Comment TotalEnergies aborde-t-il l'année 2024 ? Alors que la major pétrogazière française a publié ce mercredi un bénéfice net historique en 2023 de 21,4 milliards de dollars (soit environ 19,8 milliards d'euros), mais une baisse de 36% de son résultat net ajusté, ses résultats sont en recul au titre du quatrième trimestre de l'année. En cause : une baisse du prix des hydrocarbures, alors que la crise exceptionnelle de l'énergie, qui a secoué le monde entier en 2022, s'éloigne peu à peu. Résultat, selon les analystes de RBC Capital Markets : la publication contient globalement peu de « feux d'artifices », et les performances de l'entreprise restent même « légèrement inférieures aux attentes ».
Il n'empêche : les perspectives restent positives, a assuré mercredi matin son PDG, Patrick Pouyanné, confiant sur cette nouvelle année particulière pour le groupe, puisqu'elle marquera ses 100 ans d'existence. En effet, malgré une réaction plutôt mauvaise du marché (le titre ayant perdu 3,17% à la clôture de la bourse), de nombreux signaux restent au vert, a-t-il fait valoir à la presse puis aux investisseurs. Si bien que la multinationale a indiqué prévoir des investissements nets de 17 à 18 milliards de dollars en 2024, contre 16,8 milliards réalisés en 2023.
Baisse de la dette et retour aux actionnaires
D'abord, la flambée des prix du pétrole et du gaz ces deux dernières années a permis à TotalEnergies d'abaisser encore le niveau de sa dette, qui a atteint un niveau « très faible » de six milliards d'euros, a précisé Patrick Pouyanné. « Il y a eu une forte génération de cash flow et une bonne gestion des variations des besoins en fond de roulement [l'argent dont l'entreprise a besoin en permanence pour financer son exploitation, ndlr]. Ce qui a permis de passer d'un ratio d'endettement de 12,3% à 5%. C'est un bon signe de sa résilience, car le marché s'attendait à une baisse autour de 8% seulement », précise à La Tribune Ahmed Ben Salem, analyste Oil&Gas chez Oddo BHF. Par conséquent, si le contexte macroéconomique se dégrade, « ce niveau d'endettement bas lui permettra de se maintenir », poursuit-il.
Par ailleurs, malgré des profits moins gigantesques, la compagnie pétrogazière a confirmé sa politique de retour aux actionnaires en 2024. « Non seulement le groupe a augmenté les dividendes [à 3,01 euros par action au titre de 2023, soit +7,1%, ndlr], mais il a confirmé son intention d'allouer plus de 40% de son cash-flow à ses actionnaires en 2024, contre 30% historiquement », souligne l'analyste. De quoi donner un bon niveau de confiance dans le titre.
Croissance de la demande de gaz
Surtout, l'entreprise, qui compte bifurquer largement vers le gaz fossile pour assurer sa croissance, peut toujours s'appuyer sur un environnement porteur. En effet, si les cours de cet hydrocarbure sont « revenus à la normale », ils restent deux fois plus élevés qu'en 2020, a précisé Patrick Pouyanné. Or, la demande de gaz continue de croître dans le monde, et l'Agence internationale (AIE) prévoit une augmentation de 2,5% sur l'année.
Une aubaine pour TotalEnergies, qui assume sa politique d'investissement massif dans ce combustible, qualifié de carburant « de transition » par son PDG. Sur le gaz naturel liquéfié (GNL), véritable pilier de stratégie, le marché restera d'ailleurs tendu au moins jusqu'à « mi-2026 », a-t-il précisé, puisque peu de capacités nouvelles (aux Etats-Unis et au Qatar notamment) seront ajoutées d'ici là - si ce n'est celles en Russie, mais dont TotalEnergies ne bénéficiera pas du fait des sanctions. Dans le détail, seulement 8 millions de tonnes seront ajoutées en 2024, soit moins de 2% du marché. En parallèle, cette offre restreinte se couple donc à une hausse de la demande, de l'Europe (où la demande devrait rester « stable » pour remplacer le gaz russe, selon Patrick Pouyanné) à l'Asie.
« La Chine en a importé 71 millions de tonnes en 2023, soit 11% de tonnes de plus qu'en 2022. Cela reste néanmoins inférieur à 2021, avec 80 millions de tonnes, mais l'on s'attend à ce que les imports augmentent encore de 10% en 2024 », a-t-il insisté.
