Plan social chez Nokia : l’opacité du gouvernement en question

Bercy refuse toujours de lever le voile sur les engagements pris par Nokia, notamment ceux portant sur l’emploi, lors du rachat d’Alcatel-Lucent en 2015. Une situation qui hérisse les salariés et les syndicats mobilisés contre un énième plan social. A leurs yeux, le groupe finlandais n’a pas tenu ses promesses.
Pierre Manière
Des salariés de Nokia France ont manifesté ce mercredi, à Paris.
Des salariés de Nokia France ont manifesté ce mercredi, à Paris. (Crédits : Reuters)

Au regard de l'exécutif, Nokia compte-t-il encore dans le paysage français des télécoms ? Sans doute moins qu'avant. Un événement semble en témoigner : jeudi dernier, le gouvernement et Cédric O, le secrétaire d'Etat à la Transition numérique, ont choisi d'annoncer le résultat de la vente des fréquences 5G aux opérateurs au siège français d'Ericsson, le grand rival suédois de Nokia sur le marché des équipements télécoms. Ce choix se justifie puisque Nokia France, sous le coup d'un énième plan social visant à supprimer 1.233 postes, vit des heures sombres. Mais il interroge. Nokia France n'est pas n'importe quel groupe industriel : il s'agit de l'ancien fleuron français des télécoms Alcatel-Lucent, racheté en 2015 par son rival finlandais avec la bénédiction de l'Etat. « Même si c'est compréhensible, je regrette que cette annonce n'ait pas pu avoir lieu chez chez-nous, grince un syndicaliste de Nokia France à La Tribune. Mais étant donné le contexte, le gouvernement aurait pu choisir un terrain neutre... »

Le contexte, effectivement, reste électrique. Depuis l'annonce du plan social chez Nokia, en juin dernier, les salariés et les syndicats attendent toujours le résultat des négociations entre la direction du groupe et le gouvernement. Ce mercredi, dans la foulée d'une nouvelle manifestation à Paris, les représentants du personnel ont été reçus à Bercy par Aloïs Kirchner, le directeur de cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, la ministre déléguée à l'Industrie. Celui-ci a confirmé que le gouvernement discutait toujours avec Nokia pour limiter les dégâts. Dès l'annonce des suppressions de postes, l'exécutif a tiré à boulet rouge contre ce quatrième plan social en autant d'années. « J'arrive avec une volonté farouche de remettre en cause ce plan social que je n'explique pasa affirmé Agnès Pannier-Runacher fin juillet. Je ne comprends pas comment Nokia peut faire un plan social aujourd'hui alors qu'ils sont positionnés sur les équipements télécoms et la 5G, qui sont un marché d'avenir. » Pour diminuer la casse sociale, le gouvernement veut inciter Nokia à ancrer certaines activités d'avenir, liées en particulier à la 5G et ses usages, dans l'Hexagone.

Quid des promesses de 2015 ?

Cette bonne volonté s'accompagne cependant d'un troublant manque de transparence. L'exécutif refuse catégoriquement, et de manière surprenante, de faire la lumière sur les engagements pris par Nokia en 2015, lors de son rachat d'Alcatel-Lucent. Rédigés à l'époque sous la houlette d'Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, ceux-ci portaient notamment sur l'emploi, des embauches en R&D, et sur le maintien des troupes d'Alcatel-Lucent International à 4.200 personnes jusqu'à la fin 2017. Le gouvernement argue que ces promesses ont globalement été tenues. Les syndicats, eux, défendent le contraire.

Le sujet est sensible. Si Nokia n'a pas respecté ses engagements, le gouvernement pourrait, en toute logique, utiliser ce levier pour hausser le ton sur son plan social... Pour en avoir le cœur net, les syndicats demandent depuis des mois à l'Etat de lever le voile sur les documents officiels des engagements. Mais ils se heurtent à un mur de refus de Bercy. Pas question, pour les services de Bruno Le Maire, de dévoiler ces documents car, disent-ils, ceux-ci contiennent des informations couvertes par le secret des affaires ou par le secret de la défense nationale.

Mobilisation des syndicats

Il y a quelques mois, Olivier Marcé, de la CFE-CGC et membre de l'intersyndicale, a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada). Dans un avis, auquel La Tribune a eu accès, celle-ci se montre favorable à une transmission des documents, expurgés des informations sensibles, aux représentants du personnel. Mais Bercy y reste farouchement opposé. D'après le ministère, les documents seraient illisibles si toutes les informations sensibles étaient caviardées. Décidés à faire la lumière sur ce dossier, la CFE-CGC et la CGT ont saisi le tribunal administratif. Mais ils ignorent encore quand celui-ci rendra sa décision.

En parallèle, le comité de groupe a demandé au cabinet d'expertise Syndex d'étudier, sur la base des informations disponibles, si les promesses de Nokia ont été respectées. Ses conclusions, récemment rapportées par le Canard Enchaîné et Mediapart, sont sans appel : les engagements seraient « largement non tenus ». De quoi alimenter toutes les spéculations sur la posture et l'opacité du gouvernement.

Pierre Manière

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Commentaires 4
à écrit le 08/10/2020 à 8:43
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Ce ne sont pas nos LREM qui décident ! Ils n'y peuvent rien si les mégas riches évadés fiscaux n'ont pas encore pris leur décision !

à écrit le 08/10/2020 à 4:38
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Le debat democratique n'existe plus en France. Confisque par l'enarchie.

le 08/10/2020 à 8:08
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Je suis d'accord avec vous, à une nuance près : confisqué de manière définitive par Macron et ses séides. Le débat démocratique était mal en point avant lui, mais il survivait (les fameux "courants" de l'Assemblee, à gauche comme à droite). Macron ...

à écrit le 07/10/2020 à 20:47
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"A leurs yeux, le groupe finlandais n’a pas tenu ses promesses." ça dépend de ce qu'elles étaient. Parfois ils s'engagent à maintenir les emplois pendant 3 ans et à 3ans + 1J, licenciements, ils ont tenu leur engagement, à la lettre. On imagine que ...

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