Suicides : un défi pour l'entreprise

Par Emmanuelle Lepine, psychologue clinicien expert (Technologia), et Jean-Claude Delgenes, directeur de Technologia.

Le suicide constitue un problème de santé publique. La journée de prévention nationale du suicide témoigne de la détermination des pouvoirs publics et des acteurs de la prévention. Pour les hommes entre 35 et 55 ans, la France souffre encore d'une mortalité causée par les suicides supérieure à celle des accidents de la circulation. C'est dans cette tranche d'âge que les hommes se suicident le plus.

S'il n'existe, aujourd'hui, aucun moyen de prouver un lien incontestable entre crise suicidaire et vie professionnelle, l'on ne peut écarter la question du suicide en lien avec le monde du travail. En 2008, les suicides dans le monde du travail ont touché particulièrement les grandes entreprises atteintes dans leur image et leur profitabilité. Dans un contexte de récession économique, la baisse de l'activité et celle des effectifs qui l'accompagne laissent redouter une croissance des suicides.

Le risque de suicide peut être influencé par divers facteurs propres à chaque individu. Problèmes de santé mentale, troubles anxieux, syndrome dépressif... sont des facteurs de risques accrus. De même, la facilité d'accès à une arme ou à des produits chimiques accroît le risque de passage à l'acte. L'aspect multifactoriel du suicide rend la prévention difficile. Le monde de l'entreprise a peu de moyens pour agir sur l'histoire propre d'un individu. En revanche, elle peut prévenir les facteurs de risque liés au champ de la cohésion sociale. Plus celle-ci est forte, plus l'intégration dans un groupe est bonne, plus elle est facteur de prévention du suicide. Lutter contre l'isolement s'impose donc comme axe de prévention.

De même il faut agir sur les causes de l'épuisement professionnel, dont on sait qu'il constitue un facteur prédictif du risque suicidaire. Des conditions de travail dégradées, une charge trop soutenue ne permettant plus la récupération physiologique participent à cet épuisement. Un tiers des suicides environ est précédé d'au moins une tentative.

Or, lorsqu'une personne tente de mettre fin à ses jours, elle accomplit un acte intime qui touche l'espace professionnel. Les collègues, la hiérarchie, les acteurs sociaux se trouvent dans une position délicate : comment aborder la question avec la personne concernée ? Ne vaut-il pas mieux faire comme s'il ne s'était rien passé ? Très souvent les enjeux relationnels passent par le désir de respecter l'intimité, le monde professionnel devant être relativement imperméable à la vie privée des individus.

C'est d'ailleurs cette frontière qui donne au monde du travail une capacité de restauration psychique des personnes. Cependant le risque est d'accentuer l'isolement de la personne en banalisant sa tentative de suicide, renforçant en elle l'idée qu'elle pourrait disparaître dans l'indifférence générale. Il n'appartient évidemment pas aux collègues ou aux non professionnels de porter la dimension suicidaire, mais il est fondamental de ne pas ignorer la tentative de suicide. Enfin, quand un suicide survient dans le monde du travail, il provoque un bouleversement pour chacun en fonction de son lien avec la victime. Ce peut être une relation d'amitié ou de collaboration, mais aussi un lien hiérarchique, un contact avec les représentants syndicaux.

Cette mort interroge chacun, dans une quête de sens et de nécessité à répondre au "pourquoi", mais aussi dans un sentiment éventuel de culpabilité de ne pas avoir vu, ou pire, d'avoir vu et de n'avoir pas su réagir, d'avoir peut-être participé à la souffrance de la personne décédée. Cela interroge aussi chacun sur son propre rapport à la mort et plus particulièrement au suicide : "si lui, ou elle, qui partage les mêmes conditions de travail que moi, voire la même situation familiale, pourquoi ne pourrais-je pas songer à une même issue ?".

Cet effet de contagion est fréquent. Plus les membres d'une organisation partagent des caractéristiques qu'ils considèrent comme communes, plus le risque de contagion est élevé. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de ne pas négliger l'impact d'un geste suicidaire, a fortiori s'il a eu lieu sur le lieu de travail.

Tous les acteurs de l'entreprise doivent se mobiliser pour contrer l'effet de cette contagion. En communiquant sobrement et en respectant l'intimité de la personne décédée : la communication, en particulier celle des médias, a une influence sur le phénomène de contagion. En favorisant les échanges de manière informelle ou formelle par la mise en place d'un groupe de parole. En engageant tous ensemble, au besoin avec un tiers extérieur, une démarche de fond pour prévenir les risques psycho sociaux. Enfin, en restant mobilisés et vigilants ensemble, c'est-à-dire en se préparant à l'avance à une crise suicidaire.
 

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Je pense qu'hélas, "il n'y a pas de fumée sans feu". Les conditions de travail se dégradent un peu partout, la profusion des open-space a des conséquences dramatiques sur l'humain, le flicage incessant épuise tout le monde, le nombre croissant d'impr...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Vecu: Ta langue rapeuse et tes yeux et oreilles de chouette de propulseront à un poste de "petit chef", ton incapacité évidente sera repérée, ton niveau re-évalué et mis à disposition de la hiérachie qui veut un pantin docile et reconnaissant à utili...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Dans une petite et minable vie ou le seul swing rythmant l'existence des individus est une cynique devise nazi "arbeit macht frei", en français, "le travail rend libre", le suicide est tout à fait logique...face à une si belle perspective d?avenir, t...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.