Recrutements : les géants de la tech réduisent sérieusement la voilure

Conséquence d'une série de tensions inédites -pénurie des semi-conducteurs, retour de l'inflation et remontée des taux, guerre en Ukraine...-, les géants de la tech ont vécu un premier trimestre décevant et ont été sanctionnés en Bourse. Par ricochet, ils réduisent la voilure voire stoppent carrément leurs recrutements. Mais si ce coup de froid témoigne des difficultés du secteur, il s'agit surtout d'un retour sur Terre après des années fastes. De plus, le ralentissement de la prédation des talents tech par les géants n'est pas une mauvaise chose pour les autres.
Sylvain Rolland
(Crédits : Photo by Alex Kotliarskyi on Unsplash)

Après la chute des Bourses, la fin de l'euphorie dans la tech américaine se poursuit par un coup de frein sur les recrutements. De Facebook à Uber, en passant par Amazon et Twitter, plusieurs géants technologiques ralentissent le rythme de leurs recrutements ou y mettent carrément un coup d'arrêt. Un petit séisme alors que la tech avait traversé la crise du Covid-19 sans une égratignure ou presque, puisque la pandémie a donné un coup d'accélérateur inédit à la transformation numérique de l'économie et de la société.

Amazon en "sur-effectif", Meta "réévalue" ses besoins

Symbole du retournement de situation, Amazon, deuxième employeur aux Etats-Unis derrière Walmart, a laissé entendre lors de ses résultats financiers qu'il souhaite geler ses recrutements. Le géant de Seattle, qui employait 1,6 million de salariés dans le monde fin 2021 -soit plus du double qu'en 2019-, s'estime même en "sur-effectif".

"Alors que le variant Omicron a reculé dans la seconde partie du premier trimestre et que les employés sont revenus de congés, nous sommes rapidement passés d'une situation de sous-effectif à une situation de sur-effectif", a indiqué le directeur financier du groupe, Brian Olsavsky.

Même réduction de la voilure chez Meta, la maison-mère de Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp. L'empire de Mark Zuckerberg s'estime pénalisé, en plus du contexte général, par les nouvelles restrictions imposées par Apple au sujet du partage des données personnelles, qui affaiblissent ses revenus publicitaires.

Fin avril, David Wehner, le directeur financier du groupe, a donc évoqué un "ajustement" des objectifs d'embauche. "Nous réévaluons régulièrement notre vivier de talents en fonction de nos besoins commerciaux. A la lumière de nos dépenses prévisionnelles, communiquées lors de nos derniers résultats, nous ralentissons la croissance" du recrutement, a précisé l'entreprise, tout en précisant que l'objectif de long terme restait d'augmenter les effectifs du groupe, qui employait 77.805 personnes fin mars, en hausse de 28% sur un an.

Se faire embaucher désormais est "un privilège" pour Uber

Chez Uber, qui a perdu 6 milliards de dollars au premier trimestre 2022 en raison de ses participations dans des startups à la santé financière chancelante, il n'est même plus question de recrutements. Le patron de l'entreprise de VTC, Dara Khosrowshahi, a écrit dans un courriel adressé aux employés que les nouvelles embauches devraient être "traitées comme un privilège".

On serre aussi la vis chez Twitter, qui vit une période trouble puisque le réseau social est en train de se faire racheter par Elon Musk. Parag Agrawal, son CEO, a annoncé aux employés la semaine dernière le remplacement de certains dirigeants et la suspension de tous les "recrutements non-essentiels". La raison évoquée : l'entreprise n'aurait pas atteint ses objectifs intermédiaires fixés lors de la pandémie.

Accumulation des difficultés macroéconomiques et géopolitiques

Au-delà des cas particuliers et des difficultés propres à chaque entreprise, les géants de la tech pâtissent d'une série de mauvaises nouvelles macroéconomiques et géopolitiques, comme l'ont montré les résultats financiers du premier trimestre 2022, globalement décevants. Netflix a ainsi accusé sa première perte sèche d'abonnés (-200.000) en dix ans, tandis que la croissance de Google, Meta (maison-mère de Facebook), Uber ou encore Palantir a été inférieure aux attentes, provoquant une sanction boursière.

Surtout, les perspectives ne sont pas radieuses. La pénurie de semi-conducteurs est partie pour durer, ce qui touche de plein fouet le secteur de la tech. De son côté, le retour de l'inflation force les entreprises à augmenter nettement les salaires pour rester compétitives, d'autant plus dans un contexte de crise des talents qui tire déjà les salaires vers le haut. La hausse à venir des taux fixés par les banques centrales pénalise également tout particulièrement le secteur de la tech, qui s'appuie particulièrement sur le marché boursier ou des investisseurs privés pour financer leur hyper-croissance. A Wall Street, le sous-indice du S&P 500 regroupant le secteur des technologies de l'information a chuté de plus de 22% depuis le début de l'année, le Nasdaq de près de 25%.

Enfin, la guerre en Ukraine -qui a poussé de nombreuses entreprises à se retirer de Russie, dont Netflix qui aurait pu éviter de se retrouver dans le rouge s'il n'avait pas dû se couper de ses abonnés russes- ou encore le confinement strict en Chine -le pays refuse de sortir de la stratégie zéro Covid- contribuent à pénaliser les champions de la tech.

Retour à la normale après l'euphorie Covid

Faut-il s'inquiéter du ralentissement, voire de l'arrêt dans certains cas, des recrutements des géants de la tech ? La fin de la période d'euphorie n'est pas synonyme de déclin de l'ensemble du secteur, mais plutôt d'un retour sur Terre.

"De nombreuses entreprises de la tech ont répondu à une demande croissante pour les services numériques en recrutant, et ont fait grossir leurs chiffres d'affaires au cours des deux dernières années", explique Terry Kramer, professeur-adjoint à l'école de commerce de UCLA, à l'AFP, tout en citant le cas emblématique de la plateforme de vidéoconférences Zoom.

"Une bonne partie de ce que nous observons en ce moment correspond à une phase de maturité dans l'adoption des technologies, au cours de laquelle ces entreprises ne peuvent pas et n'ont pas besoin de continuer à croître au même rythme", poursuit-t-il.

Autrement dit, la correction boursière actuelle et le coup de froid sur les recrutements ne sont pas le signe d'une bulle tech qui explose, mais simplement d'une correction, certes impressionnante, liée à un environnement de taux plus élevés. Car les fondamentaux n'ont pas changé : la révolution numérique est toujours en cours et devrait continuer de s'intensifier dans les années à venir. De plus, le secteur de la tech reste en grande tension sur les talents, ce qui signifie que si les géants deviennent durablement moins voraces, la situation pourrait se détendre un peu pour les autres.

Sylvain Rolland

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