Rachat de Twitter : les dessous de l'accord avec Elon Musk

Le 25 avril, le conseil d'administration de Twitter a signé un accord pour le rachat du réseau social par Elon Musk, à hauteur de 43 milliards de dollars. Mais il devrait se dérouler plusieurs mois avant que le rachat aboutisse. Pendant cette période, plusieurs événements pourraient faire capoter l'opération. Si la plupart d'entre eux paraissent improbables, d'autres, comme le vote de l'assemblée générale des actionnaires, seront regardés de près. Twitter s'est également protégé contre les "excentricités" d'Elon Musk. Décryptage.
François Manens
(Crédits : DADO RUVIC)

Et si Elon Musk n'allait pas jusqu'au bout du rachat de Twitter ? Le 27 avril, un article d'opinion de Reuters a mis la question sur la table, et rapidement trouvé un écho dans la presse et auprès de certains analystes. Le milliardaire, souvent imprévisible, traîne une mauvaise réputation quant au respect de ses engagements, au point qu'un site recense ses promesses laissées en suspens.

Certains voient dans la brutalité de son rachat de Twitter une humeur, qui pourrait n'être que passagère. Passé en moins d'un mois de simple utilisateur à premier actionnaire, puis à membre du conseil d'administration, puis à candidat au rachat de l'intégralité des parts du réseau social, Elon Musk a donné l'impression de changer sans cesse d'avis quant à son projet pour Twitter.

Mais lorsqu'il a signé l'accord pour son offre à 43 milliards de dollars (environ 40 milliards d'euros) avec le conseil d'administration de la société le 25 avril, il a souscrit à plusieurs engagements. Résultat : si un éventuel échec la transaction ne peut pas encore être écarté, il ne relèvera pas, quoiqu'il en soit, de la simple volonté de l'homme d'affaire.

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Elon Musk n'a (presque) pas de porte de sortie

"L'accord qui a été signé est différent de celui proposé initialement par Elon Musk dans sa première lettre, reçue avec surprise par tout le monde", relève auprès de La Tribune Pierre-Emmanuel Perais, avocat spécialisé M&A chez Linklaters. "Ce n'est finalement pas une offre publique d'achat, mais un accord consensuel, approuvé à l'unanimité par le comité d'administration".

Concrètement, les dirigeants de Twitter ont signé un contrat qui lie le réseau social à une société détenue par Elon Musk -une coquille pour l'instant vide, créée pour l'occasion. Qui dit contrat, dit obligations entre les deux parties, à la fois pendant la période de clôture de l'accord (dont la date butoir est inscrite au 24 octobre 2022) mais aussi après. Par exemple, Elon Musk doit donner son aval si certaines décisions stratégiques pour l'entreprise devaient être prises. "Le contrat est engageant pour les deux partis, et les conditions de sorties sont très limitées", rappelle le spécialiste.

"Elon Musk ne peut pas sortir du contrat, sauf si la sortie est prévue dans le contrat" ajoute Karl Hepp de Sevelinges, avocat associé chez Jeantet, également spécialiste M&A. Les clauses du contrat entre Twitter et Elon Musk sont "classiques", évalue le juriste. Le texte comprend notamment la clause des "événements défavorables significatifs", un terme du jargon pour évoquer "des événements qui mettent en danger l'économie de l'acquisition". Mais la mise en danger doit être particulièrement grave, à la fois en substance, et sur la durée. Karl Hepp de Sevelinges cite un cas ou l'entreprise rachetée a perdu 90% de chiffre d'affaires sur la période entre la signature du contrat et sa clôture, ou encore un cas où un des dirigeants de l'entreprise rachetée a détourné 2,6 millions d'euros de l'entreprise. A l'inverse, les grandes tendances aux effets macroéconomiques, comme la guerre en Ukraine ou la pandémie Covid-19, ne peuvent pas déclencher la clause. Pour finir : quant bien même la clause serait activée à juste titre, Elon Musk s'est engagé dans le contrat a payer une pénalité d'un milliard de dollars en cas d'annulation de l'opération.

Bref : il est très peu probable que ces clauses de résiliation puissent être invoquées. En revanche, deux conditions suspensives pourraient mettre fin à l'accord avant son aboutissement, et elles seront observées de près dans les mois à venir.

Le vote de l'assemblée générale de Twitter, étape à risque ?

La première condition suspensive serait un vote négatif de l'assemblée générale (AG) de Twitter face à l'offre de rachat proposée par Elon Musk. Dans les deux ou trois mois à venir, suite à la publication d'autres documents relatifs à la transaction, les actionnaires du réseau social vont se réunir. Si plus de 50% d'entre eux acceptent l'offre, une majorité simple se dégagera, et toutes les actions de l'entreprise seront vendues à l'homme d'affaire.

"Tant que ce vote n'est pas obtenu, l'accord n'est pas conclu. Dans le cas de Twitter, le vote présente un aspect politique en plus de l'aspect financier, en raison des prises de positions d'Elon Musk. On peut donc s'attendre à de l'activisme de certains actionnaires opposés à l'accord. Mais il est difficile de penser que l'aspect politique va dépasser l'aspect financier dans la décision finale", diagnostique Pierre-Emmanuel Perais.

