Concurrence : pourquoi Apple est dans le viseur de la Commission européenne

La Commission européenne a annoncé mardi l'ouverture de deux enquêtes visant Apple pour pratiques anticoncurrentielles. Bruxelles va examiner en détail le magasin d'applications (App Store) et le service de paiement (Apple Pay) du géant américain. Explications.
Anaïs Cherif
(Crédits : MIKE SEGAR)

La Commission européenne repart en croisade contre Apple. Bruxelles a annoncé mardi 16 juin l'ouverture de deux enquêtes pour pratiques anticoncurrentielles visant la firme à la pomme. Les inquiétudes de la Commission portent plus particulièrement sur deux services du géant américain, son magasin d'applications (App Store) et son service de paiement (Apple Pay).

La première enquête, lancée sur l'App Store, fait suite notamment à une plainte de Spotify, déposée en mars 2019. Au cœur de la plainte : la triple casquette du géant américain. De fait, Apple est à la fois propriétaire du système d'exploitation iOS installé sur ses appareils (iPhone et iPad), de l'App Store qui permet aux utilisateurs de télécharger des applications et il possède son propre service de streaming audio, Apple Music. En clair, il défini à la fois la façon dont les utilisateurs peuvent accéder à des applications, comme  Spotify, tout en étant un concurrent direct.

"Apple est à la fois propriétaire de système d'exploitation iOS, de l'App Store et c'est aussi un concurrent à Spotify. En théorie, ce n'est pas gênant. Mais ça l'est dans le cas d'Apple car il se donne un avantage déloyal à chaque occasion", dénonçait ainsi il y a un an Daniel Ek, Pdg et fondateur de Spotify, dans un billet de blog.

La commission de 30% prélevée par l'App Store contestée

L'enquête visant l'App Store va se pencher sur deux éléments particuliers, selon la Commission européenne. D'une part, le recours obligatoire au système d'achat intégré propriétaire «IAP» d'Apple pour la distribution de contenu numérique payant. En effet, si un utilisateur d'iPhone ou d'iPad souhaite s'abonner à un service, comme Spotify par exemple, alors il doit télécharger l'application sur l'App Store et payer directement via le système de paiement d'Apple. Or, instaurant ses conditions, la firme californienne prélève une commission de 30% sur les revenus générés la première année d'abonnement, puis 15% les années suivantes.

En conséquence, les développeurs d'applications répercutent le coût de cette commission sur le prix des abonnements et donc, sur le consommateur final. Par exemple, Spotify, qui avait été contraint d'utiliser ce système de facturation en 2014, avait décidé d'augmenter le prix de son service premium de 9,99 à 12,99 euros via paiement sur l'App Store pour ne pas rogner sur ses marges... Alors qu'Apple Music, qui ne se soumet pas à ses propres restrictions, a été lancé à 9,99 euros.

D'autre part, le géant américain interdit aux développeurs d'applications d'informer les utilisateurs de s'abonner via d'autres moyens - comme en passant directement sur leur propre site - qui sont généralement moins coûteux.

Lire aussi : "Apple peut tuer ton business en une heure" (Cyril Paglino, ex-Pdg de Tribe)

Grâce à l'App Store, "Apple contrôle la relation client de ses concurrents"

C'est ce qu'il ressort déjà de l'enquête préliminaire menée par la Commission. "Les concurrents d'Apple ont soit décidé de désactiver purement et simplement la possibilité de s'abonner dans l'application, soit augmenté les tarifs d'abonnement dans l'application et répercuté la commission versée à Apple sur les consommateurs. Dans les deux cas, ils n'étaient pas autorisés à informer les utilisateurs des autres possibilités de s'abonner en dehors de l'application", regrette la Commission. Et de poursuivre :

"L'obligation d'utiliser le système IAP semble également permettre à Apple de contrôler totalement la relation avec les clients de ses concurrents qui s'abonnent dans l'application, ce qui empêche ses concurrents de disposer de données importantes sur leurs clients, tandis qu'Apple peut obtenir des données précieuses sur les activités et les offres de ses concurrents", selon l'enquête préliminaire.

