Pourquoi le prochain géant européen sera une startup technologique

OPINION. Les Cassandre nous affirment que tout est déjà joué, que les États-Unis et la Chine vont se partager le gâteau digital et que les Européens, en manque de locomotives et de financements, empêtrés dans leurs réglementations, bridés par leurs marchés fragmentés, ne seront que des faire-valoir. Je crois qu'ils ont tort. Je crois fermement que le prochain géant européen sera une startup technologique et voici pourquoi. Par Bernard Liautaud, Managing Partner chez Balderton
(Crédits : DR/Balderton)

Tout d'abord, dressons le portrait-robot de ce futur colosse, qui est peut-être déjà en gestation à Londres, Paris ou Berlin. Ce sera une entreprise construite sur un modèle d'hyper-croissance, visant d'emblée un marché global, financée par du capital-risque et qui atteindra sa maturité en moins de 15 ans. À sa tête, se trouvera un homme ou une femme animé.e par-dessus tout d'une formidable ambition. Cette entreprise, ce sera le projet de toute sa vie et il/elle n'en sortira pas tant qu'il/elle n'en aura pas fait un très grand groupe. Ce sera aussi quelqu'un de très jeune, pétri de culture digitale, qui saura tirer profit du contexte technologique actuel - intelligence artificielle, données de masse, puissance de calcul, réseaux... - pour reproduire autour d'une idée forte un modèle de réussite qui est plus que jamais d'actualité. Lorsqu'elles sont associées au capital, les technologies disruptives peuvent transformer des secteurs entiers à une vitesse extraordinaire. C'était vrai en 1998, lorsque Larry Page et Sergueï Brin ont fondé Google, et ça l'est toujours en 2018.

Mais ce scénario est-il réellement possible en Europe ? Après avoir passé plus de dix ans dans la Silicon Valley, je suis précisément revenu en Europe parce que j'en étais et en suis encore convaincu. Et mes deux associés, Suranga Chandratillake, qui a créé Blinkx aux États-Unis, et Lars Fjeldsoe Nielsen, qui a participé au développement de Dropbox et Uber en Californie, ont suivi le même chemin. Que constatons-nous ? Tout d'abord, que l'Europe regorge d'entrepreneurs. Ils sont des milliers, ils ont la tête bien faite, ils ont faim et ils veulent aller jusqu'au bout. Pour cela, ils peuvent compter sur tout l'écosystème d'innovation qui s'est mis en place ces dernières années : à Paris, Londres ou Berlin, des hubs foisonnants d'idées et de compétences, capables d'attirer les talents et de leur permettre de concrétiser leurs projets ; à l'échelon national et mondial, des pouvoirs publics de plus en plus au fait des technologies et soucieux de favoriser l'essor des startups ; et un peu partout, des structures de financement et d'accompagnement plus nombreuses, plus professionnelles et mieux financées.

Une grande success story européenne n'est pas une chimère. Tous les éléments sont aujourd'hui réunis et l'Europe a, par le passé, déjà montré son potentiel. Je l'ai personnellement fait avec Business Objects, éditeur de logiciels créé à Paris en 1990 et valorisé près de 7 milliards de dollars lors de son rachat par SAP en 2007. Avec 90.000 employés et 23,4 milliards de dollars de chiffre d'affaires environ, SAP, justement, est l'un des plus grands groupes de technologie au monde et la première capitalisation boursière allemande. Enfin, l'Europe a produit ces dernières années quelques fleurons de l'hypercroissance : 60 « licornes », dont quatre sociétés valorisées au-delà de 10 milliards de dollars (Supercell, Zalando, Spotify et Adyen). Et surtout, des entreprises qui génèrent une activité substantielle : plus de 4 milliards de dollars de chiffre d'affaires pour Spotify, plus de 3 milliards de dollars pour Vente Privée, 1 milliard de dollars pour Trivago...

Une renaissance technologique européenne, incarnée par un géant de taille mondiale, est donc possible, mais pour qu'elle se réalise, ce qu'il manque sans doute encore, c'est d'en prendre conscience. À tous les niveaux, il nous faut changer de braquet. Nos ambitions ne doivent plus être de créer de belles licornes mais des entreprises véritablement capables de changer le monde. Les entrepreneurs, pour commencer, doivent voir grand. Il leur faut penser global dès l'origine et non espérer se développer par petites étapes, un pays européen après l'autre. Ils doivent poser très tôt le pied en Amérique et en Asie, et imprégner la culture de leur entreprise de cette audace et de cette absence de complexe. Cette attitude qui encourage la prise de risque est aussi ce qui permet d'accepter l'échec et d'en tirer tous les enseignements nécessaires pour s'en relever et avancer.

Mais cette révolution culturelle ne concerne pas que les entrepreneurs. Ceux qui les accompagnent, et notamment les investisseurs, doivent eux aussi prendre ce virage du risque et de l'ambition. Aujourd'hui, on constate que les champions lèvent des sommes de plus en plus importantes qui les place rapidement hors d'atteinte de leurs concurrents. Or, quant aux États-Unis et en Asie, les sociétés valorisées plus de 50 milliards de dollars ont levé en moyenne 7,5 milliards de dollars pour se développer, les meilleures européennes ont eu cinq fois moins à leur disposition. Même si l'on voit désormais des levées de fonds de plus grande ampleur (560 millions de dollars pour Auto1, 483 millions de dollars pour Deliveroo...), la technologie doit représenter bien plus qu'une part limitée de l'allocation des acteurs européens de l'investissement. Elle doit devenir un pilier de leur stratégie. La récompense sera au rendez-vous pour ceux qui oseront soutenir et encourager l'ambition, la prise de risque, la croissance forte et le développement global. L'opportunité frappe à la porte. Sachons collectivement lui ouvrir sans plus attendre.

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Commentaire 1
à écrit le 15/02/2019 à 14:12
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Parce que pour l'instant on a rien du tout, notre géant BAYER-MONSANTO, étant bien un géant certes mais de dettes ! Donc ilk semble évident quand dans ce rien, n'importe quelle start up un peu motivée remportera la partie de l'entreprise la plus ...

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