Fake news et élection présidentielle : Facebook et Twitter se défendent face au Sénat américain

Les patrons de Facebook et Twitter ont été auditionnés mardi par le Comité judiciaire du Sénat américain. Les réseaux sociaux ont défendu leur politique de modération des contenus, dans un contexte post-électoral des plus électriques. Aux Etats-Unis, républicains comme démocrates appellent à réformer le statut des plateformes pour les responsabiliser davantage concernant les contenus postés par leurs utilisateurs. Décryptage.
Mark Zuckerberg, patron et cofondateur de Facebook, lors de son audition par visioconférence mardi devant le Sénat américain concernant les règles de modération de son réseau social.
Mark Zuckerberg, patron et cofondateur de Facebook, lors de son audition par visioconférence mardi devant le Sénat américain concernant les règles de modération de son réseau social. (Crédits : Reuters)

Jack Dorsey et Mark Zuckerberg, tous deux présents par visioconférence (Covid-19 oblige), ont été cuisinés durant plus de quatre heures et demie par les sénateurs américains mardi. Les dirigeants de Twitter et Facebook étaient convoqués devant le Comité judiciaire du Sénat des États-Unis pour défendre la politique adoptée par leurs plateformes respectives en matière de modération des contenus.

Un sujet que la très récente élection présidentielle américaine a contribué à rendre encore plus sensible et médiatique que d'ordinaire. Sans surprise, un grand nombre de questions se sont donc focalisées sur le scrutin et la manière dont les deux dirigeants ont dirigé leur barque durant cette échéance historique.

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Lutte contre les fake news : des efforts insuffisants

De nombreux élus démocrates ont pointé la façon dont Donald Trump et une partie de sa famille politique, qui refusent de reconnaître leur défaite, utilisent les réseaux sociaux pour faire circuler de fausses informations à ce sujet et inciter leurs troupes à rester mobilisées. Les nombreuses allégations de fraude (pour la grande majorité sans fondement) qui circulent sur les réseaux sociaux ont notamment suscité leur inquiétude.

Si les élus démocrates ont été nombreux à saluer les efforts déployés par Twitter et Facebook pour limiter l'impact de ces publications, tous ont également suggéré que les deux plateformes n'en faisaient pas assez, et ont contesté l'efficacité de certaines mesures adoptées jusqu'à présent.

« Je me demande si le fait de labelliser les messages publiés par le président sert vraiment à quelque chose : cela les empêche-t-il vraiment, lui et ses alliés, de répandre des mensonges auprès de millions d'Américains ? » s'est interrogée Mazie Hirono, la sénatrice d'Hawaï.

« Dans un contexte comme celui-ci, ce genre de messages peut s'avérer déterminant pour provoquer l'indignation d'un grand nombre de personnes, et les inciter à des actions potentiellement violentes », a renchérit sa collègue Dianne Feinstein, sénatrice de Californie.

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« Une tâche insurmontable »

« Nous avons labellisé tous les tweets du président propageant de fausses informations entre cinq et trente minutes seulement après leur publication, et le label n'est pas une fin en soi : il est assorti de liens externes permettant aux personnes qui voient ces tweets d'accéder à des contenus opérant une mise en contexte et rétablissant la vérité », s'est défendu Jack Dorsey.

Le fondateur de Twitter a cependant reconnu que sa plateforme n'avait pour l'heure pas trouvé de recette magique pour lutter contre la propagation de fausses informations par des élus, soulignant au passage la délicatesse de sa position.

« Nous sommes face à une tâche qui semble insurmontable, contraints de garantir la qualité du débat public tout en permettant au plus grand nombre de personnes possible de s'exprimer librement », s'est défendu Jack Dorsey.

Face à un Cory Booker (sénateur démocrate du New Jersey) tonnant contre « les honteuses tentatives de manipulation du public mises en œuvre par le président, s'appuyant largement sur les réseaux sociaux » et demandant des « actions concrètes » pour limiter celles-ci et éviter davantage de turbulences dans les semaines à venir, Mark Zuckerberg a souligné la façon dont Facebook avait anticipé ce risque en amont.

Le plus grand réseau social au monde a ainsi temporairement interdit les publicités politiques et adopté davantage de sanctions à l'encontre des groupes et pages Facebook visant à rassembler un grand nombre de personnes dans l'objectif de troubler l'ordre public. Le groupe "Stop the steal", lancé par des supporters de Trump après l'élection afin de dénoncer une fraude aussi massive qu'imaginaire, et d'inciter à l'insurrection, a ainsi été supprimé après avoir rapidement rassemblé 350 000 membres.

Twitter et Facebook, des arbitres du débat public

Là où les démocrates ont été unanimes à demander davantage d'actions de la part des plateformes pour limiter la circulation des fausses informations et censurer les contenus haineux, leurs homologues républicains se sont au contraire inquiétés de la façon dont ces deux entreprises se posent en arbitres du débat public.

« Twitter et Facebook sont tous deux en situation de monopole, et au lieu de s'en inquiéter, les élus démocrates n'ont qu'une idée en tête : les inciter à abuser encore davantage de leur pouvoir, à censurer toujours plus la parole publique », s'est insurgé Ted Cruz.

