Bourse : le coup de froid sur les valeurs tech se propage à la French Tech

Après un début d'année exceptionnel, les levées de fonds diminuent au niveau mondial, les valorisations chutent et de nombreux entrepreneurs choisissent de repousser ou de lever moins d'argent dans un contexte macroéconomique difficile. Avec quelques mois de décalage, la French Tech commence à sentir les effets de la fin de l'euphorie aux Etats-Unis autour des valeurs tech.
Sylvain Rolland
(Crédits : Lucas Jackson)

Quatre mois sans nouvelle licorne (Spendesk, fin janvier). Il y a quelques années, ce délai n'aurait rien eu d'anormal. Mais en 2021 et jusqu'à janvier 2022, la French Tech a compté pas moins de 14 startups valorisées au moins un milliard de dollars, soit plus d'une par mois. Depuis, le phénomène que l'on pensait bien lancé connaît un surprenant coup d'arrêt.

"Il y a eu de belles opérations depuis janvier, mais globalement la prudence et l'attentisme sont de mise, explique Franck Sebag, associé chez EY. Certaines startups qui s'apprêtaient à lever 100, 150, 200 millions d'euros ou plus pour obtenir le statut de licorne ont préféré repousser leur opération, ou alors lever moins", indique à La Tribune Franck Sebag, associé chez EY.

Retour sur Terre

Avec quelques mois de retard, la French Tech commence en fait à vivre la désillusion qui frappe la tech américaine depuis le début de l'année. Après une décennie d'euphorie, notamment les deux dernières années où le numérique s'est imposé comme le grand gagnant de la pandémie, le secteur vit un brutal retour sur Terre.

Les investisseurs doutent désormais de la capacité du secteur à maintenir sur la durée son hyper-croissance. Les résultats financiers décevants de Meta (Facebook), Uber, Google, Palantir ou Netflix au premier trimestre, doublés par des projections mitigées pour le deuxième trimestre, dans un contexte macro-économique tendu (remontée durable des taux des banques centrales, inflation galopante, pénurie des semi-conducteurs, tensions géopolitiques majeures avec la guerre en Ukraine, politique zéro-Covid en Chine...) impactent lourdement les Bourses mondiales. Et notamment le Nasdaq américain, qui a enchaîné huit semaines de baisse et perdu plus de 30% de sa valeur depuis le début de l'année.

"Il y a un vrai retournement de marché, estime Arthur Porré, partenaire fondateur chez Avolta Partners. Les investisseurs sont en train de corriger les excès de ces dernières années, notamment ceux de la période Covid où la tech était devenue un refuge en raison notamment des taux bas et du boost de la pandémie pour ces entreprises. Aujourd'hui, l'environnement macroéconomique a changé. Et plus les taux remontent, moins il est intéressant pour les investisseurs de miser sur des actifs risqués comme la technologie", explique Arthur Porré, partenaire fondateur chez Avolta Partners.

Effet de cascade : l'édifice s'écroule par le haut

Si les valeurs tech américaines ont commencé à sentir le vent tourner dès la fin de l'année dernière, la French Tech se refroidit depuis peu. Ainsi, le premier trimestre 2022 a encore marqué un record, avec 5,1 milliards d'euros levés entre janvier et mars, soit quasiment la moitié du total de 2021 et l'entièreté du total de 2020 ! "Le premier trimestre est historique en valeur absolue, mais dans le détail il y avait des signaux faibles de ralentissement, comme la concentration de la plupart des méga-levées de fonds sur le mois de janvier, ce qui signifie de beaucoup d'entre elles avaient été signées en fin d'année dernière", ajoute Arthur Porré.

Depuis, le ralentissement est contenu, mais réel : 802 millions d'euros en février (en-dessous de la moyenne de 2021, établie à 966 millions d'euros), 1,4 milliard en mars et, d'après les estimations d'EY, environ 760 millions d'euros en avril. Le mois de mai devrait baisser encore, et les experts consultés par La Tribune ne sont pas très optimistes pour les mois d'été.

