Guillaume Meurice, l'humoriste militant qui divise France Inter

Depuis qu’il a comparé Benyamin Netanyahou à « un nazi sans prépuce », Guillaume Meurice divise les auditeurs de France Inter et au-delà. Mais qui est cet humoriste militant qui déstabilise tant la première radio de France ?
Pauline Delassus
Guillaume Meurice, à Bordeaux en 2022.
Guillaume Meurice, à Bordeaux en 2022. (Crédits : © Constant Forme-Becherat/Hans Lucas via Reuters)

Un comique au « 36 ». Pendant deux heures, le 21 novembre, Guillaume Meurice a répondu aux questions de deux policiers dans les locaux de la direction régionale de la police judiciaire. « L'ambiance était détendue », rapporte un proche du dossier. Meurice le caustique n'a pas hésité à plaisanter avec les enquêteurs chargés de son interrogatoire. Des questions l'ont surpris, celles portant sur ses liens supposés avec Dieudonné, plusieurs fois condamné pour antisémitisme. « Connaissez-vous M. M'bala M'bala ? Que pensez-vous de ses opinions ? Comment avez-vous réagi à ses prises de position politiques ? » Cette audition libre a eu lieu dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte à la suite des plaintes déposées pour injure raciale et incitation à la haine envers un groupe religieux par l'Organisation juive européenne, l'avocat Gilles-William Goldnadel et l'association Avocats sans frontières, une procédure prise au sérieux par la PJ dans un contexte de recrudescence d'actes antisémites.

Lire aussiIA : Poutine dénonce un « monopole dangereux » des Occidentaux

À France Inter, plus personne ne rit. Des salariés décrivent un climat délétère et une polarisation entre ceux qui défendent leur collègue et ceux jugeant qu'il est allé trop loin. La médiatrice de la station a reçu 1 841 lettres et e-mails d'auditeurs choqués par la comparaison faite entre le Premier ministre israélien et un nazi et la référence insultante à la circoncision des Juifs. Charline Vanhoenacker, à la tête de l'émission Le Grand Dimanche soir, amie de Guillaume Meurice, a assuré avoir pris en compte les très nombreuses réactions. « Elle a été extrêmement sollicitée par la direction de la radio et du groupe, confie une salariée d'Inter. Et a porté seule toute cette pression. » À bout, elle a été placée en arrêt maladie, mais sera de retour à l'antenne dès ce soir. Juliette Arnaud, pilier de l'équipe, aurait refusé de la remplacer le temps de son congé. Un best of a été diffusé en son absence et, par prudence - ou censure, diront certains -, la fameuse chronique du 29 octobre a été supprimée du site et de l'application d'Inter. Clara Dupont-Monod et Hippolyte Girardot, fidèles de la bande, ont décidé de ne pas participer à l'émission du 12 novembre. La direction de Radio France a adressé un avertissement à Guillaume Meurice tandis que la patronne de France Inter, Adèle Van Reeth, a dit se joindre « au malaise » et a rappelé à l'ordre le chroniqueur. Le 15 novembre, elle a tenté d'apaiser ses troupes, réunies autour d'une coupe de champagne pour célébrer les bonnes audiences. Au micro, Van Reeth a affirmé son soutien à Vanhoenacker et Meurice, ajoutant : « Je suis et serai toujours du côté de la liberté d'expression. » Une semaine plus tard, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), saisie par le sénateur Laurent Lafon, a néanmoins adressé une « mise en garde » à France Inter.

Guillaume n'est pas un idéologue. C'est un sale gosse, il a surtout envie de se marrer.

Alex Vizorek

Doué en « impro »

