Midterms aux USA : Les démocrates face au piège fatal de l'"impeachment"

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Midterms aux usa: les democrates face au piege fatal de l'impeachment[reuters.com]
(Crédits : Leah Millis)

par Pierre Serisier

PARIS (Reuters) - Comme toutes les armes politiques, la procédure d'"impeachment", la destitution du président des Etats-Unis, doit être maniée avec un soin particulier au risque pour les démocrates de la voir se retourner contre eux lors de la présidentielle de 2020.

La question d'une procédure contre Donald Trump, candidat élu contre toutes les habitudes de la politique américaine, se pose depuis le jour de son investiture le 20 janvier 2017 et, depuis, n'a jamais cessé d'être évoquée de manière récurrente.

Dans l'hypothèse où, à l'issue des élections de mi-mandat le 6 novembre, les démocrates récupèrent la majorité à la Chambre des représentants, avec une coloration progressiste et des élus prêts à en découdre avec Trump, cette question va se poser avec une intensité particulière lors de l'installation du nouveau Congrès en janvier.

C'est à la Chambre en effet qu'il appartient de voter les actes d'accusation contre le chef de l'Etat à la majorité simple. Les faits doivent être d'une gravité particulière puisque l'article II de la Constitution américaine évoque la trahison, la corruption ou "d'autres crimes et délits majeurs".

"Depuis le début du mandat de Trump, la question qui se pose n'est pas si l'impeachment aura lieu, mais quand il aura lieu", explique Jean-Eric Branaa, maître de conférence à Paris-II Assas et spécialiste des Etats-Unis. "Personnellement, je prédis une procédure lors de la seconde partie du mandat de Trump."

Si la tentation est forte pour certains démocrates de croiser le fer après deux années de frustrations, cette option n'est pas sans danger et pas sans conséquences pour eux, au point que la question est presque devenue taboue à Washington et que le mot lui-même relève du politiquement incorrect.

"L'impeachment est devenu un piège fatal pour les démocrates au point que désormais on parle de 'I-word', autrement dit un mot qu'on n'ose plus prononcer comme on dit 'N-word' pour 'nigger'", remarque Vincent Michelot, ancien directeur de l'Institut d'études politiques de Lyon et expert en politique américaine.

Le point de focalisation de la procédure concernera très certainement l'enquête sur l'ingérence russe lors de la présidentielle de 2016 avec le soupçon de collusion entre l'équipe de campagne de Trump et la Russie.

LE DANGER D'EN FAIRE UNE AFFAIRE PERSONNELLE

Le procès éventuel d'un président américain se déroule devant le Sénat, présidé pour la circonstance par le président de la Cour suprême, et la destitution doit être prononcée par deux tiers des sénateurs, soit 67 sur 100.

"Avec une Chambre des représentants plus fortement anti-Trump, il existe une tentation d'engager l'impeachment. Mais les vieux routiers comme Nancy Pelosy (ancienne présidente de la chambre) ou Bernie Sanders n'en veulent pas car ils ne veulent pas revenir à la situation vécue sous Bill Clinton", poursuit Vincent Michelot.

Lancée en décembre 1998, la procédure contre Bill Clinton pour parjure et obstruction à la justice visait ses affirmations sous serment de janvier 1998, quand il avait nié toute relation sexuelle avec Monica Lewinsky, qui travaillait comme stagiaire à la Maison blanche. La procédure avait été stoppée devant le Sénat et Clinton avait été innocenté.

L'autre procédure dans l'histoire récente des Etats-Unis remonte au Watergate et à l'accusation contre le républicain Richard Nixon dans le scandale du Watergate, une affaire d'intrusion dans les locaux de l'immeuble abritant le Comité national démocrate à Washington en 1972. Face à la publication de l'enregistrement d'une conversation établissant clairement son implication dans l'affaire, Richard Nixon avait démissionné en 1974, sans attendre l'issue de la procédure.

A moins qu'une preuve irréfutable soit apportée d'une collusion avec la Russie, ce qui n'est pas le cas depuis la nomination en mai 2017 du procureur spécial Robert Mueller, il sera difficile sinon impossible de faire aboutir une procédure contre Donald Trump.

Sans compter que, même en cas de preuve irréfutable, les sénateurs ne voteraient pas forcément pour la destitution car cela reviendrait pour eux, dans un pays à ce point divisé, à un suicide électoral lors des prochains scrutins, rappelle Vincent Michelot.

"L'affaire risque d'accroître la polarisation et une fois Trump innocenté, il pourra revenir devant le peuple américain en affirmant être une victime", note Jean-Eric Branaa.

"Le risque pour les démocrates est, ici, de cesser de faire de la politique. Quand on se bat politiquement, il faut faire de la politique et non pas du personnel."

(édité par Jean-Stéphane Brosse et Henri-Pierre André)