Ce lundi, l'Arcep, le gendarme des télécoms, a levé le voile sur une étude très attendue. Le gouvernement avait demandé au régulateur des télécoms de plancher sur l'impact des pratiques de distribution des smartphones sur leur renouvellement. En réalité, une question particulièrement sensible préoccupe depuis des mois l'exécutif et tous les acteurs du secteur : la pratique du subventionnement des téléphones, qui consiste pour un opérateur à vendre un terminal couplé à un abonnement mobile de longue durée, pousse-t-elle les clients à changer de téléphone plus souvent ? Et ce, même si ce dernier a encore de belles années devant lui ?
De nombreux observateurs et spécialistes des télécoms le pensaient. Free, qui mène une fronde à l'encontre des smartphones subventionnés de ses rivaux Orange, SFR et Bouygues Telecom, en est notamment convaincu depuis longtemps. Ces derniers mois, Xavier Niel, son chef de file, a multiplié les critiques à l'égard d'une pratique qu'il juge anti-écologique. Son argumentaire : lorsqu'un client arrive au bout des deux ans de son offre subventionnée, l'opérateur va l'inciter à changer de terminal afin de le réengager pour deux années supplémentaires. Dans son étude, l'Arcep balaye cette idée. L'institution précise que « l'ancienneté de l'ensemble des smartphones actifs sur les réseaux serait, en moyenne, de 32 mois contre 29 mois pour les smartphones subventionnés ». Dans nos colonnes, Laure de La Raudière, la présidente de l'Arcep, renchérit : « Ce n'est pas parce qu'une idée, qui a dernièrement été évoquée par la Convention citoyenne pour le climat, est intuitive qu'elle est vraie. »
Laure de La Raudière estime, en outre, que s'attaquer aux modes de distribution des terminaux mobiles, qui pèsent 10,5% de l'empreinte carbone du numérique, reviendrait à se tromper de combat. Elle rappelle notamment que « le subventionnement ne représente que 20% des ventes de smartphones en France ». Ces déclarations ne plairont guère à Xavier Niel. Le fondateur de Free s'attendait visiblement à ce que l'Arcep le contredise. Lundi dernier, il a accusé l'institution de défendre les intérêts d'« un oligopole », à savoir celui de ses concurrents Orange, SFR et Bouygues Telecom. Laure de La Raudière, dont Xavier Niel avait déjà mis en cause sa partialité lors de sa nomination à la tête du régulateur, se refuse à tout commentaire. « Nous avons regardé les chiffres sans aucun a priori », affirme-t-elle. A la différence de Sébastien Soriano, son prédécesseur, qui n'hésitait pas à répondre du tac-au-tac aux piques des opérateurs, Laure de La Raudière préfère, publiquement du moins, en faire abstraction.
Quoi qu'il en soit, le « vrai enjeu, d'un point de vue environnemental, c'est de rallonger la durée de vie et d'usage des terminaux », poursuit Laure de La Raudière, qui plaide pour le développement des secteurs du reconditionnement et de la réparation. Ces filières en plein essor peuvent, selon elle, redonner un second souffle à de nombreux smartphones. « Beaucoup croupissent dans des tiroirs parce que la batterie ne dure plus assez longtemps, ou qu'il manque de la mémoire pour télécharger la dernière version du système d'exploitation », rappelle-t-elle.
Des arbitrages difficiles pour le gouvernement
Il appartient, désormais, au gouvernement de favoriser, s'il le souhaite, les filières du reconditionnement et de la réparation. Mais ces arbitrages politiques ne sont pas simples. Récemment, l'exécutif s'est notamment attiré les foudres des professionnels des smartphones reconditionnés concernant une taxation de leurs appareils au titre de la redevance copie privée (RCP). Instaurée en 1985, celle-ci vise tous les terminaux permettant de copier les œuvres culturelles. Elle constitue une manne importante pour le monde de la culture, laquelle fait tout pour la préserver. Au terme de débats parlementaires électriques, la RCP a été étendue aux terminaux de seconde main. Au grand dam des acteurs du secteur, comme Back Market, qui y voient un frein au développement du marché.
Laure de La Raudière est également revenue sur l'élaboration d'un « baromètre environnemental » des acteurs du numérique. Celui-ci permettra à l'institution de suivre l'évolution de l'empreinte carbone des industriels du secteur. Pour bâtir ce nouvel outil de régulation, l'Arcep devrait bientôt bénéficier, dans le cadre d'une loi, de nouveaux pouvoirs visant à collecter des données auprès des opérateurs et équipementiers télécoms, mais aussi, et surtout, auprès des fabricants de terminaux comme Apple, Samsung ou Huawei. Mais ces acteurs, puissants et étrangers, joueront-ils le jeu ? La président de l'Arcep se montre confiante. « Avec la nouvelle loi, nous devrions bénéficier d'un pouvoir de sanction si certains acteurs refusent de nous transmettre des données », avertit-elle.
Laure de La Raudière affirme aussi que ces grands acteurs ont tout intérêt à collaborer, ne serait-ce que pour préserver leur image de marque. « Personne ne comprendrait qu'Apple, qui a promis d'atteindre le zéro carbone en 2030, avant tout le monde, refuse de participer à nos travaux sur l'empreinte environnementale du numérique », souligne la cheffe de file de l'Arcep. Laquelle se montre déterminée, au besoin, à faire parler la poudre.
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