Pour une économie de la Reconnaissance

Quand la rigueur salariale prive les collaborateurs de marques d'attentions sur la feuille de paie, des commentaires réguliers sur la qualité de leur travail deviennent plus indispensables que jamais.
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Cette année, il va être difficile de reconnaître le talent des salariés avec une enveloppe. Selon le cabinet Deloitte, la baisse de l'enveloppe budgétaire toucherait majoritairement les entreprises avec un effectif supérieur à 10 000 salariés. Et 43% des entreprises ayant revues les augmentations salariales à la baisse anticipent une diminution de 0,4 à 0,5%. Autant dire qu'il va falloir trouver autre chose pour témoigner de la considération aux collaborateurs. L'Analyse Transactionnelle développe une théorie mal connue en entreprise sur notre besoin fondamental de reconnaissance dans notre vie privée comme professionnelle. Elle fait de la nécessité pour un individu de recevoir des signes dits de "reconnaissance", un besoin aussi vital que celui de se nourrir ou de se vêtir. Tout simplement parce qu'ils nous aident à nous sentir exister. D'ailleurs un nourrisson qui ne reçoit pas de signes de reconnaissances ne se développe pas. A la nuance près qu'il y a des signes positifs et des... négatifs. Positif, c'est évident : "Bravo pour vos résultats, bel effort." Le négatif, on le connaît malheureusement aussi très bien. Nous en avons tous subi les effets. Depuis le prof à l'école qui dit toujours quand c'est nul et pas quand c'est bien, en passant par le père ou la mère qui ne voient que les notes en dessous de 10 et la chambre pas rangée, jusqu'au chef qui ouvre la bouche ou envoie un e-mail pour dire son mécontentement, jamais pour féliciter.

Tout sauf l'indifférence

Les signes de reconnaissance obéissent à une règle humaine fondamentale : mieux vaut un signe de reconnaissance négatif que pas de signe du tout. Autrement dit : tout sauf l'indifférence. Un enfant n'hésitera pas à faire une bêtise même s'il doit se faire réprimander par ses parents s'il a le sentiment qu'ils ne font pas assez attention à lui. Tout comme un adulte qui se sent mis à l'écart d'une réunion de travail peut mettre en place des stratégies plus ou moins conscientes pour se faire remarquer en tapotant son stylo contre la table, ou en renversant son verre. Comme il nous est impossible de nous passer de ces signes, que pensez-vous qu'un salarié en mal de reconnaissance va faire ? Il va en chercher en posant des problèmes ou en provoquant des situations conflictuelles. C'est ce qui se passe avec les grèves et les mouvements sociaux. D'où l'importance en ces temps où nous sommes un peu tous à fleur de peau, de savoir distribuer des signes de reconnaissances... largement. Et d'être vigilant quant à ceux que nous émettons.

Au coeur de la relation managériale

Car il y a une distinction essentielle apportée par l'Analyse transactionnelle. Celle entre signes "conditionnels" et  "inconditionnels". Les premiers sont liés à l'action d'une personne. Les seconds touchent à son être, à sa personnalité. Les signes conditionnels positifs encouragent la perpétuation d'un comportement, la progression, le développement de l'individu, les négatifs également s'ils sont subtilement dosés : "Je trouve tes dossiers de mieux en mieux argumentés, bravo !", "Ta présentation était excellente mais tel point pourrait être amélioré". Les signes de reconnaissance inconditionnels positifs renforcent l'estime, l'autonomie de la personne qui les reçoit : "J'apprécie de travailler avec toi, c'est toujours un plaisir !". Les Américains sont très forts à ce jeu-là. Nous beaucoup moins. On pratique même sans honte les inconditionnels négatifs : "pauvre con". Non sans dégâts.
Détrompez-vous : user des signes de reconnaissances qu'on donne et reçoit dans la relation professionnelle ne relève pas de la calinothérapie digne des Bisounours...Cet échange de signes de "feedbacks" est le c?ur de la relation managériale et le secret d'un management humain efficace dans ses résultats et favorable au développement des individus, des équipes et des organisations.

Faux monnayeurs s'abstenir

Mais nos besoins en la matière, notre capacité à les recevoir et à les donner dépend d'un individu à l'autre Vous appréciez une main sur l'épaule ou une vigoureuse poignée de mains assortie d'un sourire, votre collègue apprécie surtout qu'on lui témoigne verbalement la qualité de son travail. Quant à votre chef, il est sensible à la confiance qui lui est témoignée quand on sollicite son conseil mais peu aux compliments sur ses qualités managériales qu'il prend pour de la flagornerie. De là, certains quiproquos relationnels du plus bel effet, telle la collaboratrice allergique au contact physique à qui vous adressez une reconnaissante poignée de main qu'elle ponctue d'un rire nerveux, ou le collaborateur ultra bosseur à qui vous proposez une fin d'année très « cool » en récompense de son investissement depuis le début de l'année et qu'il interprétera comme une mise au placard... Diagnostic et auto-diagnostic sont donc de rigueur tout comme le B.A.BA de la communication non violente : ne jamais commencer par dire « vous » ou « tu » mais « je », « je te trouve ». Et seuls les signes de reconnaissance sincères et spontanés ont de la valeur, car en matière de feedbacks, les faux monnayeurs sont vite démasqués. Donner les « strokes » que vous avez envie de donner, demander ceux dont vous avez besoin, accepter les signes de reconnaissance que vous désirez, refuser ceux dont vous ne voulez pas et n'oubliez pas de vous en octroyer quelques-uns de temps à autre. C'est bon pour l'estime de soi !

A renouveler régulièrement

Si la gratification sonnante et trébuchante reste centrale et emblématique en entreprise, elle est donc loin de répondre à la totalité des besoins de signes de reconnaissance manifestés par les collaborateurs. Mais si des situations de conflits et de manipulation apparaissent et prolifèrent dans votre service, dites vous bien que votre économie des signes de reconnaissance est dans le rouge. Elles naissent d'une pénurie de "feedbacks" qui a dégénéré, provoquant démobilisation, découragement, perte de confiance, baisse de la productivité et désintégration de la solidarité des équipes. Pratiquez donc à volonté ces échanges qui nécessitent d'être comme la nourriture et le sommeil renouvelés régulièrement. Profitez des différents moments structurant de la journée de travail : retrouvailles du matin, salut des collègues, discussions autour de la machine à café, réunions de travail sont autant d'occasions de donner, recevoir et demander des signes de reconnaissances professionnels et parfois personnels. Et gardez à l'esprit la phrase de Paul Valéry : « L'homme de génie est celui qui m'en donne ».

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Commentaires 4
à écrit le 07/02/2012 à 20:15
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Ou comment traiter par la psychologie un problème managérial! La masse salariale est devenue une variable d'ajustement prise par une direction financière ou commerciale qui ne décerne pas causes et conséquences, et qui oublie le coeur de métier de l'...

le 07/02/2012 à 23:27
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100% d'accord avec vous. Je pense malheureusement que comme moi, beaucoup de gens en entreprise, reconnaîtront leur entreprise dans vos propos.

le 08/02/2012 à 13:19
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Hhmm... Vous êtes dur avec l'Analyse Transactionnelle. Certes, elle ne rapporte rien aux salariés, mais nourrie encore bien les auteurs de "méthodes" ainsi que les coachs...

le 25/02/2012 à 1:58
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100% d'accord particulièrement sur l'emploi des RH en France. Dans les pays anglo-saxons le recrutement se fait uniquement par les opérationnels et à mon avis ça fonctionne mieux.

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