Sourire goguenard intact, chemises invariablement froissées, Guillaume Meurice semble, lui, imperturbable. Il n'a pas souhaité s'excuser pour son trait « d'humour » - ni nous répondre -, plaide pour son droit à l'outrance et poursuit la tournée de son one-man-show. Le 10 novembre, à Vierzon, il apparaît sous les applaudissements et lance: « Il y a des gens de gauche dans la salle ? Des socialistes ? Des écolos ? Des Insoumis ? » Les bras se lèvent, les rires fusent. L'ambiance est bonne ce soir dans la petite ville du Cher, communiste depuis plusieurs décennies. Les 500 places du Théâtre Mac-Nab - vendues 20 euros - sont occupées, et même la maire PCF, Corinne Ollivier, est présente. Leur héros est en costard-cravate. Il incarne, dans Meurice 2027, un candidat à l'élection présidentielle tendance beauf-machiste-cynique, « un type de droite, quoi », résume un spectateur, prof à la retraite. Le comédien, que la vie politique inspire depuis ses débuts, écrit seul ses spectacles, comme ses chroniques radio. Sur scène, il enchaîne les gags à un rythme soutenu, doué en impro et lors de ses interactions avec le public, moins lorsqu'il moque les élus dans des boutades faciles. L'âge de Raffarin, le physique de Blanquer, les scores d'Hidalgo et de Pécresse, les origines bourgeoises de Macron... Dans la salle, on jubile. Le Pen, Ciotti et Darmanin ? Hués. La police aussi. BHL et Séguéla en prennent pour leur grade, Jadot et Quatennens de même. En introduction, il passe un faux clip de campagne - lui filmé sous toutes les coutures - quelque peu mégalo. Nous sommes onze jours après le début de la polémique, Meurice y fait référence plusieurs fois et lâche juste avant le tomber de rideau : « Ma prochaine chronique est prête ; inch' Allah, ce sera pas la dernière ! » Le public exulte. « On l'aime parce qu'il est antisystème », commente une infirmière venue avec des amies.

Conspuer les puissants, se méfier des riches, opposer dominants et dominés, c'est le credo meuricien. « Antisystème », peut-être... vedette médiatique écoutée chaque semaine par 1 million de personnes, surtout. En 2018, il a donné dans une revue le détail de ses votes aux élections : Noël Mamère en 2002, Dominique Voynet en 2007, Eva Joly en 2012, Jean-Luc Mélenchon en 2017. Meurice est un écolo, végétarien, engagé auprès d'associations de défense des migrants, notamment à Rennes, où il a emménagé avec sa compagne. Un politique emporte son affection, Philippe Poutou, qu'il cite régulièrement, oubliant soudain d'être féroce. Sollicité, l'ex-candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) l'admet volontiers : « J'ai rencontré plusieurs fois Guillaume Meurice à France Inter. Le courant est immédiatement passé. Nous avons une proximité sur l'antiracisme, l'anticolonialisme, la solidarité internationale des peuples, l'écologie radicale, les Soulèvements de la Terre, la lutte contre les mégabassines, notamment. » « Mais Guillaume n'est pas un idéologue, assure Alex Vizorek, son ami depuis quinze ans. C'est un sale gosse, il a surtout envie de se marrer. »

Guillaume Meurice en cinq dates

1981 Naissance à Chenôve (Côte-d'Or)

2008 Premier spectacle, à Paris

2012 Entre à France Inter

2018 Publie son premier roman

2023 Présente son quatrième spectacle, « Meurice 2027 »

Ironie démagogique

Un réalisateur chevronné de la station note que les prises de position de la troupe de Charline Vanhoenacker, Meurice en tête, se sont durcies en cinq ans, « au rythme de la montée en puissance de LFI », estime-t-il, devenant un genre de Grosses Têtes de gauche. Dans Le Moment Meurice, le quadra dégomme à tout-va, avec une prédilection évidente pour les macronistes, la droite et l'extrême droite, les patrons en tout genre et surtout les siens. Ses cibles favorites se nomment Gérald Darmanin, Pascal Praud, Nicolas Sarkozy et Élisabeth Lévy. Il tape aussi sur ses collègues Léa Salamé et Sophia Aram, dont le combat universaliste semble l'horripiler. La gauche n'est pas épargnée : les délires de Jean-Luc Mélenchon l'inspirent, tout comme les bourdes de la Nupes et les atermoiements socialistes. « Il croit incarner la pureté de la gauche, la bonne gauche, mais attaque sans jamais argumenter », glisse, vachard, l'un de ses collègues. Et tombe parfois dans une grossière ironie démagogique, comme la veille de la présidentielle 2022 : « Que le plus soutenu par le pouvoir médiatico-économique et les classes dominantes gagne. » Dans ses micros-trottoirs, le plus drôle reste la parole de ses interviewés, croisés dans la rue, au bistrot ou dans des meetings, rendus idiots, fachos ou poujados par la magie du montage radiophonique. Le résultat est souvent hilarant. À croire que l'homme de gauche aime se gausser du « peuple ». Meurice exècre les religions et leurs représentants, épingle le pape et les cathos dès que possible, les juifs et les musulmans moins souvent. « Après les attentats de janvier 2015, lui, Charline et la bande ont été très bons, souligne un producteur d'Inter. Ils se moquaient des islamistes, ça faisait un bien fou. » Des fanatiques, il dénonce la paranoïa et l'esprit complotiste et s'amuse des pratiques rigoristes. En 2017 : « Les femmes en burkini ressemblent à des otaries boudinées. [...] Elles pensent que Dieu existe [...] .Si on devait condamner les gens qui pensent des conneries... » Avant l'attribut de Netanyahou, il y eut celui du maire de Londres, Sadiq Khan, musulman, qui n'aurait « pas plus de programme politique que de prépuce ». Sur X (anciennement Twitter), il a plusieurs fois visé la politique du gouvernement israélien et la colonisation de la Cisjordanie. En 2014, il moque une star juive du stand-up : « C'est quand même moins surprenant de voir Gad Elmaleh dans une pub pour la banque que dans un spectacle d'humour », un post dont les relents antisémites font grincer, déjà.