Le GNL au coeur de la stratégie
En outre, TotalEnergies compte « reprendre l'activité » dans son mégaprojet de production de GBK Mozambique LNG, qui a pour objectif de produire jusqu'à 43 millions de tonnes de gaz par an et dont il est l'actionnaire majoritaire (à hauteur de 26,5%). Pour rappel, celui-ci avait été suspendu en mars pour « force majeure », après l'attaque du groupe terroriste Al-Chabab dans la province de Cabo Delgado où est implanté le site. « On travaille pour un redémarrage. [...] La sécurité s'est améliorée, les populations sont revenues revenues, nous avons mené des audits sur les droits humains », a souligné Patrick Pouyanné, affirmant qu'il fallait désormais « réactiver les contrats fin qui avaient été suspendus ».
Sur le GNL américain, dont l'entreprise reste le premier exportateur mondial, du nouveau est également attendu. « Nous avons lancé un nouveau projet d'usine de liquéfaction du gaz au Texas, Rio Grande, pour lequel nous avons obtenu toutes les autorisations », a noté Patrick Pouyanné. Quant à la décision récente du Président américain, Joe Biden, d'imposer un moratoire sur les nouvelles exportations de GNL aux Etats-Unis, « cela n'aura pas d'impact immédiat car l'essentiel des projets lancés sont déjà en route », a-t-il assuré. Sans surprise, il s'est d'ailleurs montré très critique vis-à-vis de cette mesure.
« Cela jette le doute sur le fait que les exports soient autorisés dans le futur, alors que les autorisations se renouvellent tous les 5 ans. [...] Cela aurait donc un impact sur le marché global du GNL, mais je pense pas que ce soit un scénario envisageable. Nous sommes en période électorale aux Etats-Unis, et je n'ai pas trop de doute sur le fait que, quel que soit le résultat, cette mesure temporaire sera levée », a-t-il fait valoir.
Enfin, pour ce qui est des transports de ce GNL, l'impact des tensions en mer Rouge devrait rester limité, selon TotalEnergies. « Plus aucun de nos bateaux pétroliers ou méthaniers ne passe par le détroit depuis fin décembre », a assuré son PDG, soulignant que cela implique un détour de quatre jours sans impact majeur.
Tensions au Moyen-Orient
Le marché du pétrole reste cependant « dominé par les tensions au Moyen-Orient », a-t-il ajouté. Sur le sujet, sa stratégie n'a pas changé : entre 2024 et 2028, l'entreprise entend encore consacrer la majorité de ses investissements nets à ce combustible fossile (45 % des dépenses), en dépit du dérèglement climatique. « C'est l'argent du pétrole qui financera la transition énergétique », a d'ailleurs l'habitude de répéter son PDG. Mercredi, celui-ci a précisé que la croissance viendra de pays en dehors de l'OPEP, « notamment les Etats-Unis qui ont gagné 1 million de barils par jour », mais aussi du « Brésil » ou encore du « Guyana ». Par ailleurs, celui-ci a précisé consacrer un tiers du budget d'exploration en Namibie, et assume son intention de « continuer à le faire ».
Il n'empêche : pour ses cent ans, TotalEnergies réaffirmera son ambition de passer d'un acteur « de l'exploration pétrolière en Irak » à un « leader mondial de la transition énergétique », assure l'entreprise. Et notamment en devenant un géant de l'électricité, aussi bien renouvelable qu'issue du gaz. Comme en 2023, le groupe prévoit ainsi d'allouer en 2024 un tiers de ses investissements totaux aux « énergies bas carbone » (sic), dont autour de 5 milliards de dollars à sa branche « électricité ». Cette dernière gagnera « 45 térawattheures en 2024 », soit +33%. « Le plan, pour 2024, c'est d'investir encore un peu plus car on n'a pas de dettes », a insisté Patrick Pouyanné.
Concrètement, cette branche regroupe l'éolien, le solaire, le stockage par batteries mais aussi ses centrales électriques à gaz (basées donc sur une énergie fossile) que l'entreprise présente comme un maillon indispensable dans la chaîne des énergies renouvelables pour compenser leur intermittence. « Plus on se tourne vers l'électricité, plus on se rend compte qu'il faut des centrales à gaz [pour lisser l'offre, ndlr], puisque les batteries ne suffisent pas », a d'ailleurs insisté ce mercredi le PDG du groupe pour justifier cette stratégie.
Le groupe comptait en 2023 22,4 GW de capacités d'électricité renouvelable, légèrement au-dessus de son objectif, et vise le cap ambitieux de 100 GW en 2030. En septembre, celui-ci avait encore alimenté les critiques en annonçant son intention d'augmenter sa production d'hydrocarbures de 2 à 3% par an dans les cinq prochaines années, tandis que plusieurs énergéticiens comme Shell et BP ont annoncé en 2023 une révision en baisse de certains de leurs objectifs de transition énergétique.
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