Informatique quantique : le français Pasqal cherche « plusieurs centaines de millions de dollars », Quantonation et l'Etat sont mobilisés

Profitant d'un déplacement dans ses locaux du ministre du Numérique Jean-Noël Barrot et du prix Nobel 2022 de physique Alain Aspect, le fondateur et directeur général de Pasqal, Georges-Olivier Reymond, a annoncé chercher « plusieurs centaines de millions de dollars » pour sa prochaine levée de fonds en 2023. L'objectif : accélérer le développement de sa technologie de rupture qui lui permet d'espérer devenir un leader mondial de l'informatique quantique. Problème : l'argent manque en France pour les deeptech. Le gouvernement et Quantonation, le premier et seul fonds spécialisé du secteur en France, le savent et comptent agir. Explications.
Sylvain Rolland
(Crédits : Pasqal)

Pour gagner la course au premier ordinateur quantique, capable de réaliser simultanément un très grand nombre de calculs sur la même machine plutôt que les faire les uns après les autres, des dizaines d'entreprises dans le monde entier sont dans les starting blocks. Leur point commun : toutes disposent d'équipes scientifiques de très haut vol, issues essentiellement de la recherche publique. Elles tentent différentes technologies pour « stabiliser » le qubit, condition indispensable pour créer l'état quantique qui permet de mener des calculs en simultané et surtout, sans erreurs. Toutes travaillent aujourd'hui à l'aveugle, car personne ne sait quelles technologies réussiront. C'est pourquoi la compétition est si intense : tout le monde peut en théorie toucher le jackpot s'il a la bonne technologie, qu'il s'agisse de startups comme les français PasqalQuandela ou Alice & Bob, le canadien D-Wave, ou encore des géants de la tech comme GoogleIBMAmazon, Microsoft ou Alibaba.

Si chacun part, en théorie, sur la même ligne de départ, l'argent reste le nerf de la guerre pour aller vite et valider, ou pas, ses thèses scientifiques. D'où l'importance, pour les startups du quantique, de compenser leur manque de moyens financiers par rapport à un Amazon ou un Google, par des levées de fonds conséquentes. Aux Etats-Unis, Rigetti ou PsiQuantum ont déjà levé des centaines de millions de dollars pour financer leur développement. En France, l'ampleur est bien moindre. Le record est actuellement détenu par Alice & Bob, qui a levé, en mars 2022, 27 millions d'euros pour financer le développement de sa technologie, à peine un peu plus que les 25 millions d'euros obtenus par Pasqal en 2021.

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Pasqal, plus grand espoir du quantique français

L'an prochain, en 2023, Pasqal, 100 employés essentiellement en France, considéré comme le plus grand espoir hexagonal du secteur, voudrait changer de dimension pour rivaliser avec ses concurrents américains. Lors d'une visite, vendredi 14 octobre, du ministre du Numérique, Jean-Noël Barrot, et du prix Nobel 2022 de physique, Alain Aspect, dans son usine à Massy, la startup a assumé ses ambitions. « Nous allons bientôt chercher plusieurs centaines de millions d'euros pour financer notre développement », assure Georges-Olivier Reymond, le CEO et cofondateur de Pasqal avec notamment Alain Aspect. Un saut quantique -sans mauvais jeu de mot- par rapport aux levées de fonds dans le secteur, en France comme en Europe.

Si Pasqal peut se permettre pareille ambition, c'est parce que la startup dispose d'une technologie considérée par la communauté scientifique internationale comme l'une des plus prometteuses pour l'ordinateur quantique. Issue de la recherche académique en physique menée à Paris-Orsay par des anciens thésards du Nobel 2022 Alain Aspect, la technologie de Pasqal repose sur la manipulation d'atomes neutres par laser. La pépite développe ainsi des processeurs quantiques qui sont déjà capables de réaliser des calculs complexes à la demande. Mais il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre son premier objectif : réaliser de manière plus rapide et pour un coût énergétique réduit, des calculs que seuls les plus puissants des supercalculateurs savent aujourd'hui réaliser.

