Présidentielle 2022 : l'élection est-elle correctement protégée contre la désinformation ?

Depuis la dernière élection présidentielle, le pouvoir public a grandement renforcé son arsenal législatif contre les campagnes de désinformation, bien qu'il reste dépendant des efforts fournis par les plateformes pour endiguer les tentatives. Si de fausses informations continuent de passer outre les filtres, les acteurs de l'élection sont mieux préparés que jamais pour réagir à un éventuel événement d'ampleur.
François Manens
Depuis la loi contre la manipulation de l'information votée en décembre 2018, le CSA (devenu Arcom en janvier après sa fusion avec Hadopi) a désormais les réseaux sociaux dans son portefeuille de régulation.
Depuis la loi contre la manipulation de l'information votée en décembre 2018, le CSA (devenu Arcom en janvier après sa fusion avec Hadopi) a désormais les réseaux sociaux dans son portefeuille de régulation. (Crédits : DADO RUVIC)

L'élection présidentielle 2017 avait échappé de peu à la catastrophe. Deux jours avant le second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, des pirates avaient mis en ligne les "Macron Leaks", une fuite de milliers d'emails et de documents volés sur les messageries de plusieurs cadres d'En Marche.

La manœuvre de déstabilisation rappelait celle lancée avec succès contre Hillary Clinton un an plus tôt, lors de l'élection présidentielle américaine, qui avait joué un rôle non négligeable dans la bascule du scrutin en faveur de Donald Trump. A posteriori, le renseignement américain avait désigné la Russie comme responsable de la fuite et qualifié l'opération d'ingérence.

Les réseaux sociaux ne s'auto-régulent plus

Heureusement, dans le cas français, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle (CNCCEP) avait recommandé aux médias de respecter la période de réserve et de ne pas commenter les documents avant le scrutin, déjouant ainsi la tentative de déstabilisation de l'élection. 5 ans plus tard, les institutions publiques et les plateformes privées se préparent de nouveau à ce genre d'attaque informationnelle. Mais cette fois, elles sont mieux préparées que jamais.

"Ce qui est différent par rapport à la dernière élection présidentielle, c'est que dorénavant chaque acteur sait quelle est sa responsabilité et à qui s'adresser en cas d'événement exceptionnel", affirme à La Tribune Benoît Loutrel, membre de l'Arcom (Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) et président du groupe de travail "supervision des plateforme en ligne".

Et pour cause : depuis la loi contre la manipulation de l'information votée en décembre 2018, le CSA (devenu Arcom en janvier après sa fusion avec Hadopi) a désormais les réseaux sociaux dans son portefeuille de régulation. Facebook, Twitter ou encore Twitch doivent donc se tourner vers l'Arcom, la Commission électorale ou le Conseil constitutionnel en cas de tentative de manipulation massive de l'information.

Au début, les législateurs voulaient imposer une obligation de résultats aux plateformes. Mais suite au retoquage de la loi de lutte contre la haine en ligne au conseil constitutionnel, ils ont opté vers une obligation de moyens. Autrement dit, les réseaux sociaux s'engagent auprès du régulateur à déployer des mesures suffisantes pour contrer les opérations de manipulation, mais ils n'ont aucun compte à rendre. "La loi nous a confié le rôle de coach des réseaux sociaux en quelques sortes", vulgarise Benoît Loutrel.

Concrètement, le nouveau super-régulateur français réunit chaque semaine les principales plateformes (Facebook, Twitter ou encore Google) pour faire un point sur la régulation de la désinformation. Il faut dire que la définition des filtres de modération à appliquer est plus compliquée qu'il n'y paraît. "Les réseaux sociaux cherchent constamment les bons seuils de régulation. Les fausses nouvelles ont toujours existé, l'enjeu aujourd'hui est de limiter leur résonance sur les réseaux sociaux et l'amplification inauthentique de leur viralité", précise le membre de l'Arcom. Les réseaux font ainsi la distinction entre une fausse information relayée par les militants d'un parti et une fausse information amplifiée artificiellement à l'aide de robots.

Grâce à ses prérogatives sur les plateformes, l'Arcom régule désormais les deux portes que doit emprunter la désinformation pour se répandre : le biais éditorial (les médias), et le biais algorithmique (les réseaux sociaux).

Une nouvelle agence pour détecter les tentatives d'ingérence

Pour détecter les grandes campagnes de désinformation, l'Etat ne se contente pas de l'action de Facebook et consorts. En juillet 2021, il a créé par décret Viginum, un service chargé de "la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères". Ses équipes cherchent la partie publique des réseaux sociaux - ils n'ont pas la compétence pour accéder aux contenus privés - à la recherche d'éventuelles tentatives d'ingérences étrangères.

Ils rapportent ensuite leurs observations auprès de trois organes : l'Arcom, la commission électorale (garante de l'intégrité du scrutin), et le conseil constitutionnel (compétent pour trancher en cas de doute sur la sincérité du scrutin). L'Arcom pourra ensuite questionner les réseaux sociaux sur certains phénomènes détectés par Viginum, afin d'établir une collaboration essentielle. "Comme pour des icebergs, Viginum ne peut voir que la partie émergée du phénomène de désinformation, alors que c'est la partie immergée qui est plus dangereuse. Seuls les réseaux sociaux peuvent tout voir sur leur plateforme et déterminer si l'iceberg est dangereux ou non", rappelle Benoît Loutrel.

Les réseaux sociaux laissent passer des fausses informations

Vous l'aurez compris : le seuil de modération est difficile à définir. Résultat : de fausses informations parviennent à circuler massivement dans les groupes complotistes francophones en ligne, sur Facebook, Twitter ou encore Telegram. Par exemple, depuis fin mars, plusieurs pages et comptes suivis par des dizaines de milliers de personnes prétendent que le gouvernement aurait signé un contrat avec l'entreprise Dominion pour "compiler les résultats de l'élection présidentielle", dans le but de les manipuler. Le ministère de l'Intérieur et Dominion ont pourtant confirmé à l'AFP qu'aucun contrat ne les liait.

Le nom de cette société canadienne avait déjà été martelé en 2020 par Donald Trump et ses soutiens, au centre de son discours sur la contestation des résultats de l'élection présidentielle américaine. Et pour cause : Dominion édite des machines de vote électronique utilisées dans de nombreux Etats américains, dont la Pennsylvanie qui avait joué un rôle clé dans le basculement de l'élection en faveur de Biden.

Bien que de nombreux experts ont insisté sur le fait qu'aucune preuve ne démontrait une défaillance des systèmes Dominion en faveur du candidat démocrate, la rhétorique des soutiens de Trump a trouvé écho dans plusieurs médias conservateurs américains.

Alors que le président sortant se faisait bannir de Twitter et Facebook en raison de ses messages mensongers à répétition, sa propagande a continué de vivre dans les médias et sur les réseaux sociaux conservateurs comme Parler, au point d'aboutir au triste épisode de l'invasion du Capitole.

Heureusement, l'importation de ce discours complotiste en France rencontre - pour l'instant - un succès bien moindre, tout simplement car Dominion n'a aucune implication dans l'élection présidentielle. Seules 66 communes de plus de 3.500 habitants sont équipées en machines de vote de la marque néerlandaise NEDAP, ce qui concerne environ 1 million d'électeurs. Et encore, toutes ne sont pas utilisées, car plus de la moitié des communes équipées sont revenues aux bulletins papiers face aux problèmes d'opacité du vote électronique.

Une période électorale calme ?

La fake news Dominion est un bon exemple du genre de désinformation capable de passer outre les filtres : bancale, peu crédible, et reprise d'un exemple étranger, elle ne se répand au final que dans les sphères complotistes. Autrement dit, le fait qu'elle soit la principale fausse information autour de l'élection peut être vu comme un bon signe.

Au final, l'élection se déroule pour l'instant dans un calme relatif remarquable sur le volet de la désinformation, et plusieurs phénomènes pourraient expliquer cette situation. D'abord, les réseaux sociaux améliorent leurs mécanismes de prévention d'élection en élection, avec l'appui d'équipes dédiées aux périodes électorales qui gagnent en expérience.

Ensuite, comme le relève dans Challenges Pauline Talagrand, responsable de la cellule de fact checking de l'AFP, la désinformation se concentre pour l'instant sur le conflit russo-ukrainien. Souvent à la barre des tentatives de déstabilisation des pouvoirs occidentaux, le renseignement russe a déjà beaucoup à faire avec la guerre informationnelle qui se joue en parallèle du terrain.

François Manens

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Commentaires 11
à écrit le 08/04/2022 à 23:10
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On n'est nullement protégé; puisque les médias sont a l'oeuvre pour nous mettre le doute sur ce qu'elles diffusent!

à écrit le 08/04/2022 à 21:57
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La désinformation c’est toute l’année autocensure, manipulation, omission, on l’à encore vu avec l’affaire Cohen...

à écrit le 08/04/2022 à 19:25
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Je ne sais pas ce que signifie "désinformer". Je sais ce que signifie "informer" et recevoir une fausse information. Fausse information ou information ont exactement la même valeur: elles ont besoin d'être prouvées?

le 09/04/2022 à 9:04
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Dans la novlangue, désinformer signifie donner une information contraire à la doctrine officielle. La lutte contre la "désinformation" est un moyen de légaliser la censure. C'est ce que font en permanence la Russie et la Chine par exemple. Ils interd...

à écrit le 08/04/2022 à 8:08
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Nous savons que nous pouvons compter sur l'UERSS empire prévu pour durer mille ans pour parfaitement contrôler l'information même s'il est impossible de la contrôler à 100% du fait d'internet mais l'intérêt est que ce soit les inactifs qui ne soient ...

à écrit le 08/04/2022 à 4:07
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Le programme des compétiteurs est arrivé dans les boites à lettres. Un sacré panel de visions et de propositions pour beaucoup très peu convaincantes et truffées de dogmes et d'utopies. D'un autre côté, de la part de ceux qui se sont essayé à l'ex...

à écrit le 07/04/2022 à 21:35
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qu'est-ce qu'une fake news : ce qui déplait au ponctionnaire inutile et rentier : donc je m'en fout !!!

à écrit le 07/04/2022 à 19:41
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Si Fabien Roussel que je soutiens dénonçait Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Poutou, et Macron comme Pécresse, Le Pen et zemmour comme les plus grands faisers de CO2 pour ne pas appliquer les péconisations du GIEC : développer fortement le nucléaire civil....

le 08/04/2022 à 8:25
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Moi, je défends la sobriété énergétique qui va de pair avec la sortie de "la politique de l'offre" et de ses inutiles publicités!;-)

à écrit le 07/04/2022 à 19:40
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Autre remarque : tous les médias macroniens ultralibéraux hyperatlantistes anticommunistes capitalistes (95% des médias y compris le soit disant service public) poussent au vote Mélenchon soit disant utile. Cela donne une petite idée de ce qu’est LF...

à écrit le 07/04/2022 à 19:38
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Je pense que si il y avait eu un débat télévisé entre Fabien Roussel et Mélenchon, ce dernier serait sorti à poil rien que sur le nucléaire et je pense que Fabien Roussel n’aurait pas hésité à étriller Mélenchon qui est en contradiction complète avec...

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