Lutte contre l'optimisation fiscale : jusqu'où ira la commission européenne ?

La commission européenne est prête à avancer sur le dossier fiscal, proposant notamment la remise en cause des "rulings". Mais quid des prix de transfert, au coeur de toute la problématique actuelle? Par Michel Aujean, Associé, Taj, membre de Deloitte Touche Tohmatsu Limited, ancien Directeur des Analyses et Politiques Fiscales de la Commission Européenne

Les prix de transfert sont à la fois la source majeure de coûts et d'incertitude pour les entreprises multinationales et aussi l'instrument principal de transfert des bénéfices selon les administrations fiscales. A l'heure des grandes réflexions fiscales conduites par l'UE et l'OCDE, la clarification de leur fiscalité est essentielle, notamment dans un espace intégré comme l'Europe.

Rappelons que dans l'immédiat le débat européen se concentre sur la question des rulings (rescrits) en matière de prix de transfert accordés aux multinationales par les administrations fiscales. Tant au Parlement européen où la Commission spéciale présidée par Alain Lamassoure a commencé ses auditions qu'au Conseil ECOFIN informel de Riga où le Commissaire Moscovici s'est efforcé d'obtenir le soutien des ministres pour l'adoption rapide de la directive sur les échanges automatiques d'information sur les rulings. Cette partie émergée de l'iceberg illustre bien les tensions que traverse le système de fiscalité des sociétés de nos pays.

Pas de discussion sur le sujet au niveau des 28

Mais, au-delà se pose la question du contenu du « paquet » relatif à la fiscalité des entreprises que la Commission et surtout son Commissaire à la fiscalité a annoncé pour ce mois de juin. En effet, alors que les prix de transfert ont pris une telle importance dans la conduite des entreprises et pour la fiscalité des États, notamment ces dernières années avec l'émergence de nouveaux modèles économiques liés au commerce électronique, la Commission ne peut ignorer à quel point leur prise en compte est à la fois difficile et attendue ! Ce fait était déjà bien présent dans l'étude de la fiscalité des sociétés publiée par la Commission en 2001 et qui a donné naissance à la proposition d'assiette commune consolidée d'imposition des sociétés (ACCIS) en 2011. Depuis lors, le sujet n'a hélas jamais fait l'objet d'une véritable discussion de politique fiscale au niveau des ministres des finances des 28.

Les méthodes traditionnelles ne sont plus applicables

Dans un ensemble économiquement intégré comme l'Union européenne, le nombre de sociétés filiales et la part du commerce intragroupe sont particulièrement élevés (signes mêmes de son intégration) et par conséquent le volume de transactions soumises aux principes des prix de transfert est considérable. Or aujourd'hui, dans un grand nombre de cas, les méthodes traditionnelles de prix de transfert, celles fondées sur la recherche de comparables ne sont plus applicables. Leur fondement logique, ( la référence à des prix de pleine concurrence), est lui-même battu en brèche car il méconnait par définition que la valeur du groupe est supérieure à la somme des valeurs de ses composantes !.

L'OCDE reconnaît le problème, pas l'Europe

Que l'OCDE reconnaisse cette situation et cherche des solutions va dans le bon sens. Que l'Union européenne, la zone économique la plus intégrée (après les Etat fédéraux) n'ait pas ce courage est inquiétant.

L'approche proposée en 2011 avec l'ACCIS est pourtant la plus logique : en consolidant les résultats au sein du groupe, elle permet la compensation immédiate des profits et pertes (seul le profit net est taxé alors qu'aujourd'hui la société qui investit dans une filiale européenne est, le plus souvent, moins bien traitée que celle qui reste sur son seul marché national) et elle permet ensuite de répartir ce résultat entre les Etats membres. L'approche a l'immense mérite d'être lisible par tous et simple dans son principe et dans son application générale. Ceci ne veut pas dire sans problèmes (la clé de répartition n'est pas une panacée et constitue un enjeu de débat politique autant qu'économique), ni sans créer des gagnants et des perdants dont il faudra examiner la situation. L'Union européenne a suffisamment d'expérience dans les arbitrages politiques pour être capable de proposer des compensations équilibrées.

Ignorer ce défi parce que les politiques nationales (et les hommes qui les conduisent) ne sont pas suffisamment préparés à ce saut nécessaire dans l'intégration réelle des économies serait continuer de mettre en péril l'union économique et monétaire dans laquelle l'Europe s'est engagée.

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Commentaires 4
à écrit le 13/06/2015 à 18:29
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La question de l'assiette de l'impôt sur les sociétés n'est pas européenne. Elle est mondiale. Dès lors qu'un grand nombre d'états ne peuvent se passer des impôts pesant sur les personnes morales, il est évident qu'il faut alors réfléchir à un calcul...

à écrit le 13/06/2015 à 17:04
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Les riches défiscalisent pendant que la classe moyenne paie ... Ce modèle ne va pas durer longtemps et les technocrates fonctionnaires qui ont créé ce système devront un jour rendre des comptes .

à écrit le 12/06/2015 à 23:50
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Seul la pression des peuples fait avancer l'UE, la commission stagne dans le dogmatisme!

à écrit le 12/06/2015 à 14:05
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Question liée qui est le président de la Commission européenne? synthèse des 2 questions : Pas loin pour ne pas dire nulle part! dans la mesure où l'économie du Luxembourg ne repose que sur ce différentiel fiscal et sur son secret bancaire. les fina...

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