« On promet monts et merveilles à l'informatique quantique, mais il est tellement complexe de réaliser un grand nombre de calculs simultanés sans erreurs que je pense que si on réussit à faire des calculs plus rapidement que les meilleurs supercalculateurs actuels, tout en divisant significativement le coût énergétique de ces calculs, qui est énorme, par 100, voire même par 10, ce sera déjà une vraie révolution », tempère Alain Aspect.

En attendant que la technologie soit prête pour l'industrialisation, Pasqal la teste déjà avec succès auprès de certains partenaires. Ainsi, le Crédit Agricole l'utilise pour calculer les risques associés à ses portefeuilles financiers. D'après Pasqal, la banque française estimerait que sa solution serait déjà au moins aussi efficace que les méthodes de simulation actuelles. Autre cas d'usage : le constructeur automobile BMW étudie la déformation des matériaux grâce à la technologie de Pasqal. Celle-ci lui permet de créer des jumeaux numériques pour tester virtuellement leur résistance aux chocs.

« Les banques, les industriels dans l'énergie ou l'aéronautique sont très intéressés par l'informatique quantique car cela leur permet de faire des simulations inédites, avec de forts gains financiers et d'optimisation des process en perspective, par exemple pour gérer les portefeuilles financiers, maximiser l'efficacité énergétique ou améliorer le design des avions » précise Georges-Olivier Reymond, le CEO de Pasqal.

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Pas assez d'argent en France pour financer les deeptech

C'est grâce à ces tests couronnés de succès que Pasqal, qui est de loin la startup la plus mature sur le quantique en France avec Quandela et Alice & Bob -qui exploitent d'autres technologies de rupture pour parvenir à l'ordinateur quantique-, se permet des rêves de grandeur. L'objectif : exploiter pleinement le potentiel de sa technologie en recrutant les meilleurs talents, accélérer sa recherche et multiplier les partenariats commerciaux afin de la confronter aux besoins réels du marché. Pour cela, il faudra au moins 200 millions de dollars.

Problème : seule une poignée de pépites dans le monde a réussi à lever plusieurs centaines de millions de dollars dans le domaine des technologies quantiques. « L'accès au financement est un vrai défi. Je rencontre de nombreux investisseurs français qui me disent "c'est super ce que vous faites, mais je ne sais pas le financer" », regrette Georges-Olivier Reymond. Interrogé par La Tribune sur la possibilité de recourir par défaut à des fonds étrangers malgré que les technologies quantiques représentent un enjeu important de souveraineté numérique pour la France et l'Europe, l'entrepreneur répond : « Ce serait idéal si je pouvais lever plus de 200 millions d'euros avec des investisseurs français, mais je crains de ne pas avoir le choix », lance-t-il devant le ministre du Numérique, Jean-Noël Barrot.

Celui-ci saisit la perche au vol :

« Le gouvernement a conscience de l'enjeu stratégique majeur de savoir financer les startups du quantique, et plus généralement les deeptech, ces technologies de rupture qui obéissent à des cycles de retour sur investissement beaucoup plus longs que l'innovation tech classique. Il faut une vraie montée en compétence des fonds d'investissement sur le potentiel des deeptech et l'importance de savoir les soutenir financièrement. Pour cela, il faut que l'Etat incite le privé à investir dans les deeptech et l'aide à dérisquer cet investissement », indique Jean-Noël Barrot.

Comme La Tribune l'avait déjà révélé il y a quelques semaines, les deeptech devraient être largement servies par le plan Tibi 2, du nom de l'économiste Philippe Tibi. Il s'agit de la suite du plan lancé en 2020, qui avait permis de mobiliser 6 milliards d'euros auprès des bancassureurs pour financer l'hyper-croissance et l'entrée en Bourse des startups. L'objectif du plan Tibi : contribuer à combler les « trous » dans le financement de la tech en France. A l'époque, le gouvernement avait mis l'accent uniquement sur le financement des dernières étapes de croissance.

