Biodiversité : en Camargue, la Maif met en œuvre son dividende écologique

Il y a un an, le groupe mutualiste annonçait vouloir consacrer 10 % de ses bénéfices à des enjeux environnementaux. Aujourd’hui, l’assureur finance ses premiers projets, dont la réhabilitation d’un marais en Camargue orientale, crucial pour la biodiversité et l’adaptation au changement climatique. Son patron, Pascal Demurger espère que d’autres entreprises s'inspireront de cette initiative quasi-inédite dans le paysage économique. Dans cette optique, il soutient l’idée d’un mécanisme d’incitation fiscale.
Juliette Raynal
La Maif finance à hauteur de 300.000 euros l'association des amis des marais du Vigueirat, crucial pour la biodiversité et l’adaptation au changement climatique.
La Maif finance à hauteur de 300.000 euros l'association des amis des marais du Vigueirat, crucial pour la biodiversité et l’adaptation au changement climatique. (Crédits : Stephane Ferrer Yulianti /MAIF)

« Les marais du Vigueirat concentrent 20% de la population française du butor étoilé. Si le butor ne peut plus se reproduire ici, c'est toute l'espèce que l'on met en danger », alerte Leïla Debiesse, conservatrice de la réserve naturelle des marais du Vigueirat, située au sud de la commune d'Arles (Bouches-du-Rhône), en Camargue orientale. Or, avec le changement climatique, les marais subissent des évolutions considérables, notamment au niveau de la composition de leur végétation. « Le manque d'eau a favorisé le développement du bois de tamaris », explique la jeune femme, bonnet vissé sur la tête, chaussures de randonnée aux pieds et jumelles en bandoulière.

Des espèces exotiques envahissantes, comme la jussie, se sont aussi imposées. « Ce sont des fleurs jaunes. Elles sont très jolies et appréciées des promeneurs, mais c'est une catastrophe écologique, car elles limitent l'accès à la ressource alimentaire pour les oiseaux », poursuit Leïla Debiesse, en déambulant dans les allées de ce réservoir naturel abritant plus de 2.600 espèces animales.

Longtemps négligés, les marais sont pourtant cruciaux pour la préservation de la biodiversité et l'adaptation au changement climatique. Non seulement, ils constituent une des plus importantes réserves alimentaires qui soit pour les animaux, mais ils apportent également une multitude de services aux populations humaines environnantes. Ces zones tampons améliorent la qualité des eaux, apportent de la fraîcheur, peuvent constituer de puissants puits de carbone et sont clé contre les risques d'inondation, en favorisant une meilleure circulation de l'eau vers la mer.

5,2 millions d'euros en 2023

Dans ce contexte, l'association des Amis des Marais du Vigueirat, responsable de la gestion de la réserve, s'attache à compenser les effets du changement climatique afin de préserver ces milieux typiques méditerranéens. Pour cela, l'association s'appuie sur un vaste et coûteux réseau hydraulique, mis en place lorsque le Rhône a été endigué.

Depuis peu, elle peut compter sur le soutien d'un nouveau mécène : en 2023, la Maif, devenue entreprise à mission dès 2020, a débloqué une enveloppe de 300.000 euros dans le cadre de son dividende écologique. Lancé il y a un an, cette initiative quasi inédite dans le paysage économique tricolore consiste à consacrer 10% du résultat net du groupe à la planète « pour soutenir nos sociétaires les plus vulnérables face au dérèglement climatique et pour rendre nos territoires plus résilients grâce à la régénération de la biodiversité », précise, à La Tribune, Pascal Demurger, aux manettes de l'entreprise depuis 14 ans.

L'assureur a ainsi dégagé une première enveloppe de 8,2 millions d'euros pour ce dividende, après avoir enregistré un bénéfice de 82,4 millions d'euros en 2022. Près de 5 millions d'euros ont directement été alloués au fonds Maif pour le vivant, le reste étant fléché vers les 1.700 sociétaires identifiés comme les plus vulnérables.

Outre les Marais du Vigueirat, le fonds Maif pour le vivant a sélectionné deux autres projets : l'un vise à remettre dans son lit le Lathan, un cours d'eau dans le Maine-et-Loire, et à restaurer ses zones d'expansion de crues grâce à des travaux de génie écologique. Le deuxième, à Rion-des-Landes, dans le sud-ouest de la France, consiste à désimperméabiliser les sols et à développer une trame végétale au sein du village pour réduire l'effet d'îlot de chaleur urbain et lutter contre les inondations.

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Une quinzaine de projets en 2024

« L'objectif était d'amorcer, en avance de phase, trois projets dès 2023 afin de montrer l'esprit de notre initiative. Nous avons ensuite organisé un appel à projets », précise Hélène Hannoir, présidente du Fonds Maif pour le vivant. Fin décembre, à la clôture des candidatures, 188 dossiers avaient été déposés. Les projets sélectionnés seront révélés en mai, lors de la prochaine assemblée générale de l'assureur.

Pour 2024, la Maif envisage d'ores et déjà d'accompagner une quinzaine de nouveaux projets, dont le besoin de financement oscille entre 50.000 et 300.000 euros. Une fourchette volontairement conséquente. « Nous avons fait ce choix-là pour éviter le saupoudrage et maximiser l'impact sur le terrain », explique Catherine Bertrand, chargée de la stratégie climat du groupe Maif.

