. Sa filiale d'intelligence artificielle DeepMind vient de se montrer capable de diagnostiquer cinquante maladies de l'oeil à partir d'images de la rétine ! Cette étude conjointe de l'Institut d'ophtalmologie de l'University College de Londres et du Moorfields Eye Hospital a confirmé à la communauté scientifique que DeepMind peut assister les spécialistes avec des analyses fiables et rapides. Une bonne nouvelle pour les quatre filiales du groupe californien oeuvrant dans le domaine de la santé : Calico, Verily, DeepMind et CityBlock.

De fait, la santé est un terrain de jeu qui fascine Google depuis dix ans. Comme les autres Gafa, il l'aborde par le biais du wellness (bien-être) et des montres connectées. Mais après l'échec, en 2008, de Google Health, son dossier médical en ligne, il s'est réorienté vers la science et la thérapie. Dans un premier temps, il a lancé différents développements au sein de Google X (anciennement Google X Lab). Sa première filiale 100 % santé est la biotech Calico, lancée en septembre 2013, pour lutter contre les maladies liées au vieillissement.

Apprendre la patience

Au même moment, Google X ouvrait une division Life Science qui deviendra Verily en 2015. Ses missions sont plus diverses, à l'intersection de la technologie, des données et des soins. C'est elle qui porte des projets comme des lentilles de mesures glycémiques pour les diabétiques ou la cuillère destinée aux patients atteints de tremblements. Mais elle peine à retenir ses talents, qui lui reprochent un manque de priorités claires. Dans les complexes milieux corporatistes de la santé, où pullulent intermédiaires et chasses gardées, Google apprend les règles du jeu. Ainsi, en 2006, Anne Wojcicki, l'excompagne de Sergey Brin, l'un des deux cofondateurs du moteur de recherche, participe à la création de 23andMe, une société d'analyses génétiques grand public. Mais ce qui semblait une bonne idée doit s'arrêter, faute d'accord de la FDA (Food and Drug Administration, le régulateur américain de la santé) sur une pratique considérée comme médicale. C'est une première expérience de l'encadrement juridique strict du secteur. Google apprend donc la patience : les progrès du numérique sont très rapides, mais ceux des biotechnologies et de la génétique sont bien plus lents.

De nouveaux robots chirurgicaux

Un exemple ? Annoncées à grand bruit en 2014, les lentilles de contact mesurant le taux de glycémie ne sont toujours pas au point. Il faut dire que les expérimentations en santé ne sont pas aussi simples à développer que celles des algorithmes. Quand les solutions médicales sont testées sur des patients, les prises de risque doivent être réduites au minimum. Et les circuits d'essais cliniques sont très réglementés.

Pour légitimer ses positions, Alphabet a déjà embauché de nombreux grands scientifiques, comme Arthur Levinson, l'ancien DG de Genentech qui dirige aujourd'hui Calico. La société mise aussi sur les partenariats, ayant compris qu'elle ne pouvait développer seule ses bonnes idées. Depuis 2014, Verily travaille donc avec Novartis et la société d'appareils médicaux Dexcom, pour des capteurs de glycémie. Elle prépare aussi une nouvelle génération de robots chirurgicaux avec Johnson & Johnson. Calico, dont les activités sont plus confidentielles, s'est associée au groupe américain AbbVie. En 2017, elle a signé un partenariat avec C4 Therapeutics, spécialisée dans la dégradation des protéines.

Selon Patrick Biecheler, consultant chargé de l'industrie pharmaceutique et de la santé au cabinet Roland Berger, le groupe a su s'adapter sans empiéter sur des platesbandes bien gardées. « Avec DeepMind, il a mis en place un panel d'experts indépendants, comme cela se pratique dans les grands labos pharmaceutiques. Il reste sur son coeur de métier : collecter, stocker, analyser et interpréter les données. Il propose ses technologies aux professionnels de santé et aux laboratoires avec ses interfaces, ses applications et ses capacités de gestion des données pour planifier l'arrivée des patients ou traiter les retours postopératoires. Alphabet se place dans une logique de renfort de la pratique médicale, pas dans une logique de substitution. » Les filiales d'Alphabet se sont aussi rapprochées des établissements hospitaliers. DeepMind et Verily travaillent avec différents hôpitaux anglais, leur fournissant des applications utiles et... récupérant leurs données anonymisées pour nourrir le deep learning. Google a trouvé comment négocier ses bonnes idées : harmoniser les données, déterminer quels paramètres indiquent quelle pathologie ou quels résultats de tel traitement. Des informations qui servent bien l'avenir du secteur : utiliser au mieux les nouvelles technologies pour rendre la médecine plus fiable, plus efficace et moins coûteuse.

Analyses par smartphone

Selon Laurent Alexandre, auteur de La Guerre des intelligences (et actionnaire minoritaire de La Tribune), ces avancées numériques sont indispensables. « Alors que chaque patient aura bientôt plus de datas dans son dossier médical qu'il n'en existe sur le vol d'un A380, le stockage et le traitement des données de santé sont l'avenir de la médecine », explique-t-il avant d'insister sur le changement de modèle économique que suppose cette médecine 2.0 : « Nos hôpitaux nécessitent peu d'investissements mais d'énormes budgets de fonctionnement avec du personnel peu qualifié. La médecine par data aura besoin de gros investissements pour mettre au point des programmes fiables et efficaces. Mais les coûts de fonctionnement seront très réduits, on pourra proposer des analyses bon marché avec des smartphones dans des pays en voie de développement. » Dernier né chez Google, CityBlock, un nouveau réseau de centres de santé, compte se développer dans les grandes villes américaines pour les plus démunis. Une initiative négociée auprès des patients en échange de leurs données. Rien n'est totalement gratuit dans ce monde...

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| Où va Google ? Retrouvez les autres articles de notre Dossier spécial dans La Tribune Hebdo n°260 daté du 14 septembre 2018 :

H260, couv, La Tribune Hebdo,

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