Consolidation des télécoms : les opérateurs européens pressent l'UE de réviser sa politique

Au salon du mobile de Barcelone, Deutsche Telekom, Vodafone, Telefonica ou encore Orange ont vivement appelé l'Union européenne à autoriser un retour à trois opérateurs dans les pays membres. Cette mesure, à laquelle la Commission reste farouchement opposée, constitue à leurs yeux un impératif pour relancer les investissements dans la fibre et la 5G.
Pierre Manière
Timotheus Höttges, le PDG de Deutsche Telekom, râle contre la régulation européenne des télécoms. « Quand va-t-on en finir avec ce bazar ? », a-t-il canardé ce lundi, au salon du mobile de Barcelone.
Timotheus Höttges, le PDG de Deutsche Telekom, râle contre la régulation européenne des télécoms. « Quand va-t-on en finir avec ce bazar ? », a-t-il canardé ce lundi, au salon du mobile de Barcelone. (Crédits : Reuters)

Vers un retour à trois opérateurs dans les pays membres de l'Union européenne ? Aujourd'hui, la Commission est très claire : c'est « non ». En France, et comme La Tribune l'a révélé, un opérateur a récemment sondé l'institution sur une consolidation du marché dans un contexte où Altice, la très endettée maison-mère de SFR, cherche à vendre des actifs. Là aussi, il s'est vu opposer un « non ». Mais si cette intransigeance demeure, l'Europe des télécoms va droit dans le mur. C'est du moins la position exprimée lundi après-midi, au Mobile World Congress, le salon du mobile de Barcelone, par plusieurs grands opérateurs du Vieux Continent.

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PDG de Deutsche Telekom, le géant allemand des télécoms, Timotheus Höttges était - c'est peu dire - remonté comme un coucou.

« Nous avons un grave problème en Europe, a-t-il canardé. Quand va-t-on en finir avec ce bazar ? Nous avons besoin d'aide ! »

D'après lui, les opérateurs européens, plombés par une forte concurrence et des prix bas, n'ont désormais plus les moyens d'investir davantage dans leurs réseaux. Pour le patron du plus grand acteur des télécoms du continent, ce sont les citoyens qui trinquent.

 « Aux Etats-Unis, les opérateurs investissent en moyenne 240 euros par an et par habitant dans leurs infrastructures digitales, a rappelé Timotheus Höttges. En Europe, c'est 109 euros, c'est-à-dire moitié moins. Nous prenons du retard. Nous ne pouvons pas augmenter nos prix et il n'est pas possible de consolider ! Comment pouvons-nous assurer le futur dans ces conditions ? »

« La consolidation doit devenir possible »

A la tête de l'opérateur historique Telefonica, José Maria Alvarez-Pallete n'en pense pas moins. « Quelque chose est cassé dans l'industrie, et il faut désormais réparer », a-t-il lancé à l'intention de la Commission européenne. « Nous avons besoin d'une nouvelle régulation », a-t-il enchaîné. D'après lui, l'Europe des télécoms est face à un lourd déficit d'investissements. Il manque, d'après le dirigeant, 200 milliards d'euros pour que Bruxelles atteigne son objectif d'apporter une connectivité d'un gigabit par seconde à tous les habitants d'ici à 2030. Selon le patron de Telefonica, les opérateurs n'en ont actuellement pas les moyens.

C'est finalement Margherita della Valle, la patronne de Vodafone, le géant britannique des télécoms, qui a frontalement appelé la Commission européenne à en finir avec son inflexibilité à conserver un minimum de quatre opérateurs dans chaque pays membres de l'UE. « La consolidation doit devenir possible dans tous les marchés européens, a-t-elle lancé. Dans le monde de la 5G, il n'existe pas de viabilité économique à avoir quatre opérateurs déployant chacun leurs réseaux en parallèle. » Le sujet préoccupe particulièrement Vodafone, qui est aujourd'hui très en difficulté. Lourdement endetté, ce cador des télécoms vient notamment de sortir du marché espagnol, et songe à faire de même en Italie.

Orange se montre diplomate

Et qu'en pense Orange ? Christel Heydemann, la dirigeante du mastodonte français des télécoms, s'était montrée particulièrement critique, l'an dernier lors du précédent Mobile World Congress, vis-à-vis de la politique de Bruxelles en matière de télécoms. Mais la directrice générale de l'opérateur historique de l'Hexagone s'est retenue, cette fois-ci, de sortir le bazooka. Tout juste a-t-elle rappelé la situation ubuesque dans laquelle se trouvent bon nombre d'opérateurs européens, qui sont « obligés de vendre leurs infrastructures [à des fonds d'investissements, ndlr] pour continuer à investir ».

En réalité, Christel Heydemann a plutôt joué la carte de la diplomatie à l'égard de Margrethe Vestager, la vice-présidente de la Commission européenne en charge de la politique de concurrence. Celle-ci a, en effet, autorisé la semaine dernière la filiale espagnole d'Orange à fusionner avec son rival MasMovil après deux ans de négociations difficiles. Dans ce contexte, il aurait sans doute été malvenu de taper trop fort sur Bruxelles...

« Nous perdons de l'argent ! »

Quoi qu'il en soit, ces coups de gueule des opérateurs interviennent alors que la Commission européenne vient de publier un livre blanc, avec l'intention de réviser sa régulation des télécoms. Dans ce document, Bruxelles a de nouveau appelé à la création d'un marché unique des télécoms - aujourd'hui inexistant, puisque les 27 pays membres disposent, chacun, de leur propre réglementation - et entend favoriser une consolidation transfrontalière.

Cela dit, la Commission européenne reste droite dans ses bottes : elle demeure fondamentalement opposée à une diminution du nombre d'opérateurs dans les différents pays. Rien ne doit « compromettre la concurrence », écrit-elle, soucieuse de préserver le consommateur d'une hausse du prix des abonnements. Les opérateurs seront, dans le cadre d'une consultation, invités à donner leur avis. Timotheus Höttges, lui, en a marre. « Il est temps d'arrêter de parler et de passer à l'action, s'est-il agacé à Barcelone. Nous perdons de l'argent ! » La Commission européenne est, désormais et plus que jamais, attendue au tournant.

Pierre Manière

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