
Les dossiers brûlants s'empilent à une allure vertigineuse sur le bureau de la Première ministre Elisabeth Borne. Pressé par l'urgence du réchauffement climatique, l'exécutif doit présenter sa feuille de route sur la planification écologique aux principaux partis politiques lundi 18 septembre. Plusieurs fois reportée pendant l'été, cette présentation doit fixer les grands axes de réduction des émissions de CO2 de la France d'ici 2030.
Avant fin septembre, le président de la République doit également réunir un conseil de la planification écologique. Entre ces deux dates importantes, Bercy continue de peaufiner les dernières grandes lignes du budget 2024. Lors d'une réunion avec des journalistes jeudi 14 septembre, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire et celui des Comptes Publics, Thomas Cazenave ont esquissé les grandes lignes de la fiscalité écologique à venir.
Financement : le flou persiste sur les 7 milliards d'euros supplémentaires
Sur le financement de la transition, il existe d'importantes zones d'ombre. Le gouvernement a confirmé l'enveloppe consacrée à la transition écologique de 7 milliards d'euros supplémentaires l'année prochaine. « Cette enveloppe va dans le bon sens, estime Emeline Notari, en charge de la fiscalité au Réseau action climat (RAC). Mais on ne voit pas ce qu'il y a vraiment de nouveau », a-t-elle ajouté. Les ministres de Bercy comptent financer une partie de cette enveloppe de 7 milliards par un réajustement de la fiscalité brune vers la fiscalité verte.
Outre ce basculement, l'exécutif a avancé qu'une partie des 16 milliards d'euros d'économies à réaliser devrait également servir à financer la transition. Quant à la loi de programmation des finances publiques (LPFP), « on est dans le flou », regrette Emeline Notari. « Elle doit sortir dans quelques jours et on ne sait toujours pas s'il y aura un volet spécifique dédié à la transition dans cette loi de finances ou s'il y aura un véhicule budgétaire. Les investisseurs privés ont besoin de visibilité. Ce budget 2024 doit être une première étape vers plus de visibilité. Il faut qu'il y ait une logique de feuille de route ».
Une taxe sur les gestionnaires des infrastructures de transport à préciser
Pour financer une partie de la transition, l'exécutif envisage une taxe sur les infrastructures de transport. « L'objectif est de faire contribuer en priorité les transports de longue distance qui sont les plus émetteurs de CO2 », a déclaré le ministre. « Ces recettes serviront, en toute cohérence, à financer des moyens de transports moins carbonés notamment le ferroviaire », a-t-il ajouté.
À ce stade, les modalités de cette taxe et les infrastructures ne sont pas encore tranchées. Sans surprise, les autoroutes et les aéroports sont dans le collimateur de Bercy. Les détails devraient être dévoilés lors de la présentation du projet de loi de finances 2024 prévue le 27 septembre prochain. En attendant, les concessionnaires d'autoroute et gestionnaires d'aéroports risquent de monter au front.
Une hausse des taxes sur le gaz
Dans la ligne de mire de l'exécutif figurent les énergies fossiles. Même si le gouvernement a exclu toute hausse d'impôt, la fiscalité sur le gaz devrait remonter l'année prochaine. Mais l'exécutif n'a pas précisé les montants de cette hausse, ni les modalités.
Aujourd'hui, les prix du gaz baissent. « Nous compenserons donc la baisse des prix par une réévaluation de l'accise sur le gaz, dont le produit sera intégralement reversé à la transition écologique et à l'accompagnement des ménages », a expliqué Bruno Le Maire. Le ministre a notamment évoqué les moyens supplémentaires alloués à Ma Prime Renov'. L'enveloppe « va augmenter de 1,6 milliard d'euros. C'est une augmentation de 50% qu'il faut financer ».
Fin du gazole non routier (GNR) pour le BTP et les agriculteurs
S'agissant du gazole non routier (GNR), le gouvernement a confirmé sa suppression pour les entreprises des travaux publics et pour les agriculteurs. « Concrètement les agriculteurs verront la fiscalité du GNR augmenter de 2,85 centimes d'euros par litre de carburant en 2024 et les entreprises de travaux publics », a ajouté le locataire de Bercy.
Le ministre a assuré que « toutes les recettes fiscales supplémentaires iront aux agriculteurs et aux entrepreneurs des travaux publics » pour les aider dans la transition. Face au risque de contestation, l'exécutif a mené de longs échanges avec la FNSEA, le principal syndicat chez les agriculteurs, et les représentants des travaux publics ces derniers jours avant de parvenir à accord.
En revanche, l'exécutif a épargné les sociétés de transports routiers. Jusqu'à maintenant, l'exécutif a évité un retour des «gilets jaunes » malgré les réformes d'ampleur comme les retraites ou l'assurance-chômage. Mais la colère des ronds-points de l'hiver 2018 a marqué les esprits dans les sphères du pouvoir macroniste. En effet, la hausse d'une taxe sur les carburants avait mis le feu aux poudres partout sur les territoires obligeant Emmanuel Macron a dégainer des rallonges budgétaires.
Industrie verte : le crédit d'impôt se précise
L'exécutif veut faire de la réindustrialisation le fer de lance de sa politique économique pour les prochaines années. Sans surprise, il met en avant les principes d'une politique de l'offre à travers son projet de loi industrie verte présenté au printemps.
Le texte de loi prévoit notamment un crédit d'impôt pour favoriser la production de pompes à chaleur, d'éoliennes ou de panneaux photovoltaïques. Ce crédit doit s'étendre du premier janvier 2024 à fin 2028 pour un total de 3,7 milliards d'euros. En pleine guerre de subventions sino-américaines, l'Europe et la France tentent de se frayer une place sur le sujet brûlant de l'industrie verte. La Commission européenne vient de lancer une enquête sur les subventions chinoises. Mais Pékin n'a pas tardé à réagir en menaçant le Vieux continent de représailles.
La France a raté ses objectifs de transition en 2022
La question du financement est d'autant plus importante qu'en matière de transition, la France accuse un sérieux retard au regard de ses objectifs. Dans un bilan dévoilé ce jeudi 14 septembre, l'observatoire climat énergie a montré que l'Hexagone a raté ses objectifs climat en 2022. « La France ne respecte pas son objectif d'émissions nettes pour l'année 2022. Le principal écart vient de la moindre absorption des émissions par les forêts et les sols », soulignent les experts.
Sur le front de l'énergie, la France est également en dehors des clous. « La situation énergétique de la France est critique, avec un retard sur les objectifs de baisse de la consommation d'énergie et de développement des énergies renouvelables », ajoutent-ils. Le chemin vers une véritable transition pourrait prendre du temps.