Après le « ras-le-bol fiscal », le mot passé à la postérité lancé en 2013 par l'ancien ministre des Finances Pierre Moscovici, place à l'« exaspération fiscale » comme l'a pointé le Premier ministre, Édouard Philippe, en conclusion du Grand débat sous la nef du Grand Palais lundi 8 avril. Preuve que, si les années passent, la fiscalité alimente toujours le mécontentement des Français. Pour tenter d'apaiser cette colère, « nous devons baisser, et baisser plus vite, les impôts, a-t-il clamé. Les Français ont aussi compris avec beaucoup de maturité, beaucoup plus en tout cas que certains acteurs institutionnels du débat politique, qu'on ne peut pas baisser les impôts si on ne baisse pas la dépense publique », a-t-il ajouté. Dans un contexte de ralentissement économique, cette promesse pourrait s'avérer difficilement tenable pour le gouvernement, qui table désormais sur une croissance de seulement 1,4 % jusqu'en 2022, contre 1,7 % précédemment.
Plus de cinq mois après la première mobilisation des « gilets jaunes » contre la taxe carbone, le chef du gouvernement a livré devant un parterre de 500 personnes les premiers résultats de l'immense consultation entamée le 15 janvier. Il a profité de cette restitution pour esquisser plusieurs axes de travail autour de la fiscalité, l'écologie ou la démocratie. Ce moment attendu comme le début de l'acte II de la présidence Macron pourrait s'avérer décisif au moment où le mouvement des « gilets jaunes » perd du terrain, selon les récents chiffres du ministère de l'Intérieur. S'il n'a pas annoncé de véritable « big bang fiscal », Édouard Philippe a promis que « les annonces du président de la République seront puissantes et concrètes ».
Des pistes à confirmer
Sans surprise, les contributions indiquent avant tout que les impôts et taxes sont trop élevés. Les résultats rapportés par le cabinet Roland Berger signalent également que « l'effort fiscal est mal réparti, il pèse sur les classes moyennes et le travail ». Viennent ensuite « la fraude et l'évasion fiscales qui sont des scandales inacceptables, le niveau élevé des dépenses publiques, l'endettement du pays [...]. En matière de fiscalité, il est normal que ceux qui ont plus payent plus ». Cette demande de justice fiscale est « la mère de toutes les batailles » avait répété le dirigeant de la CFDT, Laurent Berger, en décembre dernier, réclamant « une vaste réforme fiscale ».
Parmi les mesures proposées dans le cadre du Grand débat, la baisse de la TVA est celle qui obtient le plus de résultats favorables. 28,2 % des participants souhaitent une diminution de cette taxe sur la consommation et plus particulièrement la TVA sur les produits de première nécessité. Mais cette idée ne semble pas avoir séduit le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin. Une telle baisse « n'est pas l'idée la plus facile à mettre en oeuvre, ni le meilleur moyen de soutenir le pouvoir d'achat [...] La difficulté avec la TVA, c'est que la baisse ne se répercute pas au profit du consommateur. » Une récente note de l'institut des politiques publiques (IPP) montrait que la baisse de la TVA dans la restauration mise en oeuvre sous le mandat de Nicolas Sarkozy « a essentiellement profité aux restaurateurs ».
Une refonte de l'impôt sur le revenu figure aussi parmi les priorités : 18,8 % des participants jugent qu'il faut réduire cet impôt. « L'entrée dans l'impôt sur le revenu est brutale et peut décourager les Français de reprendre un travail. Cette question pourrait être discutée en sortie du grand débat », a expliqué récemment le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. « Si le choix du Parlement est de baisser l'impôt sur le revenu, cela se verra plus rapidement [avec le prélèvement à la source, ndlr] » souligne de son côté Gérald Darmanin. La création de tranches supplémentaires permettrait de rendre cette fiscalité plus progressive et de lisser les effets de seuil. Actuellement, il existe cinq tranches d'impôts sur le revenu en France (0 %, 14 %, 30 %, 41 % et 45 %).
Haro sur les niches fiscales
Comment financer cette baisse de l'IR : 11,8 % des contributeurs ont estimé qu'il fallait supprimer les niches fiscales, donnant raison au ministre des Comptes publics qui a plusieurs fois remis en cause ce maquis fiscal (il y en aurait plus de 470) avant de se faire retoquer par le président de la République. Dans une récente interview au Journal du Dimanche, Darmanin a expliqué que « ce qui mine la progressivité de l'impôt sur le revenu, c'est l'optimisation fiscale que la multiplicité des niches fiscales rend possible. Or, elles ne sont pas toutes utiles ni justes ». La multiplication des niches a également diminué le rendement de l'impôt sur les sociétés (IS). Même si le taux de l'IS est amené à baisser de 33 à 25 % d'ici la fin du quinquennat comme l'a encore confirmé Bruno Le Maire, la suppression de certains dispositifs permettrait d'améliorer le rendement de cette fiscalité.
Outre les niches, Gérald Darmanin a évoqué la suppression de la redevance audiovisuelle, qui serait logique si la taxe d'habitation, à laquelle elle est rattachée, est supprimée. Là encore, la remise en cause de cette taxe a déjà soulevé la colère des professionnels et syndicats de l'audiovisuel public. En effet, les groupes publics dépendent en grande partie de cette ressource pour se financer. Elle rapporte environ 3,2 milliards par an à l'État. La suppression totale de la taxe d'habitation fait partie des impôts à baisser en priorité pour 8,3 % des répondants. Gérald Darmanin l'a confirmée pour l'ensemble des ménages d'ici 2022. Mais cette suppression pourrait représenter un fort manque à gagner pour les communes.
Lors de son discours au Grand Palais et devant les députés le lendemain, le Premier ministre n'a pas évoqué de calendrier précis. Il a simplement mentionné « cet agenda des solutions [qui] obéira forcément à plusieurs échelles de temps ». Sur la méthode, il a précisé que des concertations allaient être organisées après les annonces d'Emmanuel Macron attendues à la mi-avril. Ces échanges devraient avoir lieu « avec les élus locaux quand il s'agit de l'avenir de nos territoires, avec les organisations syndicales et patronales quand il s'agit de faire vivre la démocratie sociale, et avec les associations dont le Grand débat a rappelé le rôle essentiel dans notre vie citoyenne » . En attendant l'intervention du président, Édouard Philippe a lancé une forme d'avertissement. « Le besoin de changement est si radical, que tout conservatisme, toute frilosité, serait à mes yeux impardonnables. »