Il croit incarner la pureté de la gauche, la bonne gauche, mais attaque sans jamais argumenter.

Un humoriste de France Inter

C'est en 2012 qu'il débute sur Inter, dans l'émission de Frédéric Lopez On va tous y passer ; il rejoint deux ans plus tard celle de Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek. Le matin, il arrive tôt à la Maison de la radio, dans l'open space réservé à l'équipe, et enregistre les sons pour sa chronique. Un déjeuner aux Ondes, le restaurant où se retrouvent les journalistes, ou dans une pizzeria avec l'ami Vizorek. Dans les couloirs, on le raconte « souriant mais insaisissable », « toujours de bonne humeur mais un peu perso ». À l'été 2023, il se présente aux élections professionnelles de Radio France sur la liste SUD, à une position non éligible, en soutien de l'action du syndicat. Sa vocation militante naît dans l'enfance. Quand il voit le jour, en 1981, son père, soixante-huitard antimilitariste, est cheminot dans la région de Dijon. Quelques années plus tard, la famille emménage à Jussey, en Haute-Saône. Les parents, auditeurs de France Inter, ouvrent une maison de la presse, centre névralgique de la petite commune où l'on discute de l'actualité comme autour d'un comptoir. Meurice est lycéen à Vesoul ; il échoue une première fois au bac, l'obtient l'année suivante, puis s'inscrit à l'université à Besançon, en gestion. Fan de l'Olympique de Marseille, il veut se rapprocher du Vélodrome et part en licence à Aix-en-Provence. « Un échec cuisant », dit-il, qui le pousse à rejoindre Paris pour apprendre la comédie au prestigieux cours Florent.

Il enchaîne les petits boulots, s'essaie à la mise en scène, écrit un premier spectacle. Vizorek le rencontre à cette époque, alors que tous deux rodent leurs blagues dans des cafés-théâtres : « On a réussi tard lui et moi, aujourd'hui on profite et on a une boulimie de travail. » En 2009, Meurice se produit à la Main d'Or, théâtre dirigé par Dieudonné, déjà poursuivi pour provocation à la haine. Un voisinage qui ne semble pas le gêner. Ses références vont des sketchs des Inconnus aux écrits d'Albert Jacquard, chercheur biologiste un brin beatnik officiant sur France Culture. « Il m'a rendu moins con », a expliqué Meurice. Il développe d'abord un style « chansonnier », en costumes. Le micro-trottoir vient ensuite, « une facilité », estime un confrère, mais efficace en radio. Aujourd'hui, ses pairs ne l'ont pas désavoué, la plupart considèrent que sa tirade sur Netanyahou appartient à la liberté d'expression. « Juger l'intention des vannes, c'est remettre en question le métier ; impossible ! » commente un habitué des comedy clubs.

