Décembre 2015. Quelque 200 dirigeants issus des quatre coins du globe se réunissent à Paris, dans le cadre de la COP21, pour signer un accord historique - chacun s'engageant à participer à limiter le réchauffement de la planète à un niveau « bien en deçà » de 2°C, si possible à 1,5°C, d'ici à la fin du siècle par rapport au niveau pré-industriel. Ambitieux, l'objectif doit permettre de contrer les effets désastreux du dérèglement climatique à venir, vu comme synonyme de cataclysmes futurs. Pour cause, à l'époque, un rapport pour le moins inquiétant est dans toutes les têtes : celui du Giec, le Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat de l'ONU, publié un an plus tôt.
« Celui-ci expliquait qu'il y aurait une très grosse différence d'impact entre +1,5°C et +2°C, cette dernière hypothèse entraînant des conséquences sans commune mesure, avec des phénomènes irréversibles mettant en danger l'humanité », explique Jérôme Boutang, directeur du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa).
Six ans et une sortie provisoire des États-Unis plus tard, l'accord de Paris reste sur le devant de la scène. Car les effets longtemps anticipés de l'augmentation des températures semblent se faire déjà sentir, faisant fi de la prise de conscience des États: tandis que les six années depuis sa signature ont été les plus chaudes jamais enregistrées, la multiplication des catastrophes naturelles fait désormais la une des journaux, entre précipitations exceptionnelles en Chine et en Allemagne et chaleur hors norme au Canada.
Dans ce nouveau contexte, le Giec est plus que jamais attendu au tournant : son « résumé pour décideurs », dont la publication est prévue le 9 août prochain, doit mettre à jour l'évaluation et les prévisions climatiques, sept ans après son dernier rapport et trois mois seulement avant la COP26. Et devrait permettre de répondre à une question essentielle : peut-on encore inverser la tendance, ou est-ce déjà trop tard ?
40% de chance d'atteindre +1,5°C d'ici à 2025
Car certains doutent que le défi puisse encore être relevé, alors que la planète s'est déjà réchauffée d'environ 1,1°C, et que chaque fraction de degré en plus apporte son lot d'événements extrêmes supplémentaires. Une fuite d'un document du Giec médiatisée en juin dernier, donne en effet le ton : il y dresse un tableau apocalyptique de l'humanité, à l'aube de retombées cataclysmiques, entre famines, inondations et exodes massifs - et ce, avant même 2050. Pour y échapper, la rengaine est la même : il faut à tout prix ne pas franchir le seuil fatidique de +1,5°C, y martèlent les experts.
Mais pour ce faire, les moyens requis seraient gigantesques : concrètement, il faudrait réduire chaque année les émissions de 7,6% en moyenne entre 2020 et 2030, estime l'ONU. Or, dans les faits, ces émissions ont augmenté de 1,5% par an sur les dix dernières années, pour atteindre un record en 2019 de +2,6% par rapport à 2018. Et la chute observée en 2020, davantage liée à la pandémie du Covid-19 et à la mise à l'arrêt de l'économie mondiale qu'à une prise de conscience brutale, devrait laisser place à un rebond : tandis que les plans de relance ont investi six fois plus dans les énergies fossiles que dans les renouvelables, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) prédit des « émissions record » d'ici à 2023.
De quoi pousser l'Organisation météorologique mondiale, sous l'égide de l'ONU, à tirer la sonnette d'alarme : non seulement le seuil de +1,5°C risque d'être atteint avant la fin du siècle, mais il pourrait même l'être d'ici à 2025, a-t-elle prévenu fin mai dernier. Plus précisément, il y a 40% de probabilité pour que cette température moyenne soit dépassée au moins une fois dans les quatre prochaines années, sous les effets du changement climatique. Rendant l'objectif à 2100 de l'accord de Paris « hypothétique », voire « problématique », note Jérôme Boutang.
« Il faut attendre les conclusions du Giec pour y voir un peu plus clair, mais c'est préoccupant. Le Covid nous a fait gagner deux ou trois ans de réflexion, grâce à des émissions évitées contre notre gré. Mais on ne pourra pas le répliquer en 2021 », avance-t-il.
Surtout que, dans certaines régions du globe, cette hausse des températures a déjà été atteinte, même temporairement... y compris en France. « En région Méditerranée, les températures annuelles moyennes sont aujourd'hui environ 1,5°C au-dessus des moyennes avant la révolution industrielle, et supérieures aux tendances mondiales en matière de réchauffement », alertait en 2018 le Mediterranean Experts on Climate and Environmental Change (MedECC). Un constat d'autant plus inquiétant que le bassin méditerranéen apparaît particulièrement vulnérable face aux effets du changement climatique, qui menacent la biodiversité locale, et augmentent le niveau de la mer.
Engagements insuffisants
Pourtant, face à cette perspective funeste, les pays ne sont pas restés les bras croisés: dans le monde entier, ils ont « enregistré des progrès gigantesques » ces dernières années, affirme Jerôme Boutang. Alors que l'Europe, qui vise « zéro émission » à l'horizon 2050, s'est doté d'un tentaculaire plan climat, la Chine, premier investisseur dans les énergies renouvelables, a mis en avant la neutralité carbone pour 2060. Des engagements égrenés par les dirigeants lors du sommet international virtuel sur le climat, organisé par Joe Biden en avril dernier et signant le « retour » de l'Amérique dans la lutte contre le dérèglement climatique, après la sortie de Trump de l'accord de Paris. Mais insuffisants pour freiner le train des émissions, lancé à toute vitesse ? À la suite des annonces de chacun d'entre eux, l'instance indépendante Climate Action Tracker a ramené ses projections de réchauffement (si et seulement si toutes ces politiques climat étaient effectivement mises en oeuvre) de +2,6°C... à +2,4°C.
« Cela est beaucoup moins élevé que les modélisations de fin 2015 qui tablaient sur un cumul d'environ 4°C. Mais on reste loin de l'objectif de rester "bien en-deçà" de +2°C. Et ce, pour plusieurs raisons : l'accord politique a précédé les actions, les acteurs économiques et les États ont eu du mal à se mettre en route afin de se coordonner, et ils peinent à bénéficier d'une expertise suffisante pour changer la donne », commente Jérôme Boutang.
D'autant que, selon l'ONU, la plupart des États ne font en réalité pas preuve de volontarisme: seulement un peu plus de la moitié (110) des pays signataires de l'accord de Paris ont soumis à l'organisation leurs nouveaux engagements climatiques au 31 juillet, sans la Chine, l'Inde ou l'Afrique du Sud, s'était inquiété samedi dernier la responsable climat de l'ONU, Patricia Espinosa. C'était pourtant la date butoir, déjà repoussée à cause du Covid, afin d'être pris en compte dans l'évaluation globale publiée avant la COP26 de novembre.
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