L’automédication, une source potentielle d’économies pour la Sécu ?

Certains industriels plaident pour le développement de l’automédication. Trois ministères planchent actuellement sur le sujet.
Fabien Piliu
L’automédication représente actuellement 15% des ventes de médicaments en volumes

Parce que le redressement des comptes sociaux est, comme celui des comptes du Budget, un chantier prioritaire, toutes les options permettant d'atteindre cet objectif sont étudiées de près par le gouvernement.

Jusqu'ici, et de puis de nombreuses années, l'avenue de Ségur où siège le ministère des Affaires sociales et Bercy se sont surtout inspirées des recettes classiques : rabotage des niches fiscales et sociales, relèvement tout-terrain de la pression fiscale et réduction tous azimuts des dépenses sociales.

Grâce à ses solutions conventionnelles, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2014 présentée cet automne par Marisol Touraine, la ministre des Affaires sociales, prévoit un déficit de la branche maladie de la Sécurité sociale de 6,2 milliards. En 2013,  il s'était élevé à 7,7 milliards d'euros, à comparer à un déficit global, Fonds de solidarité vieillesse inclus, de 16,2 milliards.

Les solutions sont connues

L'Afipa, qui représente les industriels qui produisent et commercialisent des produits de santé disponibles en pharmacie sans ordonnance (médicaments, dispositifs médicaux et compléments alimentaires d'automédication), avance une autre solution : favoriser le développement de l'automédication qui représente 15% des volumes - 7% en valeur -des médicaments vendus en France chaque année.

A titre de comparaison, ce pourcentage s'élève à 23% en Europe et dépasse 40% en Allemagne. Le sujet intéresse particulièrement le gouvernement, en particulier, le ministère des affaires sociales, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère du Redressement productif. Sur les dix groupes de travail qui composent le comité stratégique de filière des industries de santé (CSIS), l'un est spécialement dédié à l'automédication.

Une économie de 535 millions d'euros par an

Selon les estimations de l'Afipa, élargir la liste des pathologies bénignes et des médicaments d'automédication définis par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) permettrait à la Sécurité sociale d'économiser 535 millions d'euros chaque année.

" L'automédication doit être la première étape d'un parcours de soins efficace. Mais des précautions doivent être prises. Il est impératif que l'automédication soit extrêmement bien cadrée. Elle doit être réservée aux personnes en bonne santé  et qui sont touchés par des maladies bénignes, l'automédication a de multiples avantages ", explique Pascal Brossard, le président de l'Afipa.

Quels sont-ils ? Selon lui, l'automédication permet de redonner du pouvoir aux pharmaciens qui joueront un rôle de conseil auprès des patients. En clair, ils joueront enfin le rôle auquel leur formation les avait préparés.

Pour les patients, cette pratique favoriserait l'autonomie et permettrait aussi, estime l'Afipa, de les « responsabiliser ». A voir…

Les médecins y seraient favorables

Les médecins verraient également l'automédication d'un bon œil car en transférant une partie de leur charge de travail vers les pharmaciens, ils auraient plus de temps pour les patients souffrant de pathologie lourdes. Selon une étude réalisée par TNS pour la Fédération hospitalière de France (FHF), seuls 72 actes médicaux sur 100 seraient " pleinement justifiés ". Les réponses des praticiens variaient peu selon qu'elles émanaient d'un médecin hospitalier, d'un spécialiste libéral ou d'un généraliste. En outre, chacun reconnaissait des actes non pertinents dans sa propre discipline.

Sans réelle surprise, même si les produits en automédication sont des produits à faible marge, les industriels sont également favorables à son développement. " Les industriels paient depuis quelques années un lourd tribu à la réduction du déficit de la Sécu. En 2013, la baisse des prix de certains médicaments et le développement des génériques a coûté 960  millions d'euros à l'industrie pharmaceutique. Les conséquences sur l'emploi peuvent être désastreuses ", avance Pascal Brossard. L'industrie pharmaceutique emploie actuellement 100.000 emplois directs et génère 200.000 emplois indirects en France.

Qu'en pensent les associations de consommateurs ? Ils demandent à voir. Certes, la vente sur Internet a cassé le monopole des pharmaciens sur l'automédication, mais celle-ci est encore extrêmement marginale.

Selon une enquête publiée en 2012 par UFC Que choisir, près d'une pharmacie enquêtée sur deux (48%) n'avait pas respecté spontanément son devoir de conseil, en délivrant, pour la même personne, deux médicaments incompatibles. " En l'absence de conseil spontané, notre enquêteur devait interroger le pharmacien sur la posologie à respecter pour la prise des deux médicaments. Mais seuls 10% des pharmaciens ont saisi cette occasion de repêchage pour mettre en garde l'enquêteur. Plus grave, 55% seulement ont correctement indiqué la posologie du Rhinureflex, pourtant formellement rappelée quelques semaines auparavant par l'AFSSAPS [remplacé par l'Agence nationale de sécurité du médicament]-, en raison de ses effets indésirables », expliquait l'association qui s'inquiète également de l'opacité des prix ", explique l'association.

Au gouvernement, si ce sujet intéresse, il inquiète un peu également. Au ministère des Affaires sociales, très attaché au principe de précaution, on accepte difficilement de donner un coup de canif au modèle actuel de la Sécurité sociale, universel. Au ministère du Redressement productif, on joue plutôt la carte du pragmatisme, la défense de l'emploi étant la priorité.  

Deux questions restent en suspens. Le reste à charge annuel pour les patients s'élevant déjà à 34,50 euros, le développement de l'automédication devrait l'augmenter. Dans le contexte économique actuel, il est délicat de demander aux Français un effort supplémentaire pour se soigner. Tant que le pouvoir d'achat ne progressera plus vivement qu'aujourd'hui, le sujet restera brulant, à moins que le reste à charge, ou son augmentation soit prise en charge. Par qui ? Dans le groupe de travail, qui rendra son rapport en juin aux ministères concernés, plusieurs solutions sont sur la table. La Couverture mensuelle universelle (CMU) pourrait venir en aide aux personnes défavorisées. Les complémentaires pourraient également être mises à contribution.  

La question du mode de rémunération des pharmaciens peut se poser

Autre point en suspens, la rémunération des pharmaciens, qui repose aujourd'hui sur la seule vente des médicaments. Puisqu'ils passeront plus de temps avec les patients, puisqu'ils joueront un nouveau rôle de conseiller, institutionnalisé, ne voudront-ils pas être rémunéré en conséquence ?

 

 

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Fabien Piliu
Commentaires 5
à écrit le 13/12/2013 à 20:51
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Surtout une énorme culbute en vue pour les pharmaciens dont les prix pour un même médicament pourront varier du simple au triple. Il faudrait indéniablement introduire la concurrence au niveau de la distribution des médicaments.

à écrit le 12/12/2013 à 18:28
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Ben voilà le plan: on élimine les intermédiaires (médecins et pharmaciens), on remplace par des équipes de marketing et des commerciaux payés à la commission et le tour est joué :-) La sécu fait ainsi des économies puisque plus de médecisn et plus de...

le 13/12/2013 à 15:11
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autre avantage pour les retraites les retaites mourront plus jeunes

à écrit le 12/12/2013 à 16:57
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oui et non ! l'automédication peut être dangereuse et couteuse chez des personnes âgées ....

le 12/12/2013 à 17:33
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Bien sûr !! Déjà que certains remettent leurs gélules dans les mauvaises plaquettes ! Pour décider quoi prendre pour tel problème, kamikaze. L'article dit bien "Elle doit être réservée aux personnes en bonne santé et qui sont touchés par des maladi...

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