Soutien actif d'Anticor

Une autre « vanne » de Meurice a fait des remous, au sujet de Vincent Bolloré. En 2021, l'éditeur Le Robert, propriété du groupe Editis, alors détenu par l'homme d'affaires, lui propose l'écriture d'un livre humoristique sur les expressions de la langue française, avec une coautrice, Nathalie Gendrot. Cette dernière se souvient : « C'est pendant l'écriture que nous nous sommes rendu compte que Bolloré était le propriétaire de la maison d'édition. » À ce moment, Meurice a voulu ajouter une blague sur lui dans le livre. Le service juridique intervient, la direction du groupe demande le retrait du passage sur l'actionnaire, puis l'annulation de la publication. Censure indéniable. L'ouvrage paraît finalement en 2023 chez Flammarion, appartenant au holding éditorial Madrigall. Meurice attaque Editis devant les tribunaux, défendu par Me Élise Van Beneden, présidente de l'association Anticor, dont il est lui-même un soutien actif, qui lutte contre la corruption en politique. Le procès n'a pas encore eu lieu. Son avocate est également la cofondatrice de Blast, média en ligne proche de LFI. Pour Blast, Meurice le touche-à-tout a présenté sept émissions diffusées sur YouTube sous le titre de Tournée générale, avec des invités politiques dont la couleur ne varie guère : Sandrine Rousseau, Louis Boyard, Marine Tondelier, Olivier Faure, Clémentine Autain, Rachel Keke et pour finir François Ruffin. La Nupes au grand complet ! Pour Spotify, géant de l'audio en ligne (pas vraiment anticapitaliste), il a joué au démiurge, imaginant dans un podcast être élu président de la République. Florilège de ceux qu'il nommerait dans son gouvernement : Rokhaya Diallo [NDLR : correction apportée le 26 novembre, à 22h06] à la Justice, Julia Cagé à « l'information », Claire Nouvian Première ministre, Thomas Porcher à l'Économie ou Corinne Masiero à la « contre-culture ». Parmi ses activités, Meurice compte aussi une collaboration avec le journal Siné (Hebdo puis Mensuel), lancé après l'affaire du même nom, celui de l'ex-dessinateur de Charlie Hebdo, anar décolonial, soutien en 2004 de la liste Euro-Palestine menée par Dieudonné. Siné, qui fut déjà condamné dans les années 1980 pour avoir notamment déclaré : « Je suis antisémite [...] je veux que chaque Juif vive dans la peur », avait écrit un texte moquant l'éventuelle conversion au judaïsme du fils de Nicolas Sarkozy. Licencié de Charlie, il choisit de fonder « un canard qui ne respectera rien ». « J'adorais Siné, y compris dans ses outrances », déclare Meurice en 2018. Toutes les outrances ? Il écrit toujours pour le mensuel désormais dirigé par Catherine Sinet, la veuve de celui qui a disparu en 2016. Elle a rencontré Meurice à France Inter puis l'a convié, avec Charline Vanhoenacker, à leur conférence de rédaction et confirme : « Guillaume signera dans notre prochain numéro, en kiosques le 6 décembre. » D'ici là, il remplira les théâtres d'Annecy et Crolles. « Y a des gens de gauche dans la salle ? »

Une procédure incertaine

La chronique de Guillaume Meurice du 29 octobre sur France Inter, lors de laquelle il qualifiait le Premier ministre israélien de « sorte de nazi mais sans prépuce », tombe-t-elle sous le coup de la loi ? Selon l'un des avocats de l'humoriste, la plainte pour injure devrait être portée par Benyamin Netanyahou lui-même pour pouvoir aboutir, et celle pour incitation à la haine envers un groupe religieux ne serait valide que si l'on considère que l'homme politique représente l'ensemble des Juifs. Il estime ainsi que les plaignants - dont Gilles-William Goldnadel, qui avait fait condamner Siné en 1982 pour provocation à la haine raciale - n'ont aucune capacité à agir. Ses conseils misent sur un classement sans suite de l'enquête préliminaire. L'Autorité de régulation de l'audiovisuel et du numérique (Arcom) a également été saisie et a adressé une mise en garde à France Inter. De son côté, Guillaume Meurice a décidé de contester devant les tribunaux l'avertissement qu'il a reçu de la part de la direction de Radio France.

NDLR : malgré notre vigilance, une inversion d'identité s'est glissée dans l'avant-dernier paragraphe de cet article. A la place de « Danièle Obono », il convenait de lire « Rokhaya Diallo ». La rédaction présente toutes ses excuses aux personnes directement concernées par cette erreur, ainsi qu'à ses lectrices et à ses lecteurs.

Pauline Delassus

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 27/11/2023 à 17:29
Signaler
Humoristique...surtout islamogauchiste ! Avec l’argent publique

à écrit le 26/11/2023 à 18:51
Signaler
arretez avec ces titres, on se croirait du temps de coluche ou le luron!!!!! il faut dire ' comment un hypertolerant de gauche divise la gauche tolerante de la gauche hypertolerante'........les autres gens ont d'autres pbs a regler, que la gauche res...

à écrit le 26/11/2023 à 11:31
Signaler
Tempête dans un verre d'eau , une information en chasse une autre , il peut faire ce qu'il veut il est grillé .Il est a parié qu'un bon nombre de ses spectacles va être annulé .Il finira comme Dieudonné . Seule hypothétique consolation le montant du ...

le 26/11/2023 à 13:31
Signaler
Vous avez raison; et tant mieux... France Inter (qui n'est pas ma tasse de thé, il y a bien mieux dans ce groupe) est in-écoutable à certaines heures. Outre la crétinerie des animateurs qui ne savent faire que de la a "promo", ils sont généralement e...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.