"Il va y avoir quelques mois plus difficiles car la tech était en surchauffe. On assiste à un mouvement de ré-atterrissage des investisseurs, sur un certain nombre de paramètres de rationalité. Les valorisations baissent donc les entrepreneurs vont devoir gérer leur cash de manière plus efficiente tandis que les investisseurs vont davantage regarder la solidité du business model", analyse Paul-François Fournier, directeur exécutif de Bpifrance.

L'écosystème tricolore remarque déjà le -relatif- désengagement des fonds américains touchés de plein fouet par la chute du Nasdaq aux Etats-Unis. A commencer par les Coatue Management, Tiger Global Management ou encore Softbank, qui ont tous annoncé réduire drastiquement la voilure de leurs investissements dans les startups après avoir connu un trimestre catastrophe sur le plan des résultats financiers.

Softbank, qui est en partie responsable de l'explosion des montants levés en 2021 en France, a ainsi indiqué vouloir réduire d'au moins de moitié, voire de 75%, ses investissements dans les startups. Mécaniquement, la nouvelle frilosité des plus gros acteurs de la place, ceux qui gagnaient par ailleurs la plupart des gros "deals", impacte l'ensemble de l'écosystème.

"Il y a un effet cascade car l'édifice s'écroule sur lui-même, explique Arthur Porré. Les investisseurs voient que la situation macroéconomique bloque les sorties des startups, notamment les introductions en Bourse. Du coup, ceux qui financent les gros tours de table pré-IPO se tendent, font baisser les valorisations et réduisent leurs montants investis. Par ricochet, le financement d'hyper-croissance en prend aussi un coup, et ainsi de suite jusqu'à la Série A. S'ils ont encore du cash, les entrepreneurs qui ont levé il y a un an à des valorisations très avantageuses préfèrent aussi attendre. Tant que la correction du marché n'est pas terminée, la période est à l'incertitude".

Une reprise à l'automne ?

Pour nos experts, cette crise mondiale des valeurs tech est passagère. Tous mettent en garde contre les comparaisons faciles avec l'éclatement de la bulle Internet du début des années 2000. "La correction actuelle est spectaculaire mais c'est surtout car la Bourse avait un peu perdu de vue les critères de rationalité ces dernières années. Quand une startup est valorisée jusqu'à plus de 20 fois son revenu récurrent annuel, ce n'est pas tenable sur le long terme", relativise Arthur Porré.

Franck Sebag confirme. "Aujourd'hui les fondamentaux de la tech sont solides. Contrairement au début des années 2000, le numérique est partout, il transforme tous les secteurs, tout le monde l'utilise, et on sait que la plupart des business model fonctionnent. N'oublions pas que les champions du secteur, les Gafam, font partie des entreprises les plus profitables au monde. Ce n'est pas l'effondrement d'une bulle mais un retour sur Terre suite à des excès", ajoute Franck Sebag.

Nos experts ne s'inquiètent donc pas que le phénomène des "licornes zombies", c'est-à-dire ces licornes survalorisées mais au business model bancal, et qui commencent à s'effondrer outre-Atlantique, touche la France. Sur les 24 licornes françaises actives, seule une poignée est vraiment estimée à risque, notamment Meero -dont le statut de licorne est par ailleurs contesté- et BlaBlaCar, qui a pâti lourdement du Covid-19 mais qui a tout de même trouvé à se refinancer en avril dernier. Le secteur des cryptomonnaies et de la fintech sont aussi à surveiller car ils sont particulièrement vulnérables à la fin de l'euphorie sur les marchés.

meero

Lire aussi 2 mnPODCAST. «Les valorisations trop élevées amènent de bonnes comme de mauvaises choses», Thomas Rebaud (Meero)

Sylvain Rolland

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Commentaires 3
à écrit le 24/05/2022 à 14:33
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Effet passager , l'innovation est le moteur de la croissance et la prise de risques est le propre des entrepreneurs et des investisseurs !

à écrit le 23/05/2022 à 21:31
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Sans argent ,plus de licornes ! Les petits enfants qui croient au père Noël seront tristes . Vite,vite la fée quoiquilencoute ...

à écrit le 23/05/2022 à 18:50
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Ah, que cette nouvelle me fait plaisir, enfin, la crise qu'on attendait tous, comme une pluie rafraichissante après un temps lourd. Bon, là, ça risque d'être plutôt des grêlons gros comme des balles de tennis, on ne choisit pas toujours

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