Au Mobile World Congress, l’industrie des télécoms blâme la régulation européenne

Au salon du mobile de Barcelone, les dirigeants d’Orange, de Deutsche Telekom ou encore d’Ericsson ont appelé Bruxelles à revoir urgemment sa politique à l’égard du secteur des télécoms, sous peine de le voir décliner.
Pierre Manière
Tim Höttges, le patron de Deutsche Telekom, ce lundi au Mobile World Congress.
Tim Höttges, le patron de Deutsche Telekom, ce lundi au Mobile World Congress. (Crédits : Reuters)

D'ordinaire, le Mobile World Congress de Barcelone est d'abord l'occasion pour l'industrie des télécoms de braquer les projecteurs sur ses dernières innovations. Mais chose rare, cette nouvelle édition s'est ouverte sur un coup de gueule. Plusieurs dirigeants des cadors européens du secteur ont publiquement clamé leur ras-le-bol concernant la manière dont Bruxelles encadre leur industrie.

Dès la conférence d'ouverture, Christel Heydemann, la patronne d'Orange, a donné le ton. Alors que la Commission européenne presse l'industrie des télécoms de déployer la fibre et la 5G pour apporter partout une connectivité d'un gigabit/seconde d'ici à 2030, la dirigeante a estimé que le secteur n'en a plus les moyens. « Les investissements massifs dans les réseaux - près de 600 milliards d'euros en Europe au cours de la dernière décennie - sont difficiles à rentabiliser, alors que les consommateurs s'attendent à payer moins pour obtenir plus », a-t-elle canardé. Elle remarque que « certaines entreprises de télécommunications ne sont plus en mesure d'absorber entièrement ces investissements ». Résultat : « Elles sont obligées de vendre partiellement leurs infrastructures actuelles pour financer les nouvelles. »

Aux yeux de Christel Heydemann, le coupable est la « concurrence féroce » dans les télécoms, fruit d'une « une réglementation parfois dépassée ». D'après la dirigeante, la politique menée par Bruxelles depuis la libéralisation de cette industrie, à la fin des années 1990, doit évoluer. Si rien ne change, le secteur va, selon elle, au casse-pipe. « Selon le cabinet de conseil PwC, 46% des PDG de sociétés de télécommunications pensent que leur entreprise ne survivra pas une décennie de plus », a-t-elle averti.

Même son de cloche pour Tim Höttges, le patron de Deutsche Telekom. D'après lui, le « cadre » européen des télécoms, caractérisé par « beaucoup de régulation et de concurrence » précipite le déclin du secteur et sa « commoditisation ». A l'en croire, le temps où les opérateurs du Vieux Continent étaient suffisamment puissants pour se diversifier dans la banque ou l'audiovisuel est révolu. « Aujourd'hui, leurs PDG sont contents quand ils ont les moyens de financer leurs réseaux ! », a-t-il averti.

Les opérateurs historiques broient du noir

Ces sorties interviennent alors que de nombreux opérateurs historiques ont le moral dans les chaussettes. Au Royaume-Uni, le géant Vodafone broie du noir, et a entamé de profondes restructurations. En Italie, Telecom Italia est au plus mal et cherche à vendre son réseau Internet fixe. En Espagne, le géant Telefonica souffre également d'une guerre des prix des plus féroces... Tous ces acteurs doivent, en outre, désormais composer avec une inflation galopante et le renchérissement des prix de l'énergie.

Les difficultés des opérateurs préoccupent tous les acteurs des télécoms. C'est notamment le cas des équipementiers, en première ligne pour le déploiement des réseaux mobiles. « En Europe, aucun opérateur n'a les moyens de construire un réseau 5G, s'emporte Franck Bouétard, le PDG d'Ericsson France. Ils sont tous trop petits. » Si la forte concurrence dans les télécoms, voulue par Bruxelles, a profité aux consommateurs qui bénéficient de prix bas, elle a en retour largement affaibli les opérateurs. « Nous avons détruit notre industrie et notre capacité à investir », déplore Franck Bouétard.

Ericsson taille dans ses effectifs

Le dirigeant ne mâche pas ses mots. Il faut dire qu'Ericsson fait directement les frais du ralentissement du déploiement de la 5G en Europe. Deux jours avant le début du Mobile World Congress, le géant suédois a annoncé qu'il allait tailler à la hache dans ses effectifs, et se séparer de 8.500 collaborateurs.

Que faire, alors, pour que l'Europe des télécoms retrouve des couleurs ? A Barcelone, tous les opérateurs européens appellent en premier lieu à ce que les Gafa, de loin les premiers utilisateurs de leurs réseaux, contribuent à leur financement. Ce sujet est l'un des gros morceaux de la grande consultation publique lancée la semaine dernière par la Commission européenne sur « l'avenir de la connectivité et des infrastructures télécoms ».

« Nous avons besoin de consolidation »

Les opérateurs saluent l'initiative. Mais certains appellent à ne pas passer par une taxe, de peur de voir cette éventuelle manne leur échapper. « Si l'argent passe par Bercy, rien ne dit que les opérateurs en verront la couleur », résume un bon connaisseur des télécoms. Voilà pourquoi Christel Heydemann milite pour « des accords de gros », que les géants des services numériques seraient obligés de signer avec les opérateurs si leur trafic Internet dépasse un certain seuil.

En parallèle, les opérateurs souhaitent que Bruxelles permette à l'industrie des télécoms de se consolider. Il n'y a plus d'espace économique, jugent-ils, pour une centaine d'acteurs en Europe. « Nous avons besoin de consolidation pour générer des économies d'échelle et continuer à investir », a répété Tim HöttgesCes dernières années, Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, s'est souvent opposée à des deals qui réduisaient la concurrence dans plusieurs pays, de peur que les prix des abonnements Internet et des forfaits mobiles s'envolent.

Bruxelles va-t-il changer son logiciel ? Invité au Mobile World Congress, Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, s'est dit préoccupé par les inquiétudes des opérateurs. Lors de la conférence d'ouverture, il a souligné l'importance que ces acteurs continuent à investir dans leurs réseaux pour assurer la numérisation de l'Europe et de son économie. C'est, a-t-il insisté, la compétitivité du Vieux Continent qui en dépend. D'après lui, la consultation lancée par la Commission devra notamment questionner la régulation. « Est-elle adaptée à nos objectifs ? », a-t-il lancé, laissant entendre qu'une révision serait souhaitable. Les opérateurs devront, pour l'heure, s'en contenter.

Pierre Manière

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Commentaire 1
à écrit le 28/02/2023 à 11:15
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Est ce qu'on a besoin d'une autoroute, d'un avion ou d'un TGV pour acheter une baguette chez notre boulanger au coin de la rue? Est ce un monde désirable?

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