Qu'il paraît loin le temps de l'alerte générale sur un possible manque d'électricité en France. Alors qu'à la même période l'an dernier, le passage de l'hiver tourmentait le gouvernement au point qu'il préparait le terrain à d'éventuelles coupures tournantes, la situation a bien changé.
Pour preuve : malgré l'arrivée d'une vague de froid la semaine prochaine, du 8 au 14 janvier, le marché a réagi très modérément. « Les prix de l'électricité négociés sur les bourses d'échange [qui sont au plus bas depuis presque deux ans, ndlr] ont peu fluctué après cette annonce », explique Emeric de Vigan, vice-président chargé des marchés électricité chez Kpler. Signe que le risque d'un manque de courant s'éloigne, après la crise de production historique ayant secoué le pays à partir de 2022.
« A cette époque, les cours montaient en flèche au moindre aléa, y compris une possible baisse des températures, car les acteurs de marché craignaient une pénurie. Le fait que ce ne soit plus le cas indique une vraie détente », précise Nicolas Leclerc, cofondateur du cabinet de conseil en énergie à destination des entreprises et collectivités Omnegy.
Mieux : la France pourrait même ne pas devoir importer davantage d'électricité qu'elle en exporte la semaine prochaine, depuis l'Allemagne notamment, ce qu'elle fait pourtant habituellement en hiver.
« On sera peut-être importateur net sur certaines heures de pointe de demande, mais sur la journée ce n'est vraiment pas sûr ! », pronostique Nicolas Goldberg, senior manager Energie chez Colombus Consulting.
Mercredi 3 janvier d'ailleurs, l'Hexagone a atteint un nouveau record en la matière, avec plus de 20 GW d'électricité expédiée en-dehors de ses frontières ! Soit des circonstances très favorables, meilleures même que pour certaines années d'avant-crise.
Davantage de marges côté production
Mais comment le paysage a-t-il pu si radicalement changer en un an seulement ? Aucun nouveau réacteur nucléaire n'a pourtant été mis en service, puisque celui de Flamanville, en Normandie, ne devrait pas démarrer avant l'an prochain. Et les quelques gigawatts (GW) d'éolien et de solaire raccordés en 2023 n'ont pu jouer qu'à la marge.
Plusieurs facteurs se combinent néanmoins, éloignant les risques de tension. D'abord, le parc atomique d'EDF, avec ses 56 réacteurs historiques, sera davantage au rendez-vous qu'à l'hiver 2022-2023. A cette période en effet, celui-ci traversait une crise industrielle sans précédent, en raison d'un problème de corrosion affectant les installations les plus récentes. Depuis, EDF a procédé au contrôle et à la réparation d'une large partie des réacteurs concernés ou susceptibles de l'être. Résultat : alors que la disponibilité des centrales permettait difficilement d'atteindre une production de 40 GW il y a un an, 50 GW environ de capacités sont prévues la semaine prochaine (sur 61,4 GW installés au total).
Par ailleurs, les stocks hydrauliques et gaziers s'avèrent élevés pour la saison.
« On pourra beaucoup compter sur l'hydro-électricité car il a énormément plu ces dernières semaines. Mais aussi sur pas mal de production éolienne alors même qu'il fera froid ; ce qui tord le cou à certaines idées reçues ! », souligne Emeric de Vigan.
Au global, entre le nucléaire, l'hydraulique, l'éolien, le solaire, le gaz, la biomasse, et éventuellement un peu de charbon et de fioul à la marge, près de 78 GW de capacités de production sont attendues. Pour rappel, en avril 2022, une demande de 70 GW seulement avait suffi à faire vaciller le système, nécessitant d'importer 9 GW en une matinée seulement.
La demande d'électricité restera faible
Mais en réalité, le « game changer » est à chercher côté consommation. « Celle-ci est extrêmement faible : pour les tout prochains jours, RTE [Réseau de transport d'électricité, ndlr] prévoit 65 GW de pic de demande, alors que le froid a commencé ! Je n'avais jamais vu cela », commente Nicolas Goldberg. « C'est ça qui fait principalement la différence », ajoute Emeric de Vigan.
Même pour la semaine prochaine, les prévisions tablent entre 66 GW à 83 GW au plus fort de la pointe.
« A température équivalente, on a perdu entre 8% et 10% de consommation par rapport à l'avant-crise. Autrement dit, dans cette situation, on aurait atteint 90 GW au moins. Or, il est forcément moins difficile pour le système d'absorber une demande plus faible », ajoute Nicolas Leclerc.
Difficile néanmoins d'en identifier précisément les raisons. Selon RTE, cette inflexion serait dû à « un contexte économique d'inflation et de prix élevés », mais aussi à « un maintien des efforts de sobriété engagés à l'automne 2022 ». « Les comportements d'économie d'énergie s'ancrent dans la durée », estime Emeric de Vigan. « 19°C de chauffage et pas plus, par exemple, comme préconisé par le gouvernement il y a plusieurs mois, c'est une consigne simple et bien respectée notamment dans le tertiaire », abonde Nicolas Goldberg.
Sobriété choisie ou subie ?
Il n'empêche, le signal-prix joue forcément un rôle. « Un consommateur sera forcément beaucoup plus enclin à respecter les 19°C lorsque l'électricité coûte cher. Pour les particuliers, par exemple, les factures ont augmenté de 30% en deux ans », nuance le consultant.
Reste à savoir si l'inflation entraînera une destruction de la demande industrielle, ce qui serait un mauvais signe pour l'économie française. Nicolas Leclerc, lui, en est persuadé : « On constate encore aujourd'hui ce phénomène auprès de nos clients. Ils s'approvisionnent via des contrats à terme, pas au jour le jour sur la bourse d'échange. Or, ceux qui ont acheté tout ou partie de leur consommation prévisionnelle l'an dernier, lorsque les cours ont explosé, doivent toujours faire des arbitrages pour éviter une note trop salée », assure le co-fondateur d'Omnegy. Attention à ne pas crier victoire trop vite...
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