L'étonnant virage pro-nucléaire de Bruxelles

La présidente de la Commission européenne, l'Allemande Ursula von der Leyen, s'est non seulement déplacée au Sommet européen sur le nucléaire organisé jeudi dans la capitale belge, mais elle a défendu la place de cette source d'énergie dans la transition écologique. Une déclaration forte, signe du retour en force de l'atome civil sur le Vieux continent, après des décennies d'esquive. A moins qu'il ne s'agisse d'un calcul politique...
Marine Godelier
L'extension du parc nucléaire actuel est l'un des moyens les moins coûteux d'assurer une production d'électricité propre à grande échelle », a déclaré jeudi l'ancienne ministre d'Angela Merkel.
L'extension du parc nucléaire actuel est l'un des moyens les moins coûteux d'assurer une production d'électricité propre à grande échelle », a déclaré jeudi l'ancienne ministre d'Angela Merkel. (Crédits : KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

« L'Union européenne ne financera jamais de centrales nucléaires », glissait sans ambages à La Tribune, il y a quelques mois, un spécialiste reconnu des questions énergétiques sur le Vieux continent. Vraiment ? Il paraît difficile, aujourd'hui, d'en être si certain. En quelques semaines, les cartes ont été rebattues, au point qu'une bonne partie des Vingt-Sept montent désormais au front pour défendre cette source d'énergie peu émettrice de CO2.

Mais pas que. Même la présidente de la Commission européenne, l'Allemande Ursula von der Leyen, a changé de braquet. Tout un symbole : celle qui faisait de l'atome un tabou, lui préférant les « énergies renouvelables » et l'« efficacité énergétique », s'est non seulement déplacée au Sommet européen sur le nucléaire organisé hier à Bruxelles, mais y a défendu la fission de l'uranium :

« Les technologies nucléaires peuvent jouer un rôle important vers une énergie propre. [...] Compte tenu du défi climatique, les pays doivent examiner attentivement leurs options avant de renoncer à une source d'électricité facilement disponible et à faibles émissions. L'extension du parc nucléaire actuel est l'un des moyens les moins coûteux d'assurer une production d'électricité propre à grande échelle », a déclaré l'ancienne ministre d'Angela Merkel, lors de l'événement organisé par Bruxelles et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui réunissait une trentaine de pays pronucléaires (quinze Européens dont la France, les États-Unis, la Chine ou encore le Brésil).

Un pied-de-nez à son pays, l'Allemagne, qui a fermé en fin d'années dernières ses dernières centrales atomiques, malgré l'importance du charbon et du gaz dans son mix électrique. Et qui devrait ravir les Etats favorables à la construction de nouveaux réacteurs, emmenés par la France.

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Tabou

Jusqu'alors, pourtant, Ursula von der Leyen avait l'habitude d'éviter le sujet. Lors de son discours sur l'état de l'Union, le 13 septembre dernier, celle-ci n'avait prononcé le mot « nucléaire » qu'une seule fois, et pour évoquer l'importance de réduire les risques de « guerre nucléaire ».

L'année précédente, d'ailleurs, la cheffe de l'exécutif bruxellois avait seulement mentionné cette source d'énergie pour parler de la fermeture de réacteurs à cause de sécheresses, et de l'occupation par les forces russes de la centrale ukrainienne de Zaporijia. Même esquive dans son discours sur la stratégie énergétique de l'UE énoncé quelques jours plus tôt, dans lequel seules les « énergies renouvelables » étaient mentionnées comme « des sources d'énergie à faible teneur en carbone ».

Et ce tabou transparaissait dans les différents textes proposés par la Commission, du fameux Green Deal (Pacte Vert), le vaste plan sur le climat présenté en début de mandat, à RePowerEU (censé aider l'Europe à ne plus dépendre du gaz russe), en passant par la directive RED sur les énergies renouvelables, ou encore les directives sur l'hydrogène et les premières versions du Net Zero Industry Act, qui faisaient l'impasse sur le nucléaire.

La France, cheffe de file de l'Alliance du nucléaire en Europe

Mais la France ne l'a pas entendu de cette oreille. Au nom de la « sécurité d'approvisionnement », mais aussi de « l'atteinte des objectifs climatiques », l'Hexagone a en effet préparé le retour en force de l'atome civil en Europe. Et cherché ardemment des alliés parmi les Vingt-Sept, afin de peser dans les négociations face à des voisins peu favorables à cette source d'électricité bas carbone, l'Allemagne et l'Espagne en tête.

A l'échelle nationale, le gouvernement tricolore a bien sûr annoncé, en février 2022, la relance de l'atome sur le territoire, avec la prolongation « aussi longtemps que possible » du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs. Mais ses émissaires n'ont pas non plus chômé à Bruxelles. L'Hexagone y a en effet mené un lobbying intense, dans un but précis : parvenir à la reconnaissance du nucléaire comme une énergie bas carbone, donc « durable », afin de lui promettre un avenir - et des sources de financement. Se dessinaient ainsi déjà, depuis quelques années, des premières alliances emmenées par la France sur le Vieux continent, à travers des courriers envoyés à la Commission européenne.

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Celui pour l'intégration de l'atome civil dans la « taxonomie verte » de l'UE, d'abord, cette liste censée attirer les capitaux vers les activités durables. En effet, fin mars 2021, les dirigeants de sept Etats (République tchèque, France, Hongrie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Slovénie) ont lancé, dans une lettre adressée à l'exécutif bruxellois, un « appel d'urgence pour assurer des règles du jeu équitables pour l'énergie nucléaire dans l'UE, sans l'exclure des politiques et des avantages climatiques et énergétiques », malgré l'opposition ferme de l'Allemagne et de l'Autriche. Et ont obtenu gain de cause dans le texte finalement adopté mi-2022, au grand dam des antinucléaires.

Mais aussi sur l'importance du nucléaire dans la production d'hydrogène « vert ». Car début 2023, neuf États membres (les mêmes, la Bulgarie et la Croatie en plus) ont à nouveau envoyé un courrier à la Commission européenne plaidant en ce sens, là encore contre l'avis de Berlin. Une « minorité de blocage », selon les termes d'Agnès Pannier-Runacher, qui a permis d'obtenir une victoire significative : le 9 février dernier, la commission Énergie du Parlement européen reconnaissait officiellement l'hydrogène produit à partir d'électricité atomique comme une énergie « bas-carbone ».

Et dès le lendemain, la Commission européenne, jusqu'alors très frileuse, acceptait elle-même une exception pour le nucléaire dans la fabrication de l'hydrogène étiqueté comme « renouvelable », après des mois de batailles intenses en coulisses. Enfin, le nucléaire a récemment été ajouté parmi les technologies décisives dans le NZIA, ouvrant la voie à un soutien financier.

Calcul politique ?

Vendredi, le PDG d'EDF, Luc Rémont, a d'ailleurs partagé son intention de déployer « deux réacteurs [EPR, ndlr] ar an » en Europe dès la prochaine décennie, dans un entretien accordé au média Contexte. Un rythme loin du niveau actuel d'« un ou deux par décennie ».

La veille, la trentaine d'Etats présents à Bruxelles ont convenu de collaborer pour accélérer et mieux financer le développement de cette source d'énergie. « [Celle-ci] est propre et rentable [...] ce n'est pas une utopie », a insisté Rafael Grossi, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), à l'origine de ce sommet « historique ».

« Partout dans le monde, le nucléaire fait son grand retour : le besoin de lutter contre le changement climatique, de sécurité énergétique après l'invasion de l'Ukraine, de produire de l'électricité sans interruption », a ajouté le directeur de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Fatih Birol.

Reste à voir si la position d'Ursula von der Leyen n'est pas simplement « électoraliste ». Dans quelques mois en effet, son mandat arrivera à échéance. Alors qu'elle s'est d'ores et déjà déclarée candidate à sa succession, le Parlement européen devra se prononcer sur proposition (à la majorité qualifiée) du Conseil européen, c'est-à-dire des chefs d'Etat des pays membres. Or, la majorité d'entre eux semblent désormais pencher en faveur de l'atome civil...

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Marine Godelier

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Commentaires 12
à écrit le 23/03/2024 à 13:16
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On ne peut plus être contre, quand on a tout gratuitement sur un plateau ! Le détricotage des "avantages" français continue !

le 23/03/2024 à 14:51
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C'est justement l'inverse

à écrit le 23/03/2024 à 12:06
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C'est ça la flexibilité ! Vous savez avec Ursula l'orientation provient de la somem écrite sur le chèque ou de la taille de la valise pleine de billets.

à écrit le 23/03/2024 à 11:31
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La politique énergétique est une tâche nationale. Chaque État européen peut décider souverainement quel mix énergétique il préfère et soutient. Il doit également en supporter la responsabilité et les coûts. L’UE devrait rester en dehors de cela.

à écrit le 23/03/2024 à 11:30
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La politique énergétique est une tâche nationale. Chaque État européen peut décider souverainement quel mix énergétique il préfère et soutient. Il doit également en supporter la responsabilité et les coûts. L’UE devrait rester en dehors de cela.

à écrit le 23/03/2024 à 3:52
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Pur calcul de la part de VDL qui vise un second mandat à la tête de la commission. Il me souvient de cette blague qui disait que l'égalité Homme Femme sera réalisée lorsque des femmes pourront accéder à des postes à haute responsabilité même en étan...

le 23/03/2024 à 11:50
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mme von der leyen est dans la macronie . pour etre elu elle a besoin du vote nucléaire et une fois en fonction le démantèlement du nucléaire attiendra son apogée ou est le nucléaire dans son pays et quel position a mme von der leyen sur ce sujet ...

le 23/03/2024 à 21:01
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@ludwig la macronie ? VDL n'est même pas française, c'est absurde. Mais qu'il est simple de voir le monde en 2 camps : les méchants et les gentils.

à écrit le 23/03/2024 à 3:38
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Pur calcul de la part de VDL qui vise un second mandat à la tête de la commission. Il me souvient de cette blague qui disait que l'égalité Homme Femme sera réalisée lorsque des femmes pourront accéder à des postes à haute responsabilité même en étan...

à écrit le 22/03/2024 à 22:56
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Oui. Dommage que les centrales nucléaires françaises ne fonctionnent pas .... Les anciennes ont rouillé (corrosion) et la moitié sont à l'arrêt. Les nouvelles (EPR) ont 12 ans de retard (pour l'instant) , leur coût est passé de 3.5 à 18 milliards (...

à écrit le 22/03/2024 à 17:47
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On veut toujours nous faire croire que les peuples d'europe ont leur mot à dire dans cette coalition bruxelloise...mais nous n'avons qu'un monde de corruption et d'opportuniste à la tête de l'administration !

à écrit le 22/03/2024 à 17:40
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Publi reportage visant a exonérer les responsables francais qui n'ont changé d'avis que très récemment... C'est encore la méchante europe de la méchante allemagne ! non non c'est la nullité historique des dirigeant francais... dans plus d'un domaine ...

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