Hydrogène : le plus gros électrolyseur d’Europe prêt à démarrer au cœur d’une industrie allemande en quête de transition

A quelques kilomètres de Düsseldorf, le français Air Liquide démarrera dans les toutes prochaines semaines un électrolyseur de 20 mégawatts, soit le plus puissant d'Europe. Implanté au cœur de la plus grosse usine de OQ Chemicals, il est d'ores et déjà connecté à un réseau de canalisations qui permettra d'alimenter en hydrogène vert le bassin industriel de la Ruhr, responsable de plus de 6% des émissions de gaz à effet de serre du pays.
(Crédits : Air Liquide)

De grandes tours, d'imposants réservoirs cylindriques, des petits bâtiments en briques rouges, quelques wagons citernes en attente, et une multitude de tuyaux métalliques de toutes tailles qui serpentent le site... Implantée au cœur de la Ruhr, premier bassin industriel d'Europe situé à l'ouest de l'Allemagne, l'usine Oberhausen du géant de la chimie OQ Chemicals coche toutes les cases de l'image que l'on peut se faire d'un site industriel traditionnel. Pourtant, dans ce parc de 120 hectares, où sont produits oxygène, azote et argon destinés à la fabrication de produits cosmétiques et pharmaceutiques, de lubrifiants et de plastiques, deux mondes se côtoient : celui des procédés très émetteurs de CO2 et celui des procédés décarbonés, qui devront se généraliser si l'Europe veut atteindre ses objectifs climatiques.

C'est sur ce site que le français Air Liquide, spécialiste des gaz industriels, s'apprête à démarrer le plus gros électrolyseur du Vieux Continent, d'une capacité initiale de 20 mégawatts (MW) pouvant atteindre, à terme, 30 MW. Jouxtant une unité de production d'hydrogène gris utilisant du gaz naturel, l'électrolyseur doit, lui, permettre de produire de l'hydrogène sans rejeter de CO2 dans l'atmosphère. Ce nouvel outil industriel n'utilise pas de ressource fossile mais un courant électrique permettant de casser les molécules d'eau afin d'obtenir de l'hydrogène propre d'un côté et de l'oxygène de l'autre.

35 millions d'euros d'investissements

Baptisé Trailblazer, l'électrolyseur est le jumeau de celui installé sur le site de Bécancour au Québec, en service depuis deux ans et demi. Comme lui, il fonctionne grâce à une membrane d'échange de protons, dite technologie PEM. Plus compacte que la technologie alcaline, elle est aussi réputée plus résistante aux intermittences des énergies renouvelables. Ici, Air Liquide s'est associé à Siemens Energy pour la fourniture de l'électrolyseur.

L'implantation sur le site d'Oberhausen est loin d'être anodine. Au départ, trois localisations étaient en compétition, dont une dans l'Hexagone. Mais, à l'époque, seule l'Allemagne est prête à soutenir financièrement le projet, en apportant 11 millions d'euros sur un montant total d'investissement supérieur à 35 millions. « C'est le premier projet ayant décroché une subvention dans le cadre de la stratégie allemande pour l'hydrogène », souligne Gilles Le Van, vice-président d'Air Liquide, chargé de la transition énergétique en Europe centrale.

Un réseau de canalisations

Sur ce site, Air Liquide dispose aussi de nombreuses infrastructures clefs pour la fabrication d'hydrogène. En effet, après l'étape de la séparation des molécules à l'œuvre au sein de l'électrolyseur, l'hydrogène doit être refroidi, séché et purifié, avant d'être comprimé à 25 bars pour pouvoir être injecté dans des canalisations de transport.

C'est là, l'autre grand atout du site industriel. Ce dernier est connecté au réseau d'hydrogène d'Air Liquide long de 240 kilomètres. Un levier clé pour décarboner le reste de la région, qui concentre fabricants d'acier, chimistes mais aussi raffineries. « L'activité industrielle de la Rhénanie du Nord-Westphalie représente plus de 6% des émissions totales de gaz à effet de serre de l'Allemagne », rappelle Samir Khayat, directeur général de l'agence régionale Energy 4 Climate. En théorie, le nouvel électrolyseur d'Air Liquide devrait ainsi permettre d'éviter l'émission de 30.000 tonnes de CO2 par an grâce à la production de quelque 3.000 tonnes d'hydrogène vert chaque année.

En discussions avec le géant de l'acier ThyssenKrupp

Le groupe tricolore a d'ores et déjà conclu plusieurs contrats avec des acteurs de la mobilité et est en discussions avec ThyssenKrupp Steel, le numéro 2 de l'acier en Europe, et le premier en Allemagne. Celui-ci prévoit de remplacer, dès janvier 2027, l'un de ses quatre hauts fourneaux par une unité dite de réduction directe (DRI) afin de s'affranchir du charbon. Avec ce nouveau procédé, « nous avons besoin d'hydrogène comme agent de réduction », explique Marie Jaronie, responsable de la décarbonation et de la durabilité au sein de ThyssenKrupp.

A terme, l'unité de DRI pourrait consommer jusqu'à 300.000 tonnes d'hydrogène, une quantité astronomique. Le projet représente un investissement monstre de 3 milliards d'euros. Pour boucler cette opération hors-normes, ThyssenKrupp a récemment décroché une aide d'Etat de 2 milliards d'euros. « Celle-ci sert à la fois à couvrir une partie des dépenses d'investissements mais aussi l'utilisation d'hydrogène vert », précise Marie Jaronie.

