La situation très tendue que s'apprête à connaître le système électrique cet hiver n'est pas un problème de courte durée. C'est un problème durable qui va se prolonger dans le temps. Les chiffres publiés ce mardi 13 septembre par EDF le confirment : en 2024, la production nucléaire sera comprise entre 315 et 345 TWh, estime l'électricien. « C'est le niveau d'une année Covid », pointe Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting. En 2020, année marquée par un confinement strict de deux mois, la production électrique nucléaire française s'était, en effet, effondrée à 335,4 TWh, chutant de 11,6% (44 TWh) par rapport à 2019. « Son niveau le plus pas depuis 1993 », avait alors souligné RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité.
En 2024, la production électrique devrait donc être légèrement supérieure à celle attendue pour 2023, estimée aujourd'hui entre 300 et 330 TWh, elle-même légèrement supérieure à celle de 2022, qui devrait s'établir à seulement 285 TWh, une « véritable catastrophe », selon Nicolas Goldberg.
« Dès 2015, on savait que la situation allait être tendue »
« Ces chiffres montrent que la crise électrique va durer jusqu'en 2024, au moins, et c'est inquiétant, estime l'expert. Dès 2015, on savait que la situation allait être tendue sur le parc électronucléaire à cette période en raison des visites décennales [arrêt de plusieurs mois de la production d'un réacteur, qui a lieu tous les dix ans, et pendant lequel un examen de sûreté est réalisé en profondeur. Les quatrièmes visites décennales (VD4), qui concernent en ce moment les plus vieux réacteurs du parc, ceux de 900 MW, comptent 20.000 activités de maintenance et de contrôles et visent à faire tendre le niveau de sûreté de ces réacteurs vers celui des EPR, ndlr], mais on ne se doutait pas de la profondeur de cette crise », concède-t-il.
Concernant l'estimation de la production pour 2024, EDF précise « que le planning de maintenance associé est en cours de consolidation ». Pour l'heure, on ne connaît donc pas encore l'amplitude des différents facteurs qui affecteront la disponibilité du parc nucléaire en 2024. « Quelle sera la part des opérations de maintenance et des visites décennales et celle des problèmes de corrosion ? », s'interroge Nicolas Goldberg.
Sept visites décennales prévues en 2024
« L'estimation de la production nucléaire 2024 s'explique par un programme industriel dense et la poursuite de la réalisation du programme de contrôle des réacteurs nucléaires dans le cadre du phénomène de corrosion sous contrainte », indique, pour sa part EDF, sans donner davantage de détails.
Fin 2021, l'électricien a découvert un problème de corrosion sous contrainte, en série, qui se traduit par des microfissures sur des tuyaux en acier, connectés au circuit primaire principal qui entoure le réacteur. D'après les investigations réalisées par EDF, 12 réacteurs sont concernés ou potentiellement concernés par ce phénomène et sont donc actuellement à l'arrêt. (Tandis que 17 autres sont actuellement arrêtés pour maintenance). Si ce phénomène perdure jusqu'en 2024, les arrêts de maintenance pourraient donc être plus longs afin de procéder à des vérifications supplémentaires.
Par ailleurs, en 2024, sept visites décennales sont prévues : deux concernant les réacteurs de 1300 MW de Penly 2 et Golfech 2, et cinq quatrièmes visites décennales pour les réacteurs de 900 MW de Blayais 3, Cruas 3, Dampierre 4, Gravelines 4, Tricastin 4.
« En 2024, nous serons donc encore dans une situation tendue [sur le plan de la sécurité d'approvisionnement électrique, ndlr]. Il faudra appliquer les écogestes, mais aussi les principes de sobriété avec la mise en place des bons signaux tarifaires et les appliquer dans le temps car c'est un problème durable », insiste Nicolas Goldberg.
Une production en baisse depuis 2018
Quelques éléments pourraient néanmoins soulager le système électrique français. Du côté de la production, le parc éolien en mer de Saint-Nazaire, composé de 80 turbines, sera pleinement opérationnel, la mise en service à 100% étant prévue pour la fin 2022. Il faut aussi espérer que la loi sur l'accélération des énergies renouvelables, qui doit bientôt être présentée en conseil des ministres, ait produit ses premiers effets.
Ensuite, la France devrait être en mesure d'importer davantage d'électricité grâce à la mise en place d'une nouvelle interconnexion entre la France et l'Italie via le tunnel de Fréjus. Celle-ci doit être pleinement opérationnelle dans les prochains mois. En revanche, les résultats liés aux travaux d'efficacité énergétique ne seront, sans doute, pas encore au rendez-vous.
Depuis 2018, la production nucléaire française ne cesse de diminuer. Seule l'année 2021 a été marquée par une fragile embellie. Le parc électronucléaire tricolore a ainsi produit 393,2 TWh en 2018, 379,5 TWh en 2019, 335,4 TWh en 2020 et 360,7 TWh en 2021. Il faut remonter à 2015 pour obtenir un volume supérieur à 400 TWh, un niveau considéré comme « normal » par tous les experts du secteur. Et pour cause, de 2002 à 2015, la production électrique issue de l'atome a toujours été supérieure à 400 TWh, hormis en 2009.
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