Engie : pourquoi la centrale hydroélectrique de Coo en Belgique joue un rôle crucial pour le système électrique européen

REPORTAGE - En Belgique, la centrale hydroélectrique de Coo, qui permet de produire et de stocker de l'électricité, joue un rôle de plus en plus crucial pour le bon fonctionnement du système électrique européen, dont les besoins en flexibilité augmentent face au développement croissant des champs solaires et éoliens. Engie dispose de six autres actifs similaires sur le Vieux Continent. Alors que ces ouvrages sont difficilement duplicables, l'énergéticien s'attache à doper les capacités des centrales existantes, mais table aussi sur le stockage par batteries. Le groupe tricolore prévoit d'investir près de 2 milliards d'euros dans cette technologie.
Juliette Raynal
Les deux bassins supérieurs de la centrale de turbinage-pompage de Coo, près de Liège en Belgique. Dans le cadre d'un vaste projet d'extension, l'un des deux a été agrandi afin d'augmenter les réserves d'électricité de la centrale, de plus en plus sollicitée à mesure que les champs éoliens et solaires se développent dans le nord de l'Europe.
Les deux bassins supérieurs de la centrale de turbinage-pompage de Coo, près de Liège en Belgique. Dans le cadre d'un vaste projet d'extension, l'un des deux a été agrandi afin d'augmenter les réserves d'électricité de la centrale, de plus en plus sollicitée à mesure que les champs éoliens et solaires se développent dans le nord de l'Europe. (Crédits : Engie Electrabel)

Une immense bâche rose vif trône au milieu de la vaste salle des machines de la centrale hydraulique de Coo, située sur une colline de la vallée de l'Amblève, près de Liège en Belgique. En dessous, se cache un rotor flambant neuf d'environ 300 tonnes. Dans quelques semaines, cette pièce maîtresse sera installée sur l'une des six turbines de l'usine inaugurée en 1972.

Propriété du groupe français Engie, cette centrale électrique d'une puissance d'un gigawatt (soit peu ou prou l'équivalent d'un réacteur nucléaire) fait l'objet d'un important projet d'extension requérant 67 millions d'euros d'investissements. Objectif : augmenter son volume de stockage, en agrandissant le bassin supérieur, et sa puissance de 7,5%, en renouvelant les machines, pour faire face à la pénétration de plus en plus importante des énergies renouvelables dans le système électrique européen, qui engendre des nouveaux besoins de flexibilité.

La centrale de Coo est une station de turbinage et de pompage ou « STEP » dans le jargon. Composée de deux bassins supérieurs et d'un bassin inférieur, elle permet à la fois de produire de l'électricité grâce à l'énergie hydraulique, mais aussi de stocker cette énergie. Lors des pics de consommation, le matin et en fin de journée vers 19 heures, l'eau descend d'un des deux bassins supérieurs vers le bassin inférieur où se trouve la centrale hydraulique. L'eau parcourt un kilomètre sur un dénivelé de 275 mètres via une galerie de 8 mètres de diamètre et vient frapper les turbines, lesquelles permettent d'actionner un rotor qui transforme l'énergie mécanique en énergie électrique. « L'équivalent d'une piscine olympique passe dans les turbines toutes les cinq secondes », précise Paul-Etienne Verheven, qui dirige les centrales flexibles d'Engie en Wallonie. Le dispositif permet alors d'apporter sur le réseau une puissance d'un gigawatt, en l'espace de 2 minutes seulement.

Une sollicitation accrue des STEP

A l'inverse, lorsqu'il y a trop d'électricité sur le réseau, en raison par exemple d'une importante production des parcs solaires et éoliens et d'une consommation relativement faible (ce qui arrive la nuit, le week-end ou même, en semaine, les après-midis d'été), la centrale hydraulique fait remonter l'eau vers l'un des deux bassins supérieurs. Cette action consomme beaucoup d'électricité, ce qui permet d'absorber les électrons en surplus sur le réseau, tout en constituant un stock d'eau qui pourra être utilisé ultérieurement pour produire de l'électricité lors d'une future pointe de consommation.

Les STEP, qui font circuler l'eau en circuit fermé, sont ainsi souvent comparées à d'immenses batteries. Engie en opère quatre autres dans le monde pour une capacité totale de 3 gigawatts (GW). Toutes sont situées en Europe. Les deux basées au Royaume-Uni et celle située en Allemagne datent, elles aussi, des années 70. Trois autres ouvrages ont récemment été acquis au Portugal.

Ces actifs sont amenés à jouer un rôle de plus en plus important au sein du système électrique du Vieux Continent, face à la pénétration croissante des énergies renouvelables intermittentes, dont les pics de production ne correspondent pas forcément aux pics de consommation. Or, pour assurer le bon fonctionnement du réseau électrique et éviter un black-out, il faut qu'à chaque instant la production d'électricité corresponde à la consommation d'électricité. Le réseau électrique va donc avoir besoin de plus en plus d'outils de flexibilité pour assurer cet épineux équilibre. D'autant plus, que les centrales électriques fonctionnant au gaz naturel, qui historiquement jouent ce rôle de flexibilité, ne sont pas amenées à se développer davantage pour des raisons climatiques et de souveraineté énergétique.

Doper les STEP existantes plutôt que d'en construire des nouvelles

L'évolution du mode de fonctionnement de la centrale de Coo illustre très bien cette tendance. Alors que les machines de la centrale réalisaient 8.000 démarrages en 2010, la STEP devrait totaliser quelque 18.000 démarrages cette année. En parallèle, le temps moyen d'utilisation des machines a, lui, diminué, passant de 2h30 il y a 13 ans, à moins de 2 heures aujourd'hui. « La centrale est de plus en plus sollicitée mais pour produire de moins en moins d'électricité », résume Sébastien Arbola, directeur général adjoint en charge des activités Flex Gen et retail d'Engie.

Dans la salle de contrôle, un monitoring des machines montre une succession de cycles, alternant turbinages et pompages, au sein d'une même journée. A sa création, les phases de pompages ne s'observaient que pendant la nuit pour absorber l'excédent de l'électricité nucléaire. « Désormais, en été, la centrale pompe tous les après-midis pour absorber la production électrique issue du photovoltaïque », explique Marc Locht, le responsable d'exploitation de la centrale.

Outre le développement des énergies renouvelables intermittentes, le réchauffement climatique, qui conduit à une multiplication d'événements météorologiques intenses, accroît également les besoins de flexibilité. « Lors de la dernière tempête automnale, les vents étaient tels que les champs éoliens en mer du Nord ont dû s'arrêter, faisant disparaître d'un coup 300 mégawatts de puissance sur le réseau. C'est la centrale de Coo qui a pris le relais », rapporte Sébastien Arborla.

Les STEP apparaissent donc comme le graal pour le système électrique de demain. « C'est un graal, une fois l'ouvrage construit », nuance Sébastien Arbola. Ces projets sont, en effet, très capitalistiques et le génie civil génère beaucoup d'incertitudes. A cela s'ajoutent les questions d'impact environnemental et d'acceptabilité. Pour ses multiples raisons, Engie n'a pas donné suite aux études menées en Europe pour développer de nouvelles STEP. Sa stratégie consiste donc à augmenter les capacités de celles déjà créées.

Développer 10 gigawatts de stockage par batteries

En parallèle, le groupe tricolore mise aussi sur un autre type d'actif pour apporter de la flexibilité au réseau : le stockage par batteries. Une technologie qui a l'avantage de pouvoir absorber et restituer l'électricité en quelques millièmes de secondes, contre quelques secondes pour une STEP et une quinzaine de minutes pour une centrale électrique fonctionnant au gaz. Engie s'est fixé d'atteindre une capacité de 10 GW en 2030 et devrait investir près de 2 milliards d'euros dans cette activité d'ici 2025. « Nous avons aujourd'hui 600 mégawatts installés et nous prévoyons d'en compter 3 GW en 2024 », indique Sébastien Arbola. Sur ce marché Engie cible principalement les Etats-Unis, le Chili, l'Australie et l'Europe.

Aujourd'hui, ses projets se concentrent surtout en Californie et au Texas, qui visent respectivement une pénétration des énergies renouvelables de 50% et de 35% d'ici 2030. Pour se muscler dans cette zone, Engie a fait l'acquisition de la société américaine Broad Reach Power en août dernier. « A partir d'un taux de pénétration des énergies renouvelables de 20% sur le réseau, nous estimons que 100 MW de capacités renouvelables doit donner lieu à 15 MW de capacités de stockage », précise Sébastien Arbola.

La France, pas prioritaire

Outre ce facteur, Engie vise les marchés où l'écart du prix de l'électricité au cours d'une même journée est important. Si le matin les prix sont très bas en raison d'une importante production solaire par exemple, il a tout intérêt à stocker de l'électricité sur ses batteries. Il peut même être payé pour absorber cet excédent lorsque le prix du mégawattheure devient négatif sur les marchés. L'idée ensuite est de restituer ces électrons au moment où la demande augmente et ainsi les revendre à un prix bien plus élevé. « Nous estimons que le stockage par batterie est pertinent quand le spread [l'écart des prix de l'électricité sur les marchés, ndlr] atteint 60-70 dollars dans la journée », indique Sébastien Arbola.

Aujourd'hui, le groupe développe des projets de stockage par batteries au Chili, au Royaume-Uni, en Italie et en Belgique. Il regarde également les Pays-Bas. Pour l'heure, aucun projet n'est à l'étude dans l'Hexagone, où le « spread » n'est pas assez important. D'autant que la France dispose déjà de moyens de flexibilité, comme son parc nucléaire, ses nombreux barrages hydrauliques ou encore ses centrales à gaz, qu'il faudra néanmoins décarboner...

Juliette Raynal

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Commentaires 5
à écrit le 16/11/2023 à 17:00
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Ho !!!! Les éditorialistes vous êtes en retard ou vous ne voyez que d'un côté !!!!! La centrale hydraulique de Grand maison existe et fonctionne depuis 1985 et a la capacité de 1800 MW. La chose positive de cette retenue est que les écolos belges ...

à écrit le 16/11/2023 à 16:59
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"qui permet de produire et de stocker de l'électricité" Non ne elle permet pas de stocker de l'électricité mais de l'énergie potentielle de pesanteur. Qui a son tour peut être convertie en énergie électrique.

le 16/11/2023 à 17:27
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Bien sûr mais cela est trop complexe pour un écolo pur et dur. Il ne faut pas confondre énergie potentielle et réelle

le 18/11/2023 à 10:16
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Bah, nous avons tous raison. Bien sûr, ce n'est pas l'électricité qui est stockée. Mais le rendement des STEP est très bon (jusqu'à 80%). Donc ce qui n'est que potentiel n'est pas très loin d'être réel. On peut donc accepter un "raccourci" (en l’occu...

à écrit le 16/11/2023 à 16:36
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bon, vu que c'est crucial, va bien y avoir un ecolo bien a gauche pour hurler au superprofits et demander a ce que le projet aille au tas, mais attention, tout en faisant les bons investissements dans le desinvestissement, tout en maintenant les empl...

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