Fraude fiscale : la France renonce à un accord avec la Suisse

La France a fermé la porte, pour l'instant, à la négociation d'un accord fiscal avec la Suisse censé faire entrer rapidement de l'argent dans les caisses, mais dénoncé par de nombreux spécialistes comme une entorse à la lutte contre les paradis fiscaux et le secret bancaire.
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La France a repoussé un accord fiscal controversé avec la Suisse. Ce dernier devait pourtant rapporter aux caisses françaises mais il est critiqué par beaucoup comme étant un frein à la lutte contre les paradis fiscaux et le secret bancaire. Dans un premier temps, le gouvernement français, qui va annoncer ce jeudi de nouvelles mesures contre l'évasion fiscale, n'avait pas exclu de conclure un accord de double imposition à l'image de ceux signés cette année par l'Allemagne et le Royaume-Uni avec la Suisse.

Paris s'est finalement ravisé. "On a dit à la Suisse que les conditions n'étaient pas réunies pour engager des discussions sur ce type d'accord", a déclaré Bercy la semaine dernière. Les traités conclus par Londres et Berlin, dits "Rubik", prévoient que les personnes domiciliées au Royaume-Uni et en Allemagne peuvent régulariser leurs relations bancaires en Suisse, tout en préservant leur anonymat. En contrepartie, l'administration suisse leur prélèvera un impôt et le reversera au fisc du pays d'origine.

"L'avantage, c'est que cela doit permettre de faire entrer du cash dans les caisses allemandes et britanniques, ce qui est alléchant en ces temps de disette budgétaire", reconnaît un bon connaisseur du dossier, sous couvert de l'anonymat. Plusieurs pays en difficulté financière négocient d'ailleurs un accord similaire avec Berne ou s'apprêtent à le faire, comme l'Italie et la Grèce, selon des sources concordantes.

Mais les accords "Rubik" ont surtout des inconvénients, dénoncent en choeur plusieurs responsables et organisations non-gouvernementales (ONG). D'abord, dit le connaisseur du dossier, "ce texte est une manière pour la Suisse de tuer dans l'oeuf les efforts européens en faveur de l'échange automatique d'informations fiscales, dont elle ne veut absolument pas".

"Moralement difficilement acceptables"

"Moralement, ces accords sont difficilement acceptables car ils préservent l'anonymat des titulaires des comptes", renchérit le délégué général du gouvernement français à la lutte contre les paradis fiscaux, François d'Aubert. Pour la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, qui regroupe plusieurs ONG, "ce système est de nature à favoriser la fraude et l'évasion fiscale en créant de facto une amnistie permanente" et "sonne le glas du combat fondateur du G20 contre les paradis fiscaux".

Surtout, prévient Gabriel Zucman, spécialiste du patrimoine à l'Ecole d'économie de Paris, les accords en question pourraient passer à côté de leur objectif prioritaire: permettre aux Etats de récupérer l'argent de l'évasion fiscale. "Ceux qui signent ces traités s'en remettent totalement au bon vouloir des banquiers suisses", déplore-t-il.

L'économiste rappelle que la France est dans l'impossibilité de connaître le montant des fortunes françaises gérées par les banques suisses. Qui plus est, ajoute-t-il, "l'essentiel de ces fortunes ne sont pas gérées en direct par les clients, mais plutôt via un trust aux îles Caïman ou une société-écran à Panama". "Il y a fort à parier que ces fortunes échapperaient à la taxation dans le cadre d'un accord Rubik", affirme Gabriel Zucman. Impossible, donc, de savoir combien ces accords permettraient d'engranger. Mais selon leurs détracteurs, ce serait moins qu'espéré par les gouvernements.

Le fin connaisseur du dossier relativise toutefois ce pessimisme. "Les banquiers suisses ont intérêt à ce que les accords fonctionnent, car ils espèrent ainsi échapper à l'échange automatique qui mettrait à mal le secret bancaire", explique-t-il.

D'ailleurs, il prédit que ce type de traités va "faire florès" dans les prochaines années. "Le Luxembourg et le Liechtenstein commencent aussi à bouger pour proposer des accords semblables", rapporte-t-il, "et même en France, le gouvernement était obligé de dire non avant la présidentielle, mais nul ne sait ce qu'il adviendra après".

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