En moins de trois semaines, le milliardaire Elon Musk a fait plier Twitter. Le conseil d'administration de l'entreprise a fini par accepter son offre de rachat à 54,20 dollars l'action, qui valorise le réseau social à plus de 44 milliards de dollars, alors qu'il s'était montré récalcitrant d'abord.
Historique, l'OPA éclair menée par l'homme le plus riche du monde vient de créer un précédent sans égal dans le milieu de la tech. La Tribune revient sur les 5 grandes questions au cœur de l'affaire.
1. Pourquoi le rachat de Twitter est-il exceptionnel ?
La brutalité de l'offensive d'Elon Musk sur Twitter relève du jamais vu. En 21 jours, Elon Musk est passé de simple utilisateur - certes, très influent et critique - à futur propriétaire de l'intégralité du réseau social.
- Le 4 avril, entrée fracassante d'Elon Musk au capital
L'autorité financière américaine, la SEC, rend publique la participation d'Elon Musk dans Twitter. Le milliardaire a conclu l'achat de 9,2% des actions pour 2,9 milliards de dollars, ce qui fait de lui le premier actionnaire du réseau social. Dans sa déclaration à la SEC, le propriétaire de Tesla se présente comme un actionnaire passif, c'est-à-dire un actionnaire qui se contente de voter des résolutions et de recevoir les dividendes, sans s'immiscer dans la vie de l'entreprise.
Pourtant, il publie dans la foulée une série de tweets critiques contre Twitter, puis il demande l'avis de ses plus de 80 millions d'abonnés sur la création d'un bouton "modifier". Le réseau social a refusé pendant des années de considérer cette fonctionnalité très demandée par les utilisateurs.
- Le 5 avril, l'actionnaire activiste se dévoile
Dès le lendemain de l'annonce de l'entrée de Musk au capital, Twitter annonce qu'Elon Musk siégera au conseil d'administration de l'entreprise. Les engagements du milliardaire auprès de la SEC sont déjà balayés puisqu'il s'affirme comme actionnaire activiste, amené à peser dans les décisions de la société. Mais le siège ne vient pas sans contrainte : en l'acceptant, Musk s'engage à ne pas prendre plus de 14,9% des parts de l'entreprise dans les 90 jours suivants. En parallèle, Twitter annonce qu'il développe "depuis un an" la fonctionnalité "modifier" tant demandée.
- Le 11 avril, Musk dit non à la direction de Twitter
Alors qu'il doit siéger pour la première fois au conseil d'administration, Elon Musk pose un lapin aux dirigeants de Twitter, et publie encore une série de tweets critiques du fonctionnement du réseau social. Le CEO Parag Agrawal, qui avait loué l'arrivée du milliardaire quelques jours plus tôt, se trouve contraint de faire lui-même l'annonce sur son profil.
- Le 14 avril, Elon Musk officialise son OPA
Après avoir joué au chat et à la souris avec les dirigeants de Twitter, Elon Musk lance son offre publique d'achat (OPA) hostile. Son prix, "définitif" selon ses termes, s'élève à 54,20 dollars par action. Dans le même temps, il menace de se retirer du capital si l'offre n'est pas acceptée. Certains actionnaires de Twitter critiquent le montant proposé qui se situe à plus de 20 dollars en dessous du pic historique de l'action. De son côté Musk relève qu'il est aussi 38% supérieur au cours de l'action début avril, avant son entrée au capital.
- Le 15 avril, Twitter active la clause de "la pilule empoisonnée" pour contrer l'OPA
En réaction à l'OPA, le conseil d'administration déclenche la clause de la "pilule empoisonnée", destinée à faire gonfler le prix de l'action pour alourdir la somme déboursée par Musk, ou du moins temporiser le temps que se présentent d'autres acheteurs.
- Le 25 avril, le conseil d'administration de l'entreprise accepte l'offre
Finalement, le conseil d'administration accepte l'offre de rachat de Twitter, signe qu'il n'aurait pas reçu de contre-proposition. Le "chevalier blanc" espéré n'est pas arrivé, et l'entreprise cède à son assaillant.
2. Pourquoi Twitter vaut-il 44 milliards de dollars ?
En 2021, Twitter a réalisé 5,08 milliards de dollars de chiffre d'affaires, en croissance de 37% par rapport à 2020. Mais il n'était toujours pas rentable, avec une perte nette de 221 millions de dollars sur l'année. Au dernier trimestre de 2021, il comptait 217 millions d'utilisateurs actifs quotidien, soit 13% de plus qu'un an auparavant.
Le problème ? Par rapport aux autres grands réseaux sociaux (Instagram, Facebook, TikTok et même Snapchat), ces chiffres font pâle figure. Twitter rapporte peu, n'a toujours pas stabilisé son modèle économique - basé presque entièrement (89% de son chiffre d'affaires) sur la publicité -, et il croît à un rythme faible pour une entreprise tech, tant financièrement qu'en nombre d'utilisateurs. Dernière ombre au tableau : sa gouvernance instable sur les 10 dernières années a ralenti certains travaux nécessaires à sa pérennité.
Autrement dit, Twitter n'a rien d'un actif financier sûr. En revanche, le réseau social est valorisé pour son rôle stratégique dans l'espace médiatique. Très prisé par les journalistes et par les hommes et femmes politiques - entre autres communautés - c'est un média d'influence sans égal dans le monde. La valeur accordée à cette place particulière a ainsi longtemps nourri le cours de l'action, et les espérances sur son futur, malgré des indicateurs économiques relativement faibles.
3. Comment Elon Musk a-t-il financé son OPA ?
Homme le plus riche du monde, avec une fortune estimée à plus de 260 milliards de dollars, Elon Musk doit débourser à lui seul 46,5 milliards de dollars pour s'octroyer l'intégralité des actions de Twitter.
Dans un document remis à la SEC le 20 avril, il a détaillé son plan de financement : 21 milliards de dollars en capitaux, et 25 milliards en plusieurs prêts contractés auprès de Morgan Stanley Senior Funding. L'un d'entre eux, à hauteur de 12,5 milliards de dollars, est garanti par ses parts dans Tesla. Si la source des capitaux n'est pas précisée, difficile de ne pas trouver un lien entre cette opération et la vente de près de 7 milliards de dollars d'actions de Tesla en octobre 2021.
Avec ce plan, Elon Musk va assumer le plus gros rachat de réseau social de l'histoire. A titre de comparaison, Microsoft a dépensé 26 milliards de dollars pour LinkedIn en 2016, tandis que Facebook a déboursé 19 milliards de dollars pour WhatsApp en 2014 et seulement 1 milliard de dollars pour Instagram en 2012.
4. Quelles ambitions Elon Musk porte-t-il pour Twitter ?
Dans son offre publique d'achat, Elon Musk affirmait qu'il pouvait "débloquer" le "potentiel extraordinaire" de Twitter. Un discours qu'il a répété à l'occasion de l'accord trouvé avec la direction.
Yesss!!! pic.twitter.com/0T9HzUHuh6
— Elon Musk (@elonmusk) April 25, 2022
S'il n'a pas évoqué d'éventuels changements de modèle économique, le milliardaire a déjà placé ses trois ambitions pour le fonctionnement du réseau social.
- Rétablir "liberté d'expression"
Elon Musk place la "liberté d'expression" au centre de ses justifications sur le rachat. Porteur d'une vision libertarienne de cet idéal, il considère que Donald Trump n'aurait pas dû être banni de Twitter, bien que ses messages de contestation de l'élection aient mené à l'invasion du Capitole. "J'espère que mes pires critiques vont rester sur Twitter, parce que c'est ce que signifie la liberté d'expression", écrivait-t-il le 25 avril sur son compte. Une semaine plus tôt, il déclarait : "la politique d'un réseau social est bonne si les 10% les plus à l'extrême gauche et les 10% les plus à l'extrême droite sont autant mécontents l'un que l'autre".
L'homme d'affaires a déjà annoncé qu'il y aurait bien une modération sur les propos tenus sur la plateforme, mais elle devrait être plus permissive que l'actuelle.
- Augmenter "la confiance" dans les interactions sur le réseau
Musk considère qu'il doit rétablir la confiance des utilisateurs sur Twitter. Pour y parvenir, il prône trois mesures. Premièrement, l'ouverture du code de Twitter, ce qui permettrait à n'importe qui de l'auditer pour relever d'éventuels biais ou défaut dans son fonctionnement. Deuxièmement, l'élimination des robots à spam, ces comptes automatisés qui polluent les conversations entre utilisateurs. Troisièmement, une authentification plus forte, pour garantir qu'il y a bien un humain derrière chaque compte.
- Développer de nouvelles fonctionnalités
Enfin, le milliardaire promet de nouvelles fonctionnalités, sans donner plus de détails, même si le bouton "modifier" semble déjà sur la table. Twitter a récemment enchaîné les échecs dans la diversification de son produit : Fleets, le format "story", copié sur Snapchat et Instagram, a été retiré à peine quelques mois après son lancement, tout comme la fonctionnalité de vidéo en direct Périscope quelques mois avant elle. Les tweets audio, toujours disponibles, sont très peu utilisés, et seule la fonctionnalité de conférences audio en direct "Spaces" semble avoir réellement trouvé sa place.
Elon Musk sait qu'il n'a pas acheté une machine à cash, et il est pour l'instant resté évasif sur ses projections pour les finances de Twitter.
5. Quelle barrière se dresse encore sur le chemin d'Elon Musk ?
L'opération de rachat ne devrait être validée que d'ici la fin de l'année, et elle doit encore obtenir l'accord des régulateurs. Or, la SEC a récemment monté d'un ton dans son évaluation des acquisitions de la tech. Twitter peut être considéré comme une entreprise stratégique, au même titre que Tesla et SpaceX, les deux autres propriétés de Musk, et l'accumulation des trois pourrait être vue d'un mauvais œil.
En outre, le milliardaire a malmené les procédures légales exigées par la SEC. Non seulement la déclaration de sa première prise de participation a été effectuée avec du retard, mais en plus, Elon Musk a menti en se déclarant actionnaire passif. Reste à voir si ces éléments sont suffisants pour freiner la procédure d'acquisition.
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