Corona récession : le lent retour à la normale

ANALYSE. Quelles sont les conditions nécessaires à une reprise de l'activité économique après le déconfinement ? Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeurs à l'ESSEC.
Marc Guyot et Radu Vranceanu.
Marc Guyot et Radu Vranceanu. (Crédits : Reuters)

Depuis deux mois, experts et politiques espèrent que la crise aura une forme en V avec une sortie aussi rapide que la chute et un retour en un ou deux trimestres au niveau de janvier 2020. Il apparaît de plus en plus que la lenteur du déconfinement dans tous les pays et l'inconnue sur la vie économique avec le virus vont générer une reprise en forme de virgule inversée. Un sondage de la Banque centrale européenne (BCE) réalisé auprès de 57 économistes évoque une chute du PIB de 5,5% en 2020, suivie d'une reprise de seulement 4,7% en 2021 et d'un retour au niveau pré-crise en 2022. La France vient d'entamer un lent processus de normalisation de l'activité économique, où par normalisation on entend une levée graduelle des interdictions administratives de circulation et les autorisations d'ouverture d'activités. Le processus français de déconfinement s'inscrit dans le vaste processus européen de déconfinement, chaque pays ayant sa propre conception du rythme approprié de ce processus (certains autorisant même les bars, restaurants et lieux de culte à reprendre leurs activités).

Il est peu étonnant de constater que les médias évaluent l'ouverture économique post-confinement par le degré d'ouverture des restaurants du fait des frustrations du confinement et des projections fantasmatiques de vie libre post confinement. Mais ce secteur ne représente que 3% du PIB (INSEE, Activité économique, 23 avril). Une analyse plus robuste devrait prendre en compte les évolutions dans les secteurs qui comptent le plus pour le PIB, et notamment l'industrie avec ses 14% de contribution au PIB et son fort effet d'entrainement sur les services marchands. La sortie de crise de l'industrie française repose sur le degré d'ouverture des entreprises et les surcoûts sanitaires comparés à ceux d'autres pays.

L'activité doit respecter des normes sanitaires minimales

Il est indispensable pour les entreprises de disposer de guide d'activité respectant les normes sanitaires minimales. Le danger serait d'ensevelir les entreprises sous des pages absconses exprimées en novlangue administrative et contradictoires sur des dizaines de pages. Une nouvelle forme de compétitivité-prix va fatalement se mettre en place au sein de la zone euro entre les pays en fonction du poids relatif et de l'efficacité relative des normes sanitaires nationales au détriment des pays, alourdissant à l'excès la régulation. Plus les coûts sanitaires seront importants, plus les entreprises exportatrices perdront en compétitivité-prix relativement à nos voisins, moins les exportations seront en mesure de retrouver leur niveau pré-crise. Une solution serait d'établir les normes sanitaires au niveau de l'Europe, mais il s'agit d'une compétence nationale. Les pays n'entrent donc pas dans le déconfinement avec les mêmes atouts et ne pourront donc pas viser les mêmes objectifs en termes de croissance, stabilité des dettes et lutte contre le chômage. Certains pays comme l'Italie et l'Espagne, mais aussi partiellement la France sont frappés par une double peine, étant à la fois alourdis par leurs déficits et leurs dettes publiques pré-crise qui augmentent fortement et en même temps touchés plus sévèrement par l'épidémie ce qui réclame un surcoût sanitaire plus important de nature à éroder plus profondément leur compétitivité.

Les masques sanitaires manquent encore en France, même si la situation s'est nettement améliorée grâce à la mobilisation tardive de la grande distribution. En revanche, la signalétique covid ne manque pas, elle est partout sous forme de bandes au sol et de panneaux paternalistes, indiquant aux travailleurs et aux clients où et comment marcher (évitant ainsi les foudres des tribunaux saisissables par certains syndicats forts de la jurisprudence Amazone).

L'impact du télétravail forcé

L'impact du télétravail forcé sur la productivité est pour l'instant inconnu. Il est sûrement très bien adapté pour certains secteurs employant beaucoup d'experts et d'analystes, basés sur des sites décentralisés. D'autre part, il engendre des formes d'isolement contraire à la nature par définition sociale de l'être humain, une perte de repères et de spontanéité à même de nourrir la créativité. Du point de vue des familles, il est le pendant nécessaire de l'ouverture très partielle des écoles et du choix qu'ils font pour garder les enfants à la maison.

Une bonne intelligence entre les syndicats employeurs et employés est capitale pour permettre une reprise post confinement. Il serait regrettable que des syndicats agressifs et minoritaires soient systématiquement en embuscade avec la menace des tribunaux planant sur l'entreprise.

La dimension psychologique de l'économie est telle qu'il est indispensable, autant pour les gouvernements que pour les entreprises, d'intégrer la dimension de peur légitime face à l'inconnu qui anime travailleurs et consommateurs. Un sondage récent aux Etats-Unis indique que 70% des Américains disent vouloir éviter les espaces publics et 50% les centres commerciaux après le déconfinement. En Chine, qui a terminé son confinement il y a un mois, bien que 80% des restaurants ont rouvert, ils ne fonctionnent qu'à 50-70% de leur capacité, et on estime que 15% d'entre eux ne rouvriront jamais. A cet égard les couacs de communications du gouvernement et les points de vue divergents des différents experts montés en épingles par les médias ajoutent à la confusion.

Avoir confiance dans le potentiel créatif et d'innovation de nos entreprises

Il est plaisant de noter les postures invraisemblables des partisans de la décroissance qui sont déjà montés aux créneaux pour poser de multiples conditions à la reprise pour que le monde ne soit pas comme « avant ». Dans une certaine lecture, ils ont un incroyable optimisme sur la capacité de rebond rapide de l'économie. Nous aimerions partager leur optimisme, cependant l'économie n'est pas encore repartie et ne repartira pas sur le rythme d'avant Covid. Un certain nombre de destructions d'entreprises l'ont été pour toujours, la décroissance est bien là pour le bonheur des uns, avec son cortège de faillites, sous-emploi, pauvreté et exclusion sociale. La solution pour s'en sortir n'est pas la centralisation administrative façon soviétique, ni même chinoise, mais la confiance dans le potentiel créatif et d'innovation de nos entreprises, la liberté contractuelle et le respect de la propriété privée dans le cadre du contrat social, principes sur lesquels le monde libre s'est bâti et sera à même de pourfendre le coronavirus et d'affronter le changement climatique.

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Commentaires 4
à écrit le 13/05/2020 à 16:08
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Ne pas crier victoire trop vite ! le déconfinement a été partout semble -t-il trop rapide...de multiples foyers repartent un peu partout en Chine, en Allemagne (pourtant si vertueuse!) en France….je prévoyais il y a près de 3 mois une crise grave et ...

à écrit le 13/05/2020 à 15:27
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Qu'apprend on après lecture de cet article? Rien. Globalement, c'est le résumé des autres commentaires. Le niveau de l'ESSEC a bien baissé. Dauphine est aussi aux abonnés absents. Les élèves d' HEC sont toujours confinés à l'ïle de Ré. Ceux de l'ENA ...

à écrit le 13/05/2020 à 11:54
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Le maître mot est "adaptation" et non préformatage d'un monde avec les données d'hier! Aller a l'essentiel, ne pas se prendre la tête dans le superflue et le "ma tu vue"!

à écrit le 13/05/2020 à 11:02
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Il ne faut pas être sorcier pour déduire que toutes ces nouvelles procédures liées au covid vont freiner l'activité économique, les clients circulants moins nombreux et moins vite dans les temples consuméristes de toutes sortes et les employés obligé...

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