Elon Musk a-t-il vraiment un projet pour Twitter ?

Elon Musk a déposé 43 milliards de dollars sur la table pour s'offrir Twitter, mais il n'a donné aucun détail sur son projet pour le futur du réseau social. Certains experts y voient une manœuvre de milliardaire, destinée à assoir son influence sur l'opinion, de la même manière que certains le font avec des médias. D'autres spécialistes y voient quant à eux une mise sur le futur web3, le concept d'internet décentralisé sur lequel Elon Musk s'est régulièrement exprimé. Quoiqu'il en soit, le modèle du réseau social serait remis en cause.
François Manens
(Crédits : Rebecca Cook)

Depuis le 4 avril, Elon Musk mène une guerre ouverte contre Twitter. L'homme le plus riche au monde a commencé par devenir le premier actionnaire du réseau social en s'offrant 9,2% des parts. 10 jours plus tard, après avoir ouvertement menti sur ses intentions, il a mené une offre publique d'achat hostile contre la société. Son offre, définitive selon ses termes, lui ferait débourser un total de 43 milliards de dollars.

L'offre d'Elon Musk a de quoi surprendre : Twitter a une croissance moindre que les autres réseaux sociaux, et sa rentabilité reste à prouver. Cette zone d'ombre est d'autant plus grande que le milliardaire n'a pour l'instant toujours pas dévoilé son projet pour Twitter, si tant est qu'il en ait un. Alors forcément, les projections sur ces intentions vont dans différentes directions.

La "liberté d'expression" est-elle vraiment au centre du rachat ?

Dans sa déclaration au gendarme financier américain, la SEC, Elon Musk reste évasif sur ses intentions. "Twitter a un potentiel extraordinaire. Je vais le déverrouiller", écrit-il. Le lendemain, à l'occasion d'une conférence TedEx, il se montrait à peine plus précis : "J'ai juste une forte intuition qu'avoir une plateforme publique, largement inclusive, en laquelle on puisse avoir confiance, est extrêmement important pour le futur de la civilisation."

Très actif sur son compte Twitter suivi par 82 millions d'abonnés, le milliardaire Sud-Africain a régulièrement critiqué les décisions de la société, notamment en matière de modération. Comme le rappelait à La Tribune Olivier Ertzscheid, spécialiste des nouvelles technologies à l'Université de Nantes, Elon Musk est le porte-voix d'un mouvement contestataire selon lequel les réseaux sociaux dominants entraveraient la liberté d'expression. "Musk estime qu'exclure l'ancien président des Etats-Unis de Twitter est une aberration, malgré le fait que Trump ait utilisé ce réseau social pour contester le résultat de l'élection présidentielle de 2020, ce qui a contribué à l'insurrection du Capitole en janvier 2021", développait-t-il.

Pour porter cette vision de la liberté de parole, le milliardaire avait déjà évoqué qu'il pourrait construire son propre réseau social. De là à dépenser 43 milliards de dollars pour simplement défendre un idéal ? Sûrement pas. A la tête de deux entreprises qui pourraient être qualifiées de stratégiques, Tesla et SpaceX, Elon Musk est avant tout un homme d'affaires. Alors forcément, ses intentions plus profondes font l'objet de spéculations, et divisent les analystes.

Twitter, un joyau à afficher ?

"Elon Musk a la même aura que certains peintres connus. Or, quand un artiste connu jette de la peinture sur une toile, tout le monde va essayer d'y trouver un sens", ironise à La Tribune Jacques-Aurélien Marcireau, co-directeur des gestions actions chez Edmond de Rothschild Asset Management.

Ce dernier fait partie des septiques sur les ambitions d'Elon Musk pour Twitter. "Je ne pense pas qu'il y a une logique industrielle ou opérationnelle derrière cette acquisition. Peut-il rendre Twitter plus rentable ? Ce n'est pas du tout son expertise. Le CEO actuel, ancien directeur technique, a déjà toute les compétences pour mener les chantiers de Twitter."

