Comment limiter les pics de demande d'électricité, et donc éviter au maximum le recours aux centrales à gaz, très chères et polluantes, pour produire le courant nécessaire ? Alors même que le risque de coupures s'éloigne pour cet hiver grâce à une meilleure disponibilité du nucléaire, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, RTE, compte toujours répondre à cette question épineuse. Et dégaine cette fois-ci l'argument du climat, afin d'encourager les Français à reporter leurs consommations lors des périodes les plus calmes sur le réseau. Preuve que le fameux « Je baisse, j'éteins, je décale » s'inscrira bien dans la durée, au-delà de la crise liée à la guerre en Ukraine.
En effet, comme annoncé le 15 octobre dernier dans La Tribune Dimanche, RTE a officialisé ce mercredi 8 novembre le lancement d'un nouvel outil pour responsabiliser les ménages, en faisant appel à leur fibre écologique. Déjà disponible, il prend la forme d'un « indicateur des heures où la consommation est entièrement bas carbone », c'est-à-dire lorsque le nucléaire et les énergies renouvelables suffisent à répondre à la demande. Celui-ci est intégré à l'application mobile EcoWatt, mise en ligne en 2022 afin d'alerter sur l'état du réseau grâce à des signaux vert, orange ou rouge.
Officiellement, le but sera d'« aider les Français à consommer de l'électricité sans émettre de CO2 », a précisé mercredi le président de RTE, Xavier Piechaczyk. En creux, il s'agira surtout d'une nouvelle incitation à décaler ses usages en-dehors des heures de pointe, pour faire baisser la tension sur le réseau et diminuer le prix global de l'électricité.
« Décaler ou programmer notre consommation d'électricité pendant ces heures est le nouveau réflexe à adopter : par exemple en programmant la recharge d'une flotte de voitures électriques [...] », précise ainsi RTE dans un communiqué, même si rien ne sera obligatoire.
[Capture d'écran RTE]
Superposition avec les creux de demande
Dans le détail, environ 40% des heures de l'année seront étiquetées comme « entièrement décarbonées », c'est-à-dire que la consommation française pourra être intégralement couverte par le nucléaire et les énergies renouvelables. Or, logiquement, ces périodes interviendront lors des creux de demande, lorsqu'il n'est pas nécessaire d'appeler des combustibles fossiles à la rescousse pour combler le manque de marges. Autrement dit, « la nuit, l'après-midi lorsque la consommation baisse et qu'il y a une production solaire, le week-end et au printemps et en été », a détaillé mercredi Xavier Piechaczyk.
Sur la journée du 8 novembre, par exemple, les heures concernées s'étendent de 2 heures à 5 heures, puis de 11 heures à 17 heures, tandis que la production n'est pas indiquée comme « décarbonée » de 5 heures à 11 heures et de 17 heures à 20 heures.
Bascule du système
Si elle peut sembler anecdotique, cette nouvelle annonce témoigne d'un basculement du système énergétique, où le consommateur sera bien davantage mis à contribution. Car pour se désintoxiquer du pétrole, du charbon et du gaz à l'origine d'un réchauffement des températures à l'échelle du globe, il n'aura, en réalité, pas d'autre choix. La France devra s'électrifier rapidement et massivement (+ 40 % d'ici à 2035), en s'appuyant de moins en moins sur les hydrocarbures, et de plus en plus sur les énergies renouvelables, comme l'éolien et le solaire. Or celles-ci présentent l'inconvénient d'être intermittentes, leur production variant au cours de la journée en fonction de la météo. Alors que la demande ne suit pas la même courbe, « il faudra bien gérer cette variabilité », selon Xavier Piechaczyk, le président de RTE. Et pour cause : pour maintenir le système à flots, l'équilibre entre l'offre et la demande doit être assuré à chaque instant.
Certes, cet équilibre peut reposer sur davantage de moyens côté production, en développant des systèmes de stockage de l'électricité, par exemple, afin de réinjecter ce précieux courant aux moments critiques. Ou encore en faisant appel à des centrales à gaz lors des pics de consommation, puisque celles-ci ont l'avantage de pouvoir produire à n'importe quel moment. Mais plus on développera ce type d'infrastructures, plus cela coûtera au niveau global.
« Il ne serait pas logique demain de multiplier des moyens de production onéreux pour couvrir la pointe de consommation des Français entre 18h45 et 19h15 s'il est possible à moindres frais de faire baisser ce pic en modulant nos consommations », précisait il y a quelques semaines à La Tribune Xavier Piechaczyk.
Sobriété choisie ou forcée ?
À plus court terme, RTE a précisé mercredi que c'est d'ailleurs en partie les changements de comportement des Français qui lui permettent d'aborder l'hiver 2023-2024 dans des conditions « très favorables ». Certes, l'Hexagone pourra surtout profiter d'une meilleure disponibilité de son parc nucléaire, alors qu'EDF avance dans ses contrôles et réparations des corrosions sous contraintes identifiées dès fin 2021 sur plusieurs centrales. Mais la perspective d'une consommation d'électricité toujours « basse » dans les prochains mois participe de cette sérénité.
Pour rappel, l'hiver dernier, celle-ci avait diminué de manière inédite, de l'ordre de -8-9%, une fois retraitée des effets météo. Et s'est maintenue à un niveau bas à l'été et au printemps, a précisé RTE. Reste à voir ce qui relève de la sobriété choisie, alors que, selon une étude Ipsos-RTE publiée en juin, une majorité des Français ayant diminué leur consommation l'ont d'abord fait en raison de l'augmentation des prix.
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