Une électricité abordable

En effet, sans aide publique, l'adoption de l'hydrogène renouvelable reste hors de portée pour les industriels. Et pour cause, aujourd'hui, en Allemagne, la production d'hydrogène vert coûte environ 2,5 fois plus cher que la production d'hydrogène gris. « Il n'est pas impossible de considérer qu'à l'horizon 2030 l'écart ne sera plus si important », estime toutefois Philippe Merino, vice-président d'Air Liquide supervisant les activités d'ingénierie et de construction.

L'accès à une électricité abordable est le principal levier d'action pour rendre l'hydrogène vert compétitif, étant donné qu'elle représente 70% des coûts de production de la molécule. Cet enjeu est au cœur du bras de fer que se livrent depuis des mois Paris et Berlin, lequel s'oppose à ce que l'hydrogène produit à partir d'électricité nucléaire, dont dispose abondamment la France, puisse bénéficier d'aides européennes.

Coopération franco-allemande

Si les deux Etats membres peinent à s'entendre, la coopération franco-allemande à l'échelle industrielle, elle, n'est pas impossible. Air Liquide et Siemens Energy en feront la démonstration ce mercredi en fin de matinée en inaugurant à Berlin une gigafactory d'électrolyseurs. Fruit de leur coentreprise officialisée en juin 2022, l'usine représente un investissement de 30 millions d'euros. Elle fournira notamment les composants clés de l'électrolyseur de 200 MW que prévoit d'opérer Air Liquide en Normandie d'ici à la fin 2026. Le chancelier Olaf Scholz, le ministre allemand de l'Economie Robert Habeck et le ministre français de l'industrie Roland Lescure devraient être au rendez-vous.

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Commentaires 17
à écrit le 08/11/2023 à 18:03
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Bonjour, question, le système en Allemagne fonctionne avec de l'électricité, de quel origine... Des centrales a charbon... Voilà une question intéressante...

à écrit le 08/11/2023 à 13:14
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article sur le développement des voitures a piles hydrogene en corée du sud :"La Corée est un des pays au monde les plus ambitieux en ce qui concerne le développement des véhicules à hydrogène pour particuliers. Alors que la plupart des pays du monde...

à écrit le 08/11/2023 à 11:32
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Ne faite pas preuve d'ignorance crasse ! "Ce nouvel outil industriel n'utilise pas de ressource fossile mais un courant électrique permettant de casser les molécules d'eau afin d'obtenir de l'hydrogène propre d'un côté et de l'oxygène de l'autre" ...

à écrit le 08/11/2023 à 9:46
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C était un projet à 11 millions pour la France ? Qu a foutu Bercy ? Lemaire au rapport ! L’hydrogéne est des clef de l avenir - pas le seul - au Japon e en coree du Sud des camions, des trains, des bus , des voitures- 230000 et 170000- roulent déjà...

le 08/11/2023 à 13:04
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N'appelez pas Le Maire au secours, il risque d'arriver. De plus en plus, avec l'innovation, les batteries sont en train de gagner la bataille comme vecteur pour stocker l'énergie face à l'hydrogène, qui restera essentiel dans l'industrie chimique et...

à écrit le 08/11/2023 à 9:31
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Rester assis sur une bombe, très peu pour moi ! ;-)

le 08/11/2023 à 11:14
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Là c'est pour l'industrie, réduction de l'oxyde fer sans carbone (coke), etc etc. Mais l'énergie électrique allemande étant par mal charbonnée, comment savoir si l'hydrogène sera vert ? Ils veulent passer du charbon à l'hydrogène en sachant qu'ils n...

à écrit le 08/11/2023 à 9:14
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Pas vraiment sans CO2 quand on regarde le taux d'émission de la production électrique allemande..

à écrit le 08/11/2023 à 8:40
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sur le fond, c'est top, de l'hydrogène produit sans substitut carboné, c'est très bien, dommage que l'outil de production tournera à 60 % du temps sur de l'électricité en provenance de Lignite...

le 08/11/2023 à 9:12
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Absolument ! Mais m^me en France ça serait un problème parce que l’électricité nucléaire qu'on aurait consommé pour ça, elle ne serait pas utilisée ailleurs ! Il faut d'abord réduire toutes les consommation d'énergie, puis construire du nucléaire. Al...

le 08/11/2023 à 10:20
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@Labo oui mais dans ce cas l'hydrogène n'est pas utilisé pour des activités substituables (transport ou autre) mais pour l'industrie où il est difficilement remplaçable donc ça va dans le bon sens.

à écrit le 08/11/2023 à 8:26
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Une technologie qui a été trop longtemps emprisonnée par les lobbys et on sent encore une énorme réticence de ceux-ci alors que cela s'avère être la meilleure solution au remplacement du pétrole plutôt que l'électrique dont 20 ans après ils n'arriven...

le 08/11/2023 à 9:08
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Ne rêvez pas ! Même si l'autonomie augmente largement, le VE n'est pas l'avenir... parce que c'est le véhicule individuel est une aberration ! Transporter une tonne pour un ou deux voyageurs , ca ne peut pas avoir un bilan carbone satisfaisant... Ce ...

le 08/11/2023 à 9:23
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L'hydrogène n'a pas besoin de batterie.

le 08/11/2023 à 11:10
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Tant qu'un véhicule à pile à combustible coûtera 150 000€ ça ne sera pas pour tout le monde (y a une batterie dans un tel véhicule mais plus modeste que celles des engins qu'on voudrait nous faire acheter. A noter qu'on peut faire 1000km mais en roul...

le 08/11/2023 à 13:18
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@photos 73 ou avez vous vu un tel prix? voici la traduction d un media coreen repris sur gouv.fr :"La Corée est un des pays au monde les plus ambitieux en ce qui concerne le développement des véhicules à hydrogène pour particuliers. Alors que la plu...

le 09/11/2023 à 8:46
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Impressionnant mais on se doute que la Corée est moins tiraillé par une copulation politico-financière comme en europe.

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