Certains actionnaires, comme le prince Al-Walid ben Talal représentant du fond souverain saoudien, Kingdom Holding Company, ont déjà exprimé leur mécontentement sur le prix de l'opération, et affirmé qu'ils s'y opposeraient. Problème pour eux : la procédure ne prévoit pas de minorité de blocage. S'ils maintiennent leur opposition mais que l'accord est voté, ils disposeront tout de même d'un recours auprès de la Cour du Delaware. Cette dernière aura pour mission de vérifier que le prix proposé est équitable, et elle devra proposer un accord plus intéressant pour les vendeurs si ce n'est pas le cas.

"Le droit du Delaware impose au conseil d'administration des obligations fiduciaires. Il se concentre sur le premium [différence entre le prix proposé et celui du marché, ndlr] de l'offre d'Elon Musk, et il ne va pas regarde d'autres indicateurs, comme la valeur intrinsèque de l'offre pour les actionnaires", rappelle Pierre-Emmanuel Perais. Avec un premium de 38%, le milliardaire a fait une offre qui semble suffisant pour naviguer dans ces recours.

D'ici que le vote ait lieu, un autre aléa pourrait perturber l'opération : l'arrivée d'un "chevalier blanc" de dernière minute. Si aucun acheteur alternatif à Elon Musk ne s'est encore présenté publiquement, il n'est pas trop tard pour le faire, tant que le rachat n'a pas été voté l'assemblée générale des actionnaires. Face à une meilleure offre, le conseil d'administration serait obligé légalement de la proposer au vote. Pour Elon Musk, ce risque est cependant amoindri par certains mécanismes du contrat. Par exemple, il doit être mis au courant des offres concurrentes, et il garde la priorité s'il s'aligne sur le nouveau prix. Une autre clause empêche Twitter de solliciter des offres. "Nul doute qu'avant de signer l'accord, le conseil d'administration de la société a consulté d'autres potentiels acheteurs", note cependant Pierre-Emmanuel Perais. Et si les dirigeants ont signé le contrat, c'est qu'ils n'auraient pas trouvé d'alternative. "Une fois l'accord de l'assemblée générale obtenu, cet aléa n'existera plus, puisqu'il sera trop tard pour qu'un tiers parti intervienne", conclut le juriste.

Le passage face au régulateur, une formalité ?

La seconde condition suspensive serait une interdiction prononcée par le gendarme financier (la SEC) ou le gendarme de la concurrence (la Federal Trade Commision), qui vont évaluer la transaction.

"La FTC va faire un processus de vérification, mais il n'y a que de très faibles risques que le rachat soit refusé pour concurrence", diagnostique Karl Hepp de Sevelinges. Le portefeuille d'entreprises d'Elon Musk est pour l'instant essentiellement industriel avec Tesla (voitures électriques), SpaceX (fusée et satellite) ou The Boring Company (tunnels de transport). Autrement dit, des secteurs très éloignés de celui des médias et des réseaux sociaux, où Twitter se distingue. Pas de quoi mobiliser le régulateur.

"En revanche, Elon Musk a un historique avec la SEC. Il avait dû démissionner de la direction de Tesla à cause de certains tweets", rappelle l'avocat. En 2018, le gendarme financier avait poussé le milliardaire vers la sortie suite à des tweets sur ses projets financiers pour l'entreprise -qu'il aurait dû présenter au préalable aux actionnaires. S'il est très peu probable que la SEC annule la transaction, elle pourrait en revanche mettre Elon Musk à l'amende sur les détails du modus operandi de son offensive contre Twitter.

Twitter a prévu des clauses contre les frasques de Musk

"Twitter a ajouté une clause très spécifique au contrat, relative à l'identité d'Elon Musk", glisse Pierre-Emmanuel Perais. Si l'entreprise était affectée d'une quelconque manière par les propos tenus par Elon Musk, cela ne pourrait pas être pris en compte dans les critères de rupture. "C'est fin de la part de Twitter, car Elon Musk aurait pu tenter des manœuvres de communication dans le but de déstabiliser l'entreprise, et de conclure qu'il ne pouvait plus l'acheter", évalue l'avocat.

Les suites de l'accord donnent raison au réseau social. Depuis que son offre a été acceptée par le conseil d'administration de l'entreprise, le fantasque milliardaire n'a pas fait profil bas, au contraire : il a multiplié les tweets incisifs sur le modèle économique du réseau social, la liberté d'expression ou encore les décisions de certains dirigeants. Pourtant, une autre clause du contrat -intégrée à une clause standard sur les communications- touche aux tweets d'Elon Musk : il est expressément autorisé à commenter la transaction, à la seule condition que ses messages ne dénigrent pas la société ou ses dirigeants. "Twitter a pris en compte l'historique de Musk et cette clause prouve que le conseil avait des réserves sur sa personnalité. J'ai rarement vu une personnalité autant cristalliser le risque dans des dossiers d'acquisitions", constate Pierre-Emmanuel Perais.

François Manens

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Commentaire 1
à écrit le 09/05/2022 à 19:01
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Au regard de l'intérêt des démocrates pour les réseaux "sociaux" tel que Twitter et de l'origine du financement de l'OPA de Musk, il fait peut de doute que le deal subira un véto du CFIUS. En effet, les établissements financiers des dictatures d...

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