Pour l'analyste, la tentative de rachat s'inscrit avant tout dans une stratégie d'influence.

"Cette tentative de rachat s'apparente plus à l'achat d'entreprises de presse par des milliardaires pour le plaisir [Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, détient le Washington Post ; Bernard Arnault, le patron du géant du luxe LVMH, détient Les Echos et Le Parisien, ndlr]. Il achète Twitter comme il achèterait un beau joyau. On peut le voir comme la version XXL de ce que Xavier Niel fait avec La Provence."

Twitter a en effet une place à part dans le paysage des réseaux sociaux. Moins populaire que Facebook, Instagram ou même Snapchat, il est utilisé comme canal de communication officiel par de nombreux institutions et personnalités. "Elon Musk a bien conscience de la puissance de ce genre d'outil. La réussite de Tesla s'est faite sur la capacité de la société à communiquer et à galvaniser les consommateurs et les investisseurs", ajoute Jacques-Aurélien Marcireau. "Elon Musk veut le contrôle total sur le média, en influencer plus profondément le fonctionnement". Et tant pis si ce dernier n'est pas rentable.

Twitter, infrastructure du web3 ?

Un autre courant d'analystes pense qu'au contraire, Elon Musk a une vision bien particulière pour le futur de Twitter comme outil. C'est le cas de Jean-Christophe Liaubet, spécialiste du numérique et associé chez Fabernovel. "Elon Musk ne vient pas pour faire du trading, il vient pour un projet industriel", tranche-t-il à La Tribune. "Twitter est à la croisée des chemins en termes de modèles. Son modèle publicitaire n'est pas le plus valorisé, et l'entreprise cherche son second souffle".

Pour lui, le réseau social a une place à occuper dans le "web3", considéré par certains comme l'internet du futur. "C'est un internet de communautés, qui s'appuie sur des infrastructures décentralisées pour organiser des échanges de valeurs", vulgarise l'expert. Dans ce schéma, Twitter jouerait le rôle d'infrastructure, qui permettrait aux communautés de s'organiser. Le réseau social réunit déjà de nombreux adeptes des cryptomonnaies (la communauté la plus visible du web3), même si la plateforme communautaire Discord joue un rôle encore plus central dans cet écosystème particulier/

Jean-Christophe Liaubet pousse sa projection encore plus loin : si Twitter permet d'organiser ces communautés, il pourrait ensuite s'ouvrir au paiement avec son propre système, et réussir là où Facebook a échoué avec le Libra. "Avec son passé dans PayPal, Elon Musk y a forcément pensé", conclut-il.

Quelque soit les intentions du fantasque milliardaire, l'avenir de Twitter se joue dans les mois à venir. Même si le Sud-Africain ne réussit pas sa manœuvre, la direction actuelle en ressortira quoiqu'il en soit fragilisée, ce qui pourrait mener à un changement de cap stratégique.

François Manens

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Commentaires 4
à écrit le 17/04/2022 à 22:32
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Bonjour, Bien sûr ils veux être le patron est pouvoir dire se qui lui plaît... Dire qu'actuellement ils y a du contrôle, ou que certaines contenus sont filtré.... S'est peux dire . D'ailleurs bientôt les libertés n'existeront plus ... Nous aurons ...

à écrit le 17/04/2022 à 8:05
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Twitter. ….. le néant pour bobo parisien et autre Trump

le 17/04/2022 à 20:32
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Allo maman bobo ? C'est un peu restrictif comme usagers de Twitter, quelques parisiens et Trump, c'est pas très porteur comme marché, pourquoi dépenser autant ? :-)

à écrit le 16/04/2022 à 19:57
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Tout porte à croire que tous les milliardaires tels que Bezos, Musk ou Bravo n'ont qu'un seul projet en réalisant l'acquisition d'un média quelconque: faire leur auto-promotion emplie de narcissisme. Néanmoins il est possible que Musk puisse imp...

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