Son successeur, Tibi 2, devra dès 2023, d'après nos informations, à la fois poursuivre cet effort, mais aussi et surtout combler d'autres failles de marché, à commencer par le financement très insuffisant des deeptech, qui sont considérées comme un enjeu majeur de souveraineté technologique. Le sous-secteur du quantique sera concerné, même s'il a par ailleurs déjà fait l'objet d'un plan de soutien sectoriel doté d'1,8 milliard d'euros, annoncé par le gouvernement début 2021, dont 650 millions d'euros ont été déployés à date d'après Bercy.

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Quantonation en soutien pour aider Pasqal à réaliser cette méga-levée

Aujourd'hui, en France, seuls une poignée d'investisseurs financent les technologies quantiques. Si Bpifrance ainsi que quelques fonds d'amorçage aident les startups à se mettre les pieds à l'étrier, il n'existe qu'un seul fonds d'investissement spécialisé : Quantonation, fondé, entre autres, par Charles Beigbeder et Christophe Jurczak, ce dernier étant encore un ancien thésard du prix Nobel de physique 2022, Alain Aspect, et également cofondateur de Pasqal.

Depuis son lancement en 2018, Quantonation a déjà réalisé une vingtaine d'investissements en Europe et en Amérique du Nord. Ciblant l'ensemble des technologies quantiques, son premier véhicule d'investissement de 91 millions d'euros -bouclé en juillet 2022- cible les startups dès leur amorçage et jusqu'à leur série A ou B. Dans certains cas, la structure va même jusqu'à co-créer des entreprises, comme un startup studio. « Nous avons investi la moitié du premier fonds, mais nous devons lever nous aussi un autre fonds si on veut continuer à soutenir Pasqal », indique à La Tribune Charles Beigbeder.

Quantonation compte donc boucler, pour le premier trimestre 2023, un nouveau fonds qui sera capable d'investir des gros tickets pour soutenir l'hyper-croissance des startups du quantique. Ce nouveau véhicule pourrait être doté entre 200 et 300 millions d'euros. Pas de quoi financer à lui seul le nouveau méga-tour de table de Pasqal -qui avait déjà levé 25 millions d'euros en 2021-, mais suffisamment pour rester l'un de ses investisseurs phares, aux côtés d'acteurs internationaux. Et en attendant que l'écosystème français et européen puisse prendre le relais.

Lire aussiLe pari fou du fonds français Quantonation, l'un des spécialistes mondiaux du quantique

Sylvain Rolland

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Commentaires 6
à écrit le 19/10/2022 à 10:44
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Toujours plus de sous pour les gourous de la scientologie...

à écrit le 18/10/2022 à 7:56
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Merci pour cet article bien écrit qui fait une belle synthèse des derniers mouvements dans ce domaine en France.

à écrit le 17/10/2022 à 14:44
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Il n'y a actuellement qu'un seul algorithme à peu près connu qui serait susceptible de bénéficier de ce genre de machine. Les start-ups cherchent de l'argent, point final. Par ailleurs être le premier ne signifie pas être le meilleur sur le long term...

le 17/10/2022 à 16:36
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L'informatique, l’algorithmique quantique, ça doit être inventé, ça n'est pas censé être du codage habituel avec des bits à 0 ou à 1 vu qu'on peut avoir les deux en même temps, voire les 4 ou les 8 si on a 2 ou 3 Q-bits sous la main. Et c'est sans do...

le 17/10/2022 à 20:11
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A vous lire le mieux serait de ne rien faire et avec un tel raisonnement nous n'aurions toujours pas découvert l'Amérique ! Le propre d'un entrepreneur c'est de prendre des risques et c'est ce que font tous les fonds d'investissement qui savent qu'i...

à écrit le 17/10/2022 à 14:38
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Il n'y a actuellement qu'un seul algorithme à peu près connu qui serait susceptible de bénéficier de ce genre de machine. Les start-ups cherchent de l'argent, point final. Par ailleurs être le premier ne signifie pas être le meilleur sur le long term...

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