Le patrimoine irakien pillé au profit des islamistes

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Le patrimoine irakien pillé au profit des islamistes[reuters.com]
(Crédits : Reuters.com)

par John Irish

PARIS (Reuters) - De plus en plus de pièces irakiennes antiques de grande valeur apparaissent sur le marché noir de l'art, où elles sont vendues au bénéfice de l'Etat islamique qui a trouvé là un moyen de financer ses activités, disent des diplomates, responsables et experts.

Les activistes de l'EI se livraient déjà à un tel commerce après s'être emparés de vastes régions de la Syrie.

Mais le phénomène s'est accéléré depuis la prise de Mossoul, ville du nord de l'Irak, et de la province de Ninive, en juin, qui leur a ouvert les portes de près de 2.000 des 12.000 sites archéologiques répertoriés du pays.

L'Irak contemporain se confond en grande partie avec la Mésopotamie, berceau de l'une des plus riches civilisations de l'Antiquité, entre le Tigre et l'Euphrate.

La Mésopotamie abritait les Sumériens, inventeurs vers 3.100 avant Jésus-Christ de l'écriture cunéiforme, la plus ancienne de l'Occident, et les sites de Ninive et Babylone, dont les jardins suspendus comptaient parmi les Sept Merveilles du monde.

L'Irak avait déjà vu cet exceptionnel patrimoine dilapidé dans le chaos qui suivit la chute de Saddam Hussein, après l'intervention militaire sous commandement américain de 2003.

Les pillages ont repris et Qais Hussein Rasheed, directeur du musée de Bagdad, a souligné lundi soir, lors d'une conférence à l'Unesco, la responsabilité de groupes organisés qui collaborent avec l'Etat islamique.

"C'est une mafia internationale des antiquités", a-t-il dit à la presse. "Ils identifient les objets et disent ce qu'ils peuvent vendre", a-t-il ajouté, soulignant la difficulté d'évaluer certaines pièces vieilles de plus de deux mille ans.

Rapportant les propos de responsables locaux encore présents dans des zones sous contrôle des djihadistes, il a pris pour exemple le pillage, à Kalhu, du grand palais du roi assyrien Ashurnasirpal II, un vestige du IXe siècle avant Jésus-Christ.

"Des tablettes asyriennes ont été volées et retrouvées dans des villes européennes. Certains des objets sont découpés et vendus en pièces", a-t-il dit, citant notamment une tablette figurant un taureau ailé.

"GUERRE CONTRE LA CULTURE"

Un autre responsable irakien a parlé de fouilles et invité les pays voisins, comme la Jordanie et la Turquie, à faire plus pour éviter que des pièces ne transitent par leur territoire.

"Des objets passent nos frontières et finissent dans des maisons de vente à l'étranger. Malheureusement, beaucoup des bénéfices récoltés iront au financement du terrorisme", a-t-il dit sous le sceau de l'anonymat.

Selon un diplomate occidental, il est encore trop tôt pour évaluer la valeur des pièces sorties d'Irak, mais elle sera sans doute immense. "On a vu apparaître des pièces syriennes pour des centaines de millions de dollars après le pillage de leurs sites, donc il n'est pas déraisonnable de s'attendre à la même chose", a-t-il expliqué.

La conférence de l'Unesco, l'agence des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, précédait la présentation en octobre d'une résolution française visant à alerter les pays membres et à mettre sur pied une mission pour aider l'Irak à évaluer les dégâts causés à son patrimoine.

"Le conflit est aussi une guerre contre la culture", a souligné Philippe Lalliot, ambassadeur de la France à l'Unesco.

"Quand les morts se comptent par dizaines de milliers, faut-il se préoccuper du nettoyage culturel ? Oui, certainement oui, car l'anéantissement du patrimoine qui porte l'identité d'un peuple et l'histoire du pays n'est pas un dommage collatéral ou secondaire dont nous pouvons nous accommoder."

"Il relève en effet de la même logique que l'anéantissement des hommes. C'est parce que la culture est une puissance d'incitation au dialogue que les groupes les plus extrémistes, fanatiques, obscurantistes s'acharnent à vouloir l'anéantir."

Le phénomène va bien au-delà des pillages survenus après le renversement de Saddam Hussein.

Les activistes de l'EI suivent une interprétation rigoriste de l'islam qui ne tolère pas l'adoration des morts et de leurs sépultures, détruisent tombes, mosquées ou églises et ont mis le feu à des milliers d'archives et manuscrits précieux.

A l'image des attaques menées par les taliban afghans contre des symboles culturels ou religieux anciens, ils ont notamment détruit une statue d'Othman al Mossouli, musicien et compositeur du XIXe siècle, et une d'Abu Tammam, poète de l'époque abbasside, à Mossoul.

(édité par Gregory Blachier et Sophie Louet)

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