Le sénateur du Texas a ensuite cité plusieurs affaires récentes durant lesquelles les deux plateformes ont selon lui injustement censuré des personnalités ou des contenus de sa famille politique. A commencer par le désormais célèbre article du New York Post accusant Hunter Biden, le fils du président fraîchement élu, de connivence avec les autorités ukrainiennes. Paru quelques jours avant la présidentielle, cet article a vu dans un premier temps sa viralité limitée par Twitter, avant que le réseau social ne se rétracte. « Une erreur », confesse Jack Dorsey.

Plusieurs collègues de Ted Cruz ont fait écho à ses critiques. Mike Lee, sénateur républicain de l'Utah, a ainsi dénoncé la façon dont l'une de ses publications en lien avec l'élection, qui ne contenait aucune fausse information, a été supprimée. Lindsey Graham, sénateur républicain de la Caroline du Sud et directeur du comité, a quant à lui questionné la légitimité des deux entreprises à se poser en arbitres du débat public.

Les réseaux sociaux, biaisés contre les républicains ?

Mark Zuckerberg et Jack Dorsey - tout en admettant que leurs employés penchent très majoritairement en faveur du parti démocrate - se sont défendus de tout biais en la matière. Ils ont affirmé que les différents exemples cités par les élus républicains étaient des cas isolés, résultant d'erreurs depuis rectifiées. « Je comprends que des erreurs puissent se produire, mais il est étrange qu'elles semblent systématiquement jouer en la défaveur du même bord politique », a rétorqué Mike Lee.

La question d'un biais éventuel dans la modération des réseaux sociaux à l'encontre de la droite américaine est un sujet qui revient très régulièrement dans le débat public. Au-delà des publications de leur camp qui ont été supprimées ou vu leur viralité réduite, les républicains pointent également le fait que la Silicon Valley est un bastion démocrate.

« 93% des employés de Facebook qui ont effectué un don à un parti politique pour cette élection l'ont fait en faveur du parti démocrate. Chez Twitter, cela monte à 99% ! » a ainsi affirmé Ben Sasse, sénateur du Nebraska.

Des accusations niées par les deux entreprises, mais aussi par les démocrates, qui citent plusieurs études indépendantes n'ayant trouvé aucun biais dans la façon dont les contenus sont modérés sur les réseaux sociaux.

Vers une réforme du statut des réseaux sociaux ?

Cette question hautement partisane est au cœur de la controverse autour de la section 230, qui a également été âprement débattue durant l'audition. Surnommée « bouclier de protection », la section 230 est un couvert juridique datant de 1996. Elle permet aux sites Internet et plateformes aux Etats-Unis de ne pas être légalement responsables des contenus postés par leurs utilisateurs.

Fait extrêmement rare dans un paysage politique américain hautement divisé : tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire que celle-ci doit être modifiée, voire purement et simplement supprimée. Mais si républicains et démocrates s'entendent sur ce point, les deux partis le font pour des raisons diamétralement opposées.

Les républicains espèrent pour leur part que, privés de leur bouclier de protection, les réseaux sociaux seront plus enclins à respecter la liberté d'expression que garantit le Premier Amendement de la constitution américaine, sous peine de voir les procès pour censure se multiplier à leur encontre. De leur côté, les démocrates pensent que la mesure aura l'effet inverse : juridiquement responsables des contenus haineux et violents circulant sur leurs plateformes, les réseaux sociaux pourraient avoir la main plus lourde en matière de modération.

Questionnés sur ce point, Jack Dorsey et Mark Zuckerberg ont tous deux admis qu'Internet avait beaucoup évolué depuis l'adoption de la section 230. Tout en reconnaissant que leurs sites respectifs n'auraient pas pu naître sans cette dernière, ils se sont prononcés en faveur de sa mise à jour.

Au-delà de la section 230, ce débat touche à la nature des réseaux sociaux. Sont-ils de simples entreprises de télécommunication, susceptibles d'arbitrer la parole comme bon leur semble, ou de véritables producteurs de contenus, apparentés à des entreprises médiatiques, et donc tenus de garantir la liberté d'expression de chacun ? Pressé à plusieurs reprises sur ce point, et en bon diplomate soucieux de ménager la chèvre et le chou, Mark Zuckerberg a affirmé que Facebook et Twitter étaient selon lui des plateformes d'un type nouveau, dont la réalité se situe entre ces deux extrêmes, et pour lesquelles des régulations bien spécifiques devraient être mises en place afin d'arbitrer la gestion des contenus.

Lire aussi : Pour Mark Zuckerberg, Facebook est désormais plus qu'un réseau social

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Commentaire 1
à écrit le 18/11/2020 à 11:12
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Je prefère que les gens disent tout ce qu'ils veulent sur les réseaux sociaux, ils finiront forcément par se calmer, que de ne pouvoir commenter que ce que la kommandature veut que l'on commente et de quelle façon on la commente hein... Décidemment o...

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