Avec sa décision de fermer les commerces non essentiels ainsi que les rayons non essentiels des grandes surfaces pour lutter contre la propagation du Covid-19, le gouvernement fait la quasi-unanimité contre lui. L'association UFC-Que-Choisir fustige une "hérésie", le PS crie à "l'incohérence" et le Conseil national des centres commerciaux dénonce "une maltraitance". Entre autres. "On fait le lit d'Amazon et ça tue le petit commerce", résume la vice-présidente et porte-parole du Medef, Dominique Carla'ch, tandis que des pétitions appelant au boycott d'Amazon fleurissent sur la Toile.
L'ogre américain du commerce en ligne sera-t-il le grand gagnant du reconfinement et de la fermeture des rayons non essentiels des grandes surfaces, surtout à l'approche du Black Friday et des fêtes de Noël ? Quelles sont ses parts de marché dans chacun des segments du e-commerce ? Ses rivaux français peuvent-ils rivaliser ? Quels enseignements tirer du premier confinement ? La Tribune fait le point.
Amazon engrange 1 achat sur 5 sur Internet en France, la moitié des Français ont acheté sur Amazon en 2019
Cédric O, le secrétaire d'Etat à la Transition numérique, a tenté d'éteindre l'incendie ce week-end sur TF1. "Rappelons qu'Amazon ne représente que 20% du e-commerce en France, que de très nombreuses entreprises françaises sont des leaders : Fnac-Darty, Cdiscount, Veepee, Mirakl, ManoMano... La hausse du e-commerce leur profite d'abord à elles. Arrêtons de nous flageller !" a-t-il martelé.
Qu'en est-il vraiment ? Cédric O a partiellement raison : d'après les derniers chiffres de l'institut Kantar, spécialisé dans l'observation du commerce en ligne, la part de marché d'Amazon en France est de 22,2% en 2019. Mais contrairement à ce que sous-entend le secrétaire d'Etat, cette part de marché est énorme : le nombre d'acteurs qui vendent en ligne est pléthorique (plus de 200.000 sites marchands recensés en France en juin 2020), et pourtant plus d'un achat sur cinq sur la Toile se fait sur Amazon ! De plus, Kantar relève que la domination d'Amazon s'accentue. En 2019, le marché du e-commerce en France en général a progressé de 5,9%, mais la croissance d'Amazon a atteint 17,3%.
Autrement dit, et c'est là où Cédric O se trompe, Amazon s'arroge année après année une part toujours plus importante du commerce en ligne français. La hausse du e-commerce ne profite donc pas "avant tout" aux acteurs français, qui restent, pour la plupart, des nains face à Amazon. Le deuxième au classement, Cdiscount, affichait en 2019 une part de marché de 8,1 %, soit très loin derrière Amazon. Fnac-Darty pesait 4,1 % du commerce en ligne, Veepee 3,4 %, puis 2% pour Showroomprive, 1,8% pour Boulanger, 1,6% pour Zalando et 1,5% pour La Redoute. Cité par le ministre, Mirakl, qui fournit aux commerçants des plateformes d'e-commerce, n'est pas lui-même un e-commerçant donc n'a rien à faire dans cette liste. Quant à ManoMano, il est loin du top 10, qui représente 46% du marché total.
Kantar note également que le recours à Amazon devient de plus en plus fréquent pour les Français. D'après l'institut, 22,2 millions de Français (+4,7%) ont passé commande sur le site en 2019, soit 45% des individus majeurs. Ils ont passé 9,8 commandes dans l'année en moyenne (+11,4%) pour un total de 349 euros chacun (+12%), soit un volume d'affaires total de 7,73 milliards d'euros (+17,3%).
Amazon est particulièrement fort sur les segments dits "non essentiels"
Le deuxième confinement est prévu pour s'arrêter le 1er décembre, mais il pourrait s'étendre au-delà. Or, la moitié des Français effectuent leurs achats de Noël dès le mois de novembre, à la fois sur Internet (le Black Friday, c'est-à-dire deux semaines de promotions, est devenu un rituel et reste le meilleur moment de l'année d'Amazon) et en physique -de nombreux magasins réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires annuel pour les fêtes de fin d'année.
La fermeture des commerces non essentiels, c'est-à-dire la mode, les produits culturels, de beauté, de décoration et d'ameublement ou encore l'électroménager, va donc vraisemblablement énormément profiter aux acteurs du e-commerce, à commencer par le premier d'entre eux, Amazon.
Effectivement, si Amazon à lui seul pèse 22,2% du marché global du commerce en ligne en France, ses meilleures performances sont dans les segments dits "non essentiels", comme le montre ce graphique.
[Passer la souris sur le graphique pour découvrir les trois acteurs dominants dans les segments du e-commerce correspondant aux principaux produits non essentiels, pour lesquels il n'y a pas ou peu d'alternatives physiques pendant le confinement]
Ces chiffres sont édifiants : 66,5% des Français ont acheté au moins un produit d'électroménager et d'électronique sur Amazon en 2019, 59,8% ont acheté un produit culturel, et 51,9% ont acheté des jouets et jeux sur la plateforme... Et la concurrence est loin derrière. Amazon est également leader dans la mode/habillement (46,9%), les meubles et produits de décoration (36,1%) ou encore les produits de beauté/bien être (25,1%), même si Yves Rocher lui tient la dragée haute avec 24,1%.
Autrement dit, la grande force d'Amazon est d'être un généraliste. Selon les segments, le top 3 diffère, mais Amazon en fait toujours partie, souvent à la première place. Le seul grand segment du commerce en ligne qui n'est pas dominé par Amazon est celui de l'alimentation. Le leader dans ce domaine est E.Leclerc.drive (25,8%), suivi par Carrefour Drive (15%) et... Amazon (14,8%).
Bonne nouvelle : le premier confinement a bien profité aux enseignes physiques qui vendent en ligne
D'après les chiffres de la Fevad, le chiffre d'affaires du e-commerce a augmenté de 5,3% au deuxième trimestre 2020, à 25,9 milliards d'euros, soit 13% du commerce physique. L'augmentation est plus importante qu'au premier trimestre (+1,8%) en raison du confinement qui s'était étalé entre mi-mars et mi-mai, mais elle n'est pas si impressionnante car la vente de services (comme les voyages par exemple) a logiquement chuté (-36% dont -75% pour les voyages) à cause du confinement de mi-mars à mi-mai.
En revanche, les ventes de produits en ligne ont fortement augmenté, de 45,7%, au deuxième trimestre, portés par le confinement et la fermeture des commerces. On ne connaît pas encore la progression d'Amazon en France grâce au confinement, mais nul doute que le géant américain a été le premier à en profiter : au niveau mondial, son chiffre d'affaires a grimpé de 40% au deuxième trimestre.
En revanche, et c'est peut-être une bonne nouvelle pour les magasins physiques contraints de fermer mais qui peuvent faire du click&collect, et pour les concurrents français d'Amazon en ligne, le premier confinement a beaucoup profité aux enseignes qui ont pignon sur rue. Les ventes en ligne des Fnac, Darty, Cultura et autres ont progressé de 83% en moyenne par rapport à 2019, grâce au transfert d'une partie du chiffre d'affaires de leurs magasins physiques sur internet. Une tendance qui s'est poursuivie après le déconfinement.
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