Levées de fonds : la French Tech surnage dans une Europe en chute libre

Malgré un deuxième semestre 2022 en baisse de 21% par rapport à 2021, les startups de la French Tech établissent un nouveau record avec 13,5 milliards d'euros levés l'an dernier, soit une progression globale de 17%. Une vraie performance dans une Europe de la tech en crise, caractérisée par une chute des investissements au Royaume-Uni (-15%) et en Allemagne (-38%). Mais 2023 sera plus difficile.
Sylvain Rolland
(Crédits : DR)

La French Tech tient la dragée haute à la crise. C'est le principal enseignement du baromètre du capital-risque publié ce 17 janvier par le cabinet de conseil EY, référence en la matière. En 2022, les startups tricolores ont battu leur record de 2021, qui lui-même doublait les montants de 2019 et 2020 : 13,5 milliards d'euros exactement, contre 11,6 milliard l'an dernier, pour 735 opérations, contre 784 en 2021. Soit un montant moyen de 18,35 millions d'euros par tour de table.

La progression sur un an est modeste par rapport au rythme observé ces dernières années : 17% contre... 115% entre 2020 et 2021, et près de 40% en moyenne au cours des sept dernières années. Mais dans le contexte d'une crise mondiale de la tech depuis le début de 2022, caractérisée par une chute brutale des valorisations des startups et une frilosité inédite de la part d'investisseurs refroidis par la crise de l'énergie et le retour de l'inflation, la performance reste impressionnante. « La résilience de la France est réelle. C'est à la fois le signe de la force et de la profondeur de notre écosystème d'innovation, et aussi la conséquence d'amortisseurs de crise plus efficaces en France qu'ailleurs en Europe. L'inflation y est beaucoup moins forte qu'au Royaume-Uni et la crise énergétique moins préoccupante qu'en Allemagne », explique Franck Sebag, associé et auteur du rapport.

Douche froide partout dans le monde, y compris en Europe

Effectivement, la performance de la France est une exception à la fois en Europe et dans le monde. D'après CB Insights, les montants levés en 2022 dans le monde ont chuté de 35%, à 415 milliards de dollars, avec un deuxième semestre cataclysmique marqué par une chute de 62% sur un an. Si les Etats-Unis et la Chine absorbent l'essentiel de cette crise, l'Europe souffre aussi. D'après EY, les montants levés au Royaume-Uni ont baissé de 15% en 2022 et ceux en Allemagne ont carrément chuté de 38% sur l'année.

Qu'il s'agisse de venture capital -les levées inférieures à 100 millions d'euros- ou de growth equity -les opérations supérieures à 100 millions d'euros-, les deux indices sont dans le rouge outre-Manche comme outre-Rhin. A l'inverse, la France leur tend un miroir inversé, avec une progression de 10% pour le venture capital (7,3 milliards d'euros) et de 25% pour le growth equity (6,2 milliards d'euros). Le montant des levées supérieures à 100 millions d'euros chute même de 65% en Allemagne, et de 22% pour le Royaume-Uni, alors qu'il progresse d'un quart en France.

Le jour et la nuit entre le premier et le deuxième semestre, inquiétude sur l'amorçage

Cocorico ? Oui... et non. Car si la France se paie le luxe d'un nouveau record et sauve les apparences en affichant une progression globale sur quasiment tous les indices -sauf les nouvelles licornes, 8 en 2022 contre 11 en 2021-, l'Hexagone s'appuie totalement sur l'exceptionnel premier semestre (8,4 milliards d'euros, +63% sur un an), qui fait office de cache-sexe pour un deuxième semestre beaucoup moins reluisant (5,1 milliards d'euros, -21%).

Là encore, la chute au deuxième semestre est au moins deux fois inférieure à celle observée chez les voisins européens. Mais « on est quand même dans une autre dimension, l'euphorie est terminée et il y a de vrais points d'inquiétude pour 2023 », relève Franck Sebag. Pour la première fois, le nombre d'opérations est en baisse de 7% sur un an : 735 en 2022 contre 784 en 2021. Cela peut paraître anecdotique au premier abord, mais le nombre d'opérations se tasse surtout pour l'amorçage, c'est-à-dire les levées de fonds inférieures à 10 millions d'euros. Et c'est un problème :

« Le point positif est que la France est vraiment devenue une "scale-up nation" car les opérations sur tous les segments entre 10 et 300 millions d'euros ont progressé. Mais la baisse de 15% du nombre des tours d'amorçage montre que les choses deviennent plus difficiles à la base. Or, la base, ce sont les startups de demain » poursuit l'expert, qui appelle le gouvernement à la « vigilance » pour ne pas laisser l'amorçage s'effondrer en 2023.

2023 sera (beaucoup ?) moins faste

La correction du marché sur le segment de l'amorçage est encore plus visible quand on dézoome : en 2019, soit avant la crise structurelle de 2022 et la crise-Covid de 2020-2021, il y avait 601 levées de fonds d'amorçage, contre seulement 496 en 2022, soit une chute de 18%.

Le nouveau record établi en 2022 est donc davantage une anomalie qu'une résistance pérenne aux facteurs de crise pour la France. Les experts consultés par La Tribune anticipent tous que 2022 marquera le pic des levées de fonds de la French Tech. D'après eux, le premier semestre 2023 devrait encaisser une chute d'au moins 20% par rapport au deuxième semestre 2022, ce qui représenterait une sacrée dégringolade sur un an... « Le premier semestre 2022 était à plus de 8 milliards d'euros, le deuxième à 5 milliards, si on atteint les 4 milliards au premier semestre 2023 on s'en sortira très bien », pronostique l'un d'entre eux.

5 autres enseignements de l'année 2022 de la French Tech

  • 8 nouvelles licornes : Qonto (fintech), Exotec (robotique), Payfit (services Internet), Ankorstore (logiciel), Spendesk (fintech), Ecovadis (logiciel), NW Group (cleantech) et Younited (fintech), dont 7 au premier semestre.
  • 6 opérations à plus de 300 millions d'euros, stable sur un an
  • 75% des investissements réalisés en Ile-de-France
  • 4 startups françaises dans le Top 10 européen : Qonto (486 millions d'euros), Ecovadis (478 millions d'euros), Back market (450 millions d'euros) et ContentsSquare (393 millions d'euros), respectivement aux places 6, 7, 8 et 10. La plus grosse levée européenne est à mettre au crédit de la startup britannique The Access Group, qui a récolté 1,2 milliard d'euros pour son logiciel professionnel.
  • les secteurs les plus dynamiques sont les services Internet (3 milliards d'euros), les logiciels et services informatiques (2,9 milliards d'euros) et les fintech (2,4 milliards d'euros), tous en baisse sur un an. Les cleantech gagnent la 4è place avec 2 milliards d'euros levés (contre 764 millions d'euros seulement en 2021).

Sylvain Rolland

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Commentaires 3
à écrit le 17/01/2023 à 20:26
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J'ai peur d'être indiscret. Mais, à quoi sert vraiment cet argent, quand on voit l'état de l'industrie en FRANCE ? On peut se poser la même question pour les USA et et l'Angleterre ? Est-ce que la TRIBUNE pourrait faire une enquête sur le chiffre...

le 17/01/2023 à 23:45
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Pourquoi les fonds recueillis par les sociétés américaines vous intéressent-t-ils ? De quoi je me mêle ? Bizarre !

à écrit le 17/01/2023 à 9:07
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Quand la French Tech n'a que des ambitions internationales, elle saute des étapes et ne devienne plus que financière !

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