Pour se protéger de toute critique de greenwashing, l'assureur se fait épauler par la branche biodiversité de la Caisse des Dépôts, dont les équipes assurent à la fois l'instruction des dossiers ayant candidaté, puis le suivi des projets retenus jusqu'en 2050. « Nous allons procéder à des prélèvements du sol et des feuilles pour mesurer les impacts sur le terrain », explique Valentine Norève, responsable du Fonds Nature 2050 de CDC Biodiversité.

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Pour l'heure, seul le Crédit Mutuel a annoncé, à quelques heures d'intervalle, le déploiement d'une initiative similaire le 5 janvier 2023. Les deux entreprises affichent toutes les deux un point commun : leur capital est détenu par des sociétaires, et non par des actionnaires susceptibles de percevoir des dividendes.

Le dividende écologique peut-il faire des émules ?

La cinquième banque française joue toutefois dans une autre catégorie : elle entend affecter au moins 2,5 milliards d'euros sur les quatre prochaines années à son « dividende sociétal ». Première concrétisation : l'acquisition de la forêt de Dambach via son Fonds de révolution environnementale et solidaire. Dès le printemps, le groupe mutualiste s'appuiera sur les travaux d'un nouveau groupe de réflexion maison dédié à la transition écologique et piloté par Laurent Berger, ex-secrétaire général de la CFDT.

Alors que ces deux annonces ont été accueillies favorablement par les ONG environnementales, certaines restent vigilantes sur les effets de communication et le manque de cohérence dans la stratégie des entreprises. Si la Maif est connue pour être « à l'avant-garde dans l'adoption de politiques d'exclusion des énergies fossiles », l'ONG Reclaim Finance regrette en revanche « le recul en catimini » opéré par le Crédit Mutuel sur sa politique relative aux hydrocarbures et notamment l'absence de mesure sur l'expansion pétro-gazière.

Au-delà de ce nécessaire alignement, le dividende écologique peut-il faire des émules ? Selon Pascal Demurger, d'autres entreprises, « a fortiori les plus grandes, peuvent s'emparer de cet outil », notamment parce que « les grands enjeux écologiques et sociaux du siècle impliquent de nouvelles formes de financement », explique le dirigeant. « Ensuite, parce que la baisse de l'impôt sur les sociétés donne davantage de marge de manœuvre », estime-t-il. « Enfin, parce que c'est une opportunité pour les entreprises d'avoir un impact concret sur les sujets sociétaux qui les concernent directement. Lorsque Maif finance des projets de régénération de la biodiversité ou des actions de prévention pour nos sociétaires, nous favorisons la résilience des territoires et de nos assurés dans un contexte d'aggravation du changement climatique. Si tous les assureurs le faisaient, les coûts du dérèglement seraient certainement moindre pour le secteur », poursuit-il.

De son côté, Lucie Pinson, fondatrice de l'ONG Reclaim Finance reste plus réservée sur une possible généralisation. « Nous accueillons plutôt favorablement les initiatives de la Maif et du Crédit Mutuel, qui consistent à financer des projets environnementaux qui ont du mal à sécuriser des financements sur le marché privé, mais c'est tout à fait insuffisant de laisser reposer cela sur la bonne volonté des entreprises. La preuve, il n'y a pas eu d'émulations en un an », constate-t-elle.

Incitation fiscale

Pour encourager d'autres entreprises à suivre ce mouvement, le député Renaissance Jean-Marc Zulesi plaide pour la mise en place d'un mécanisme d'incitation fiscale. « L'idée serait de baisser l'impôt sur les sociétés sur la part qui émane de ce dividende écologique », détaille-t-il. Le parlementaire avait travaillé à un amendement en ce sens, sans toutefois parvenir à convaincre Bercy. De manière générale, Pascal Demurger soutient, lui aussi, « l'idée d'une modulation de la fiscalité en fonction de l'action des entreprises ». « Selon qu'elle pollue ou, au contraire, qu'elle atténue son empreinte carbone, une entreprise n'induira pas les mêmes charges de réparation pour la collectivité », souligne-t-il.

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Avant même de s'interroger sur le possible déploiement d'un dividende écologique, Lucie Pinson questionne le partage de la valeur. « Dans un contexte d'urgence écologique, qui nécessite de réaliser des investissements colossaux pour se transformer, rappelons que le versement de tout dividende échappe à l'investissement productif. Cela questionne donc plus largement la réglementation sur l'encadrement du versement des dividendes en général », estime la militante, qui défend l'idée de plafonner cette distribution ou de la conditionner au plan de transition écologique mis en œuvre par les entreprises.

Juliette Raynal

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Commentaires 4
à écrit le 07/02/2024 à 8:49
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wow, quelle novlangue a l'education nationale!!! spoinsoriser des projets ca existe depuis longtemps, ca s'appelle ' mecenat', mais ce mot n'aide pas a la propagande!!!! bon, je ne doute pas un instant qu'apres avoir sauve la planete, ils vont refact...

à écrit le 06/02/2024 à 19:06
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La Maif devrait penser plutôt à baisser le prix de ses assurances ! Tout comme la MGEN

le 06/02/2024 à 21:51
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Tout à fait, nous reverser (en réduisant les primes) ces 10%, et en prévoir 10% pour l'action indiquée, quand même... :-) Je me demande s'il n'y avait pas eu des sommes reversées à l'époque Covid vu la baisse de la sinistralité (tous le l'ont sans d...

à écrit le 06/02/2024 à 19:06
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La Maif devrait penser plutôt à baisser le prix de ses assurances ! Tout comme la MGEN

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