40 euros du mégawattheure. Selon Philippe Boucly, coprésident de l'association de professionnels France Hydrogène, c'est seulement à ce niveau de prix de l'électricité que la production d'hydrogène en France pourra être compétitive.
La question du coût de l'électricité constitue le nerf de la guerre dans la production décarbonée d'hydrogène par électrolyse. Tout le procédé consiste, en effet, à casser une molécule d'eau à partir d'un courant électrique. « L'électricité représente au moins trois quart du prix de revient de l'hydrogène (...) Nous pensons qu'il faudrait bénéficier d'une électricité de l'ordre de 60 euros du mégawattheure (MWh) auquel on déduirait un certain nombre de services que rendrait l'électrolyseur au réseau pour arriver au final à 40 euros du MWh », a développé Philippe Boucly, lors d'un point presse en amont du salon Hyvolution, grand raout de l'hydrogène qui se tiendra à Paris du 30 janvier au 1er février prochain.
« C'est ambitieux », a-t-il consenti. « Mais c'est à ce prix-là que l'on peut maintenir une activité de production d'hydrogène en France », assure-t-il. Reste que 40 euros du mégawattheure est un niveau de prix largement en-deçà des 70 euros que l'accord entre EDF et son actionnaire unique, l'Etat, est censé garantir afin de remplacer le mécanisme de l'Arenh. Lequel contraint actuellement EDF à vendre une grande partie de sa production nucléaire à prix cassé (42 euros du MWh) et dont la disparition est programmée fin 2025. Critiqué par de nombreuses entreprises, le futur système repose en réalité sur une simple projection qu'EDF fait du prix moyen de marché de l'électricité sur 15 ans. Autrement dit, rien ne garantit qu'EDF respectera effectivement ce niveau de 70 euros. Seule consolation : un système de taxation dissuasif pour EDF à partir de 110 euros.
La production peine à décoller
Des conditions qui ne satisfont en aucun cas les acteurs de la filière hydrogène tricolore, qui peine à décoller. Alors que la France a maintenu son objectif de 6,5 GW de capacités de production par électrolyse à l'horizon 2030 et s'est engagée sur 10 GW cinq ans plus tard, « le volume des capacités de production actuellement en service dans l'Hexagone demeure dérisoire », rappelle un expert du secteur.
« En 2022, on a identifié quelque 250 projets, mais il y a très peu de projets véritablement décidés. Quant aux grands projets, ils se comptent sur les doigts d'une main. Il y a l'électrolyseur Normand'Hy [mené par Air Liquide et dont la capacité doit atteindre 200 MW, ndlr], mais à part ça, ce sont des démonstrateurs », admet Philippe Boucly. Certains grands producteurs ont même décidé de revoir à la baisse leur portefeuille de projets, compte tenu de la faiblesse de la demande, qui s'explique en grande partie par le prix élevé de l'hydrogène propre, encore deux à trois fois plus cher que l'hydrogène gris, fabriqué à partir d'énergies fossiles.
Pour espérer enfin décoller, la filière doit donc impérativement décrocher un prix attractif sur l'électricité nucléaire auprès d'EDF. Dans cette optique, France Hydrogène s'est rapprochée de Philippe Darmayan, ex-président d'ArcelorMittal France, lequel connaît très bien cette problématique. Et pour cause, l'ancien dirigeant s'était vu confier par le gouvernement la réalisation d'un rapport sur les contrats d'approvisionnement d'électricité de long terme pour les industries électro-intensives.
Développer des consortiums
Pour l'heure, les négociations avec EDF n'ont pas encore formellement commencé, mais la filière hydrogène entend défendre deux grands points : pouvoir bénéficier du statut d'électro-intensif, qui permet d'être exonéré de certaines taxes, et pouvoir nouer des Contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) avec des avances en tête.
Très concrètement, cela désigne des contrats d'approvisionnement de long terme, sur 10 ou 15 ans, qui dépassent la simple relation commerciale : le risque industriel est partagé entre EDF et le producteur d'hydrogène, qui amène aussi de la trésorerie pour soutenir les investissements du premier afin de bénéficier de prix attractifs.
« Cette formule ne peut convenir qu'à des gros acteurs comme Engie et Air Liquide. Ce n'est pas envisageable pour les autres acteurs de la filière. Des entreprises comme Lhyfe ou H2V, par exemple, n'ont pas la structure financière appropriée », pointe un bon connaisseur du dossier. L'alternative consisterait donc à bâtir des consortiums regroupant plusieurs producteurs d'hydrogène mais aussi Bpifrance, comme intermédiaire financier, pour cofinancer l'avance en tête.
EDF frileux
Selon une source proche du dossier, EDF ne serait pas frontalement opposé à la formation de consortiums, mais l'électricien resterait frileux. Il redoute notamment que ce type d'alliances ne se délitent au fur et à mesure des années, à l'image du consortium Exeltium né en 2008, qui a perdu de grands consommateurs au fil du temps. « Il faut que les industriels membres d'un consortium aient le même profil de consommation et des centres d'intérêt commun », pointe-t-on.
Quant à un système d'intermédiation financier, là aussi l'électricien serait prêt à étudier cette piste. « Toutefois, cela ne peut pas être fait à titre gracieux car cela s'apparenterait à une aide d'Etat », pointe cette même source. Ce qui renchérirait le coût de l'avance en tête... A peine entamées, les négociations promettent d'être épineuses. Pour la filière, qui espère se positionner sur le prometteur marché de la production de carburants de synthèse, l'enjeu est de taille.
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