Pour Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne chargée de la concurrence, "les applications mobiles ont fondamentalement changé la façon dont nous accédons au contenu. C'est Apple qui fixe les règles applicables à la distribution des applications aux utilisateurs d'iPhones et d'iPads", écrit-elle dans un communiqué de presse.

Or, "il apparaît qu'Apple a obtenu un rôle de contrôleur d'accès ("gatekeeper") s'agissant de la distribution des applications et du contenu aux utilisateurs des appareils populaires d'Apple. Nous devons veiller à ce que les règles d'Apple ne faussent pas la concurrence sur les marchés où cette entreprise est en concurrence avec d'autres développeurs d'applications, par exemple avec son service de diffusion de musique en continu, Apple Music, ou avec Apple Books", explique Margrethe Vestager. Si Spotify s'est félicité de cette annonce, Apple a estimé que les plaintes des entreprises à l'origine des enquêtes ouvertes sont "infondées", accusant les plaignants de vouloir "profiter de la situation sans payer".

Lire aussi : Plainte pour concurrence déloyale : pour Apple, Spotify veut le beurre et l'argent du beurre

Aucun service concurrent à Apple Pay sur iPhone

La seconde enquête ouverte par l'exécutif européen porte sur Apple Pay, son service de paiement lancé en 2014 aux Etats-Unis et présent depuis dans toute l'Union européenne. Ce service permet notamment aux détenteurs d'iPhone de régler directement des achats chez des commerçants, en appliquant leur appareil sur le même terminal que celui des cartes bancaires, sans avoir besoin de taper un code.

Mais selon la Commission, Apple réserve l'utilisation de son antenne NFC (Near Field Communication, la technologie permettant d'échanger des données à moins de 10 centimètres entre deux appareils équipés de ce dispositif) à son propre service de paiement. Côté utilisateur, il est donc impossible sur un appareil Apple d'utiliser un autre système concurrent, comme Samsung Pay ou Google Pay. Et si une banque souhaite recourir à cette technologie sur iPhone, alors elle devra passer par Apple Pay en moyennant des frais.

Alors que ces moyens de paiements mobiles et sans contact sont de plus en plus utilisés dans les magasins physiques, "cette croissance est accélérée par la crise du coronavirus", a justifié dans un communiqué de presse Margrethe Vestager. "Il est important que les mesures prises par Apple ne privent pas les consommateurs des avantages qu'offrent les nouvelles technologies de paiement, notamment en matière de choix, de qualité, d'innovation et de prix compétitifs."

Bien que la Commission insiste sur le caractère "prioritaire" de ces dossiers, aucune date butoir n'a été fixée pour la clôture de ces deux enquêtes. Il y a près de quatre ans, l'exécutif européen avait déjà sommé la marque à la pomme de rembourser à l'Irlande 13 milliards d'euros d'avantages fiscaux indus.

Lire aussi : Apple écope d'une amende record de 1,1 milliard d'euros en France

Anaïs Cherif

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Commentaires 5
à écrit le 18/06/2020 à 12:13
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Tandis que lobbying : le Conseil d'Etat bloque la CNIL sur la demande approbation des cookies ! les GAFAM (ne pas oublier le M qui tente de laver plus blanc que gris), situés tout en haut de l'échelle de l'économie numérique, et leur homologues chino...

à écrit le 18/06/2020 à 11:25
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Bruxelles, compose avec les grands groupes au dépend des consommateurs que l'UE a sous "son autorité". C'est une chasse gardé!

à écrit le 18/06/2020 à 10:19
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Tandis que les Etats-Unis continuent, enfument l'EU et gagnent du temps sur la "Taxe Gafa", comme annoncé.

à écrit le 18/06/2020 à 9:06
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Parce que l'Europe ne sait plus parler, gavée de dumping fiscal et social elle ne sait plus penser non plus. Alors on taxe...

à écrit le 17/06/2020 à 17:29
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Encore un titre qui fait sourire car... toujours loin d'être crédible, elle compose avec les grands groupes au dépend des consommateurs que l'UE a sous "son autorité".

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