Nucléaire : l'exécutif envisage encore davantage d'EPR... Contrairement aux prédictions de RTE

Même si le gouvernement compte engager la construction de 14 réacteurs EPR en France, la part de l’énergie atomique dans le mix de production diminuera au cours des prochaines décennies. C’est en tout cas ce qu’affirmait fin 2021 RTE, l’organisme chargé d’équilibrer l’offre et la demande d’électricité dans le pays, dans son étude de référence sur le futur énergétique du pays. À moins que l’exécutif ne remette en cause ses travaux… Explications.
Marine Godelier
(Crédits : ERIC GAILLARD)

Cela paraît contre-intuitif : alors que l'avant-projet de loi sur la « souveraineté énergétique » de la France, qui sera présenté en Conseil des ministres dans moins d'un mois, repose sur une relance du nucléaire et met de côté les objectifs de déploiement du solaire et de l'éolien, le parc atomique devrait bientôt décliner au profit des renouvelables. Et ce, même si 14 EPR2, ces réacteurs de troisième génération sur lesquels mise l'exécutif, voyaient le jour d'ici à 2050 comme le souhaite la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

À moins que le gouvernement ne décide finalement d'en construire encore davantage, afin de remplacer le parc historique. Dans un entretien accordé ce week-end à La Tribune Dimanche, Agnès Pannier-Runacher n'a en tout cas pas fermé la porte à une telle option, en affirmant qu'aller au-delà de 14 EPR était « un bon objet de discussion avec les parlementaires ». En mars 2023 d'ailleurs, celle-ci indiquait déjà aux Echos avoir demandé aux industriels du secteur « s'ils savaient aller au-delà de 14 EPR ».

« Il est évident que cela fait partie des objets discutés amplement avec les parlementaires [...] compte tenu des enjeux industriels et de sécurité d'approvisionnement », ajoutait-on lundi dans son entourage.

Un scénario écarté par RTE pour des raisons « industrielles »... mais qui pourrait revenir sur la table

Cela signifie-t-il que l'exécutif remet en cause les conclusions de RTE, l'organisme chargé d'équilibrer à tout moment l'offre et la demande d'électricité en France ? Dans son étude de référence baptisée « Futurs énergétiques 2050 », commandée par le gouvernement et publiée fin 2021, l'organisme affirmait, en effet, que même en poussant « au maximum » le rythme de construction des EPR, on ne dépasserait pas 14 de ces installations dans l'Hexagone « à l'horizon 2050 et 2060 ». Un chiffre qui ne constitue « pas une hypothèse », puisqu'il « résulte » de « l'addition des contraintes industrielles portant sur la filière nucléaire » et « non d'une contrainte politique », pouvait-on lire dans l'épais document. Si bien que la puissance installée du parc ne dépasserait pas 50 gigawatts (GW) à cette échéance... contre 61,4 GW aujourd'hui.

Il n'empêche, RTE pourrait bien revoir ses conclusions : « Les scénarios les plus hauts en matière de nucléaire reposaient sur la proposition industrielle la plus haute de la filière nucléaire à la date de la réalisation de l'étude et de la concertation associée [menée en 2021, ndlr] », explique-t-on aujourd'hui en son sein. À l'époque, l'organisme avait d'ailleurs précisé que « cette projection serait probablement amenée à évoluer avec le temps ».

« Sans réinvestissement dans la filière, sa capacité projetée à long terme continuera de diminuer, tandis qu'une décision rapide de relance pourrait conduire, ultérieurement, à revoir à la hausse ses perspectives », pouvait-on lire dans l'épais document.

La relance ambitieuse du nucléaire affichée par le gouvernement, qui a complètement changé de braquet en moins de trois ans, suffira-t-elle à convaincre RTE d'actualiser ses travaux et ainsi de considérer une trajectoire avec davantage d'EPR ? Aucune certitude pour l'instant. Une chose est sûre, une telle étude préfigurerait des débats parlementaires intenses. La filière, en tout cas, se met au pas de course, et promet déjà d'aligner ses compétences sur ce défi immense.

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« Effet falaise »

Il faut dire que la France fait face à un mur énergétique considérable. Et pour cause, le parc actuel, qui fournit au pays près de 65% de son électricité (contre moins de 15% pour l'éolien et le solaire) n'est pas éternel : une partie des centrales arriveront un jour en fin de vie, et rien ne garantit qu'il sera possible de les prolonger encore des décennies, n'en déplaise à l'exécutif.

« On a accumulé tellement de retard qu'on fera bientôt face à un important effet falaise [c'est-à-dire de la puissance perdue non remplacée, ndlr]. Quand le premier EPR2 sera raccordé, certaines installations auront entre 57 et 59 ans, si elles n'ont pas fermé avant ! Surtout que, dans les années 1980, ce sont parfois huit réacteurs qui ont démarré en même temps, et devront donc tirer leur révérence au même moment », explique à La Tribune Nicolas Goldberg, senior manager Energie chez Colombus Consulting.

Résultat : selon RTE, l'Hexagone pourra compter au maximum sur 24 GW de centrales historiques en 2050, soit 2,5 fois moins qu'aujourd'hui. Et même là, cela relèverait du « pari », estime le consultant. « Que se passera-t-il si l'Autorité de sûreté nucléaire [ASN] affirme qu'il n'est finalement pas possible de les maintenir en service ? », interroge-t-il.

Et gare à ceux qui s'appuieraient sur l'exemple des Etats-Unis, où la durée d'exploitation de certains réacteurs est récemment passée de 60 à 80 ans, pour affirmer le contraire : « les exigences de sûreté y sont bien différentes », rappelle Nicolas Goldberg. Alors qu'outre-Atlantique, il suffit de garantir que les installations restent aussi sûres qu'au premier jour pour continuer de les exploiter, l'ASN demande constamment à EDF de mettre à niveau son parc, afin qu'il réponde à un cahier des charges équivalent à celui des EPR.

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Quid des SMR ?

Surtout, même si ce pari s'avérait payant et que la France parvenait à maintenir à flot 24 GW de nucléaire historique d'ici à la moitié du siècle, il resterait toujours près de 38 GW à trouver pour arriver à 62 GW de capacités. Soit l'équivalent non pas de six ni même de 14 EPR, mais de 24 EPR à construire en quinze ans (en plus de celui de Flamanville, qui sera normalement raccordé cette année).

Impossible également de se reposer sur les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors, SMR), ces installations à la puissance généralement comprise entre 0,2 et 0,3 GW par unité (contre 1,6 GW pour un EPR). « Ce serait un pari encore plus grand que le prolongement du parc : la technologie reste immature, puisque l'objectif est de mettre en service le premier modèle de SMR d'EDF, Nuward, autour de 2038-2040. Ce n'est donc pas avec ça qu'on pourrait remonter à 62 GW », assure Nicolas Goldberg. Dans le scénario le plus nucléarisé de Futurs énergétiques 2050, ces petits réacteurs pourraient d'ailleurs apporter jusqu'à 4 GW de capacités supplémentaires, pas plus.

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Marine Godelier

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Commentaires 18
à écrit le 11/01/2024 à 12:01
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La technologie des SMR Français Nuward n'est pas immature, puisqu'il s'agit, comme pour notre parc actuel, de réacteurs à eau pressurisée. Même en imaginant que la mise en service du premier soit repoussée à 2038-2040, le déploiement à grande pourrai...

à écrit le 10/01/2024 à 13:41
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Betises plus des reacteurs moins d'énergie.

à écrit le 10/01/2024 à 2:19
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Le fameux rapport rte 2021 avait été commandé par Barbara Pompili (ex écolo). Ce rapport etait un canular, il ne tenait pas compte de l'intermittence des enr.

le 10/01/2024 à 14:43
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N'importe quoi ! Mais vous avez lu au moins ce rapport ? C'est tout l'inverse il détaille clairement et de façon objective les désavantages des EnR (et aussi du nucléaire). À l'époque Yannick Jadot, chef de file des écolos et non content de ce rappor...

à écrit le 09/01/2024 à 21:18
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Le retard pris à cause d’arbitrages au service d’intérêt étranger est catastrophique. Quand on pense que l’on a du mal à produire des aimants et tout ce qui alimente les éoliennes…. Cela montre à quel point les écolos ont manqué de jugement. Vendre l...

le 10/01/2024 à 0:11
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C est drôle vous devez pas Étre bien informé ou trop ferme dans votre frontière : Danemark Portugal Espagne ont 60 % et plus d’ électricité produit par le solaire et l éolien … le vrai sujet c est que la France a tergiversé et n a pas inclu un mix...

le 10/01/2024 à 7:58
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Pas de soucis. Vu les embargos que met en place la Chine sur l’exportation des technologies de raffinage de terres rares et les restrictions qui se font jour sur leur export, vous les faites comment vos éoliennes? Et vos panneaux solaires? C’est mar...

à écrit le 09/01/2024 à 16:55
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c'est nous qui payons les réacteurs et le risque nucléraire et ce sont les amis de macron qui font de l'argent avec?

à écrit le 09/01/2024 à 16:25
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En 2035, la Chine va proposer sa filière au Thorium neutrons rapides sels fluorés avec des déchets de 300 ans. Et totalement capable de 'bruler' les déchets type uranium, plutonium et les actinides... On ne parlera plus des EPR. On a pour 500 ans ...

le 10/01/2024 à 14:58
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Ça fait 50 ans qu'on annonce l'arrivée des réacteurs à Thorium en Chine. Un peu comme l'avènement de l'hydrogène. D'ici à ce que ce soit fonctionnel on aura déjà la fusion nucléaire.

le 11/01/2024 à 11:54
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Avec l'uranium appauvri qui est aussi sur étagères en France, ce n'est pas 500 ans mais plusieurs milliers d'années de production d'électricité...

à écrit le 09/01/2024 à 16:22
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6 puis 12 mais combien de réacteurs de type EPR au juste sur l'hexagone alors que les coûts du nucléaires progressent toujours plus rendant cette énergie de plus en plus chère par rapport aux ENr (les consommateurs mais également les contribuables de...

le 09/01/2024 à 17:06
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Sans compter qu'en ces moments les plus froids de l'hiver nous avonss encore 10 réacteurs à l'arrêt soit 18% du parc et que l'on a relancer le charbon et le gaz... Quand il y a oas de vent on est à la limite des possibilités. Ce nucléaire n'est décid...

le 10/01/2024 à 7:32
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C'est vrai qu'avec ses choix énergétiques judicieux, l'Allemagne, dont les émissions de gaz carbonique sont en moyenne 8 fois plus importantes qu'en France pour la production d'électricité, montre sans ambiguité la voie à suivre!

à écrit le 09/01/2024 à 16:13
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Que RTE s'occupe de sa chaussure! De toute façon, il n'y a pas de risque de surtension due aux EPR avant quelques décennies...

à écrit le 09/01/2024 à 15:36
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Si on veut du jus, il faut du nucléaire puisque le gaz et le pétrole sont bannis. Nous sommes en train de recréer une filière nucléaire (qui nous coûte cher!), mais essentielle, continuons à développer et fiabiliser les EPR avant par exemple de nous...

à écrit le 09/01/2024 à 13:50
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14, voire 20, pour avoir un prix de gros. :-) Puis devenir LE producteur européen d'électricité : fermez vos installations, on produira pour vous. A voir déjà quand on en construira 2 fonctionnels dès la fin des travaux (celui de Finlande est repart...

à écrit le 09/01/2024 à 13:44
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Bref ! Tout dans le médiatique et promesses pour gagner du temps en le